Cet article a été rédigé en octobre 2011, mais il me semble plus que jamais d'actualité ...
Pourquoi ne pas se poser la question et tenter de l'élucider, en se demandant, par la même occasion, si le rire n'est pas davantage conformiste que libérateur ? Kierkegaard reconnaissait que l'ironie était la marque du solitaire : " Quand l'ironie devient collective - écrivait-il - on passe à autre chose, à cette grossièreté de la foule qui sanctionne ce qui la dérange ". On croit souvent que le rire est une expression de l'indignation, qu'il montre du doigt les injustices et les abus, que l'on rit de ce qui est répréhensible, choquant, grotesque, inconvenant. On le sait depuis Bergson : le rire précède de peu l'insensibilité ; il fait donc mauvais ménage avec la colère. On peut raconter des blagues sur le tyran, cela ne l'atteint pas : le plus souvent, dans le même mouvement, le rieur brise le ressort de sa révolte. En définitive, le rire dénonce les ridicules, nullement les fautes.
Tourner en ridicule le Christianisme ou l'Islamisme ou un grand de ce monde, est-ce que cela leur donne tort ? Car qui rit de tout, ne s'indigne plus de rien, ou, pire, ne respecte plus rien. Est-ce du ridicule qu'il faut se garder ou de la violence : violence des propos, des attaques verbales, des préjugés, des a priori ? Il n'est pas dit que les esprits y gagnent en liberté. Bien au contraire ! La liberté de la presse ne garantit pas la liberté des esprits. La relaxe obtenue, jadis, par le journal Charlie Hebdo nous rassure sur cette liberté de la presse, mais la question reste posée sur la liberté en tant que telle et sur la capacité du rire à être libérateur. Cette culture de la dérision, que nous entretenons avec une certaine complaisance, nous rend-t-elle plus libres, plus efficaces, plus clairvoyants ? Rire à bon compte, n'est-ce pas réducteur ? On se cache alors derrière le rire comme derrière un écran. Le rire de dérision offense toujours et ne résout pas.
Et la caricature, qui est le propre de la dérision, ne s'efforce-t-elle pas de rendre visible, en l'agrandissant, tout mouvement de l'être, réalisant ainsi des déformations et disproportions, art de l'exagération et de l'outrance par excellence ? Nous voyons alors le comique s'opposer à la grâce et à la beauté et s'accommoder à bon compte de la raideur, voire de la laideur. Le rire devient ainsi une brimade sociale. Il est là pour inventer un mode de correction dont on use volontiers à l'égard des petites sociétés qui se forment au sein des grandes. A l'insociabilité supposée des personnages visés s'érige l'insensibilité des censeurs. " Le rire ne peut pas être absolument juste - écrivait Bergson - répétons qu'il ne doit pas non plus être bon. Il a pour fonction d'intimider en humiliant. Il n'y réussirait pas si la nature n'avait laissé à cet effet, dans les meilleurs d'entre les hommes, un petit fonds de méchanceté, ou tout du moins de malice. Peut-être vaudra-t-il mieux que nous n'approfondissions pas trop ce point. Nous n'y trouverions rien de très flatteur pour nous. Nous verrions que le mouvement de détente ou d'expansion n'est qu'un prélude au rire, que le rieur rentre tout de suite en soi, s'affirme plus ou moins orgueilleusement lui-même, et tendrait à considérer le personnage d'autrui comme une marionnette dont il tient les ficelles. Dans cette présomption, nous démêlerions d'ailleurs bien vite un peu d'égoïsme, et, derrière l'égoïsme lui-même, quelque chose de moins spontané et de plus amer, je ne sais quel pessimisme naissant... quelle amertume". En effet, peut-on se permettre de ne pas penser comme tout le monde ?
A l'évidence, le sarcasme ne peut rien contre le fanatisme, celui-ci n'étant jamais qu'une arme de dérision... dérisoire. Il est vrai, par ailleurs, que la caricature annihile toute forme de confiance, si bien que, contrairement à ce que nous serions tentés de croire, le scepticisme ne neutralisera jamais aucun fanatisme. Il aurait même tendance à l'exacerber. La seule chose que l'on puisse opposer à l'excès est la modération, au fanatisme .... le discernement, ce qui manque trop souvent, hélas ! à nos élites.
Armelle Barguillet Hauteloire
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