Elisabeth Louise Vigée, née à Paris en 1755 sous le règne de Louis XV et morte à Paris en 1842 sous celui de Louis-Philippe, semble parée, dès sa plus tendre enfance, de tous les dons, particulièrement celui de dessiner et de peindre qui lui méritera d’avoir, au cours de sa longue existence, réalisé plus de 660 toiles que s’arrachait l’Europe entière à des tarifs bien supérieurs à ceux de la plupart de ses confrères masculins. Le Grand Palais a su réparer en 2015 une injustice faite à cette artiste remarquable qui peignait avec assurance et une étonnante maturité dès l’âge de 15 ans des portraits, l’exercice considéré comme le plus difficile, et ajoutait à cela l’art de la conversation, une grande culture et une beauté reconnue de tous. Cette injustice était d’autant plus impardonnable que nous avons peu de femmes peintres parvenues à cette maîtrise, à cette légèreté de touche, à cette élégance et à ces jeux de lumière qui signent définitivement son style.
Par chance, dès son enfance, son père découvre ses dons, l’encourage et la fait entrer dans l’atelier de Joseph Vernet qui l’incite à copier les anciens, à faire ses gammes en quelque sorte. A 12 ans, à la mort de son père, sa mère se remarie et son beau-père a la bonne idée d’exposer ses premières œuvres dans la vitrine de sa joaillerie. Sans tarder les commandes affluent, mais le beau-père, peu scrupuleux, s’empresse de faire main basse sur les émoluments, si bien que la jeune fille épouse en 1776 un certain Monsieur Le Brun qui a l’avantage d’être bien né et beau garçon. On sait combien il était difficile à une femme de l’époque de vivre sans mari, mais fine mouche Elisabeth Louise a donné son cœur à un marchand de tableaux de renom européen, si bien que ce galeriste avisé parachèvera son éducation de peintre et fera monter sa cote avec habileté et un incontestable savoir-faire.
L’art du portrait, qu’elle maîtrise parfaitement, lui vaut des commandes en grand nombre, ses clientes appréciant qu’elle les pare de glacis aux mille grâces et les hommes qu’elle sache souligner leur virilité et leur caractère de manière réaliste. Sa réputation revient bientôt aux oreilles de la cour de France et la jeune Marie-Antoinette, qui n’apprécie aucun des portraits que l’on a réalisés d’elle jusqu’à présent, sollicite ses bons offices. Entre les deux jeunes femmes, le courant passe immédiatement. Lors des longues séances de pose, Madame Vigée-Lebrun anime la conversation et distrait son royal modèle grâce à sa culture et son sens inné de la répartie. Sa position de peintre officiel de la reine est dès lors assurée. Le seul privilège qu’elle sollicitera auprès de Louis XVI sera de la faire entrer à l’Académie royal où ne siégeaient alors que quatre femmes. D’emblée, elle s’imposera par une toile osée qui prouve son audace et sa modernité : des nus féminins.
En 1789, menacée à cause de son amitié envers la reine, elle doit s’exiler sans plus tarder. Cet exil ne durera pas moins de treize années et la mènera à travers toute l’Europe. Elisabeth s’installera provisoirement à Rome, Saint-Pétersbourg, Vienne, Londres où les monarques la reçoivent avec les égards qui sont dus à son talent et à sa notoriété. Néanmoins, lorsqu’on lui demandera de faire poser la princesse Murat, sœur de Napoléon, capricieuse et imprévoyante qui la faisait attendre des heures, elle aura ces mots : « J’ai peint de véritables princesses qui ne m’ont jamais tourmentée et ne m’ont jamais fait attendre ».
Ses goûts, ses amours, ses tendresses resteront liés à l’ancien régime dont elle gardera éternellement la nostalgie. « Mon cœur a de la mémoire » - avouait-elle. Sa seule enfant, sa fille Julie avec laquelle elle ne s’entendra jamais, mourra dans la misère après un mariage malheureux ce qui lui causera un immense chagrin. Mais avait-elle eu le temps d'être mère ? Sûrement pas, requise en permanence par son art et ses innombrables commandes…
Elisabeth Louise aura eu la chance de connaitre tous les grands noms de son temps : Madame de Staël, lady Hamilton, Chateaubriand, l’amiral Nelson, Hubert Robert, les rois et les reines d’Europe et tant d’autres avec lesquels elle partageait les mêmes convictions. Rentrée en France en 1809, Madame Vigée-Lebrun achète une maison à Louveciennes, car elle aime la campagne, et s’entourera de nombreux amis, tout en rédigeant ses mémoires, ayant rencontré tant de personnalités et connu tant d’événements ! Elle s’éteint paisiblement à Paris à son domicile de la rue Saint-Lazare le 30 mars 1842, à l’âge de 87 ans, et sera enterrée au cimetière de Louveciennes après une longue existence vécue à un train d’enfer, de façon très autonome, entre pinceaux, plumes et voyages.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
Pour consulter la liste des articles de la rubrique CULTURE, cliquer ICI