« Si j'ai écrit ce livre, c'est pour tirer les leçons d'une vie passée avec les animaux depuis la petite enfance, à la ferme, puis en ville. Au fil des pages, je vous parlerai de plusieurs de mes amis auxquels, si grands soient mes hommages, je ne pourrai jamais rendre les bonheurs qu'ils m'ont donnés, avec leur candeur et leur humour : un jeune bouc, un vieux perroquet, des chats, des araignées, des bovins ou des chiens.
Pourquoi traitons-nous avec tant d'égards les animaux de compagnie, substituts de l'homme, et si mal les bêtes à manger, machines à fabriquer de la viande ? Alors que nous consommons chaque année des milliards d'animaux issus de la terre et de la mer, il est temps que nous descendions de notre piédestal pour les retrouver, les écouter, les comprendre.
J'ai voulu aussi lancer un appel pour que cesse le scandale des abattages rituels, halal ou casher, qui imposent à nos sœurs et frères les bêtes des mises à mort dans d'inutiles souffrances. »
Oui, en sortant « L’animal est une personne », Franz-Olivier Giesbert réclame ni plus ni moins des droits pour nos amis les bêtes et dénonce la cruauté de l’abattage rituel qui règne en maitre sur notre pays. Cet ouvrage ne pouvait que m’enchanter et touchera un vaste public sensibilisé lui aussi à la cruauté qui sévit encore en ce début de XXIe siècle à l’intention de la gent animale.
Mais écoutons-le parler et nous donner les raisons qui l’ont incité à pousser ce cri d’alarme, et à se faire l’avocat d’un monde privé de parole mais non de sensibilité et d’intelligence.
« Je suis végétarien depuis que j’ai 18 ans. Longtemps, je ne le fus pas à 100%. Je faisais beaucoup d’écarts ou de compromis pour ne pas froisser mes hôtes mais, avec le temps, j’ai tendance à devenir plus radical. Sans être prosélyte, je refuse toute viande depuis des années. Quant aux poissons, à cause des études scientifiques de la dernière décennie, qui montrent leur intelligence et leur sensibilité, je n’en mange pratiquement plus. L’homme est-il carnassier de nature ? Nullement. Tout comme chez les frugivores, son appareil digestif est une dizaine de fois plus long que son corps, loin devant les carnivores ou les omnivores, et ses canines arrondies, ses molaires aplaties ainsi que ses enzymes salivaires sont particulièrement adaptés à une alimentation qui devrait être seulement végétale. Mais rompu à la chasse et à la pêche, puis à l’élevage, il a décidé de hiérarchiser la mort des autres espèces. Si les animaux de compagnie sont épargnés, rien de tels pour les bovidés, ovidés, caprins et volailles. Et tout ce monde-là se retrouve dans nos assiettes, et il convient de s’interroger sur le modus operandi de cette sanglante affaire…
L’élevage industriel, d’abord, est une horreur. On sait ce que valent ces fermes et ces interminables hangars confinés où l’on bourre les animaux d’antibiotiques, où l’espace vital est si rare que leurs squelettes en sont affectés, où la captivité est si atroce que ces pauvres êtres déplumés, pelés, aux becs rognés, ou à qui l’on arrache les dents pour éviter qu’ils ne s’entre-déchirent, ne savent plus distinguer la nuit du jour. Je conçois qu’on puisse élever des bêtes pour les manger, mais à des conditions décentes, en plein air, et qu’on les tue sans douleur. L’abattage ne doit pas être cette boucherie infernale où l’homme retourne aux temps les plus obscurs de la barbarie.
Il y a une quinzaine d’année, le halal comme le casher étaient totalement marginaux. Peu à peu, le halal s’est développé, provoquant une tragique régression du système. Et tout cela sous couvert de mensonges : la bête ne souffrirait pas et la viande serait meilleure. Rien de plus faux. Qui tue mal, mangera mal, car la bête affolée fabrique des toxines. Lorsqu’elle est enfermée dans un cylindre pivotant afin que sa tête se retrouve en bas pour un égorgement à vif, sans anesthésie, le stress est maximal. Les bovins particulièrement, de par leur morphologie artérielle et veineuse, mettent très longtemps à mourir. Mais on commence déjà à les sortir, à leur trancher les pattes pour les dépecer vivants. Notre société toute entière est responsable de cet immonde état de fait. Ce que l’Europe du Nord et des pays tels que la Nouvelle-Zélande interdisent, la France, patrie des droits de l’homme, mais assurément pas des animaux, l’autorise en fermant les yeux. Le halal, qui s’oppose à l’étourdissement électrique, règne aujourd’hui en maître sur nos abattoirs. On y patauge dans l’horreur, le sang et la souffrance. Alors que la demande de viande halal ou casher devrait correspondre à environ 10% des abattages totaux, on estime à 40% pour les bovins et 60% pour les ovins le volume des abattages rituels. C’est absolument intolérable dans un pays laïc. Ainsi produisons-nous des marées de bovins, d’ovins, les yeux exorbités, les pattes tremblantes dans la merde répandue au sol par les intestins relâchés par la peur, et crevant dans la douleur. A quand des abattoirs « humains », rituels ou non, pratiquant l’électronarcose ? A quand la fin de notre lâcheté, de notre avidité, de notre ignorance, de notre vanité, et la prise de conscience que l’homme a été fait pour le monde et non le monde pour l’homme ?
Oh ! je ne suis pas le seul à être sensibilisé à cet état de choses. Je peux le vérifier sans cesse, en écoutant, par exemple, les plongeurs sous-marins raconter leurs rencontres avec des mérous, poissons qui cherchent souvent à nouer le contact. J’ai vécu à Porquerolles, un vrai dialogue de regards et de caresses. On évoque l’intelligence des dauphins, mais les poulpes ne leur cèdent en rien : leurs capacité d’apprendre est foudroyante, et les scientifiques se demandent ce qui se passerait s’ils vivaient plus longtemps que les cinq ans qui constituent la moyenne de leur espérance de vie. Si elle varie selon les espèces, l’intelligence animale est une donnée scientifique de plus en plus aveuglante, tous les travaux concordent.
Elle a pourtant été niée pendant des siècles par l’Occident. Selon la conception monothéiste, Dieu aurait créé l’homme à son image et, à sa suite, les animaux et les plantes pour qu’il s’en repaisse. Décliné en philosophie, ce point de vue dominateur et utilitariste donne la théorie cartésienne ridicule et bouffonne de l’animal-machine qui ne réagirait que par réflexe. L’un des legs de notre grand philosophe aura donc été de rayer l’animal du monde des vivants. Pour lui, les bêtes étaient comparables à des horloges. Pour Kant, à des pommes de terre. C’est ainsi que le théologien cartésien Malebranche a un jour donné un coup de pied dans le ventre d’une chienne qui attendait des petits. Alors que la bête hurlait de douleur, il dit à Fontenelle, sidéré : Quoi, ne savez-vous pas que cela ne sent point ?"
Aujourd’hui, il y a, hélas, trop de disciples de Descartes et de Malebranche dans le monde. Ce sont eux que mon livre interpelle. Ils croient que le monde tourne autour des humains, qui surplomberaient la nature. Je mets aussi en question l’hypocrisie générale de nos sociétés où l’on milite contre la chasse et la corrida, voire le cirque, en refusant de voir ce qui se passe dans nos abattoirs. L’horreur est tolérable dès lors qu’elle n’est pas visible. C’est la définition même de la tartuferie : « Cachez ce sang que je ne saurais voir. »
« L’animal est une personne » de Franz-Olivier Giesbert ches FAYARD - 198 pages - 16 euros
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