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28 février 2020 5 28 /02 /février /2020 08:42
Un hiver sur la colline

L’hiver tire à sa fin. Mais avons-nous eu un hiver cette année ? En Normandie, nous évoquerons davantage un  long automne grisailleux  avec de forts coups de vent et beaucoup d’eau plutôt qu’un véritable hiver où l’on se sent si bien au coin du feu. Dans notre jardin, nos oiseaux et nos écureuils ont traversé les mauvaises humeurs de la météo sans trop de dommages. Notre petit monde à plumes et à poils se porte plutôt  bien. Nous avons d’ailleurs eu les visites d’un ravissant renard, d’un chevreuil et d’un faisan au plumage étincelant qui a apprécié la distribution de graines et  réitéré à plusieurs reprises ses passages sur notre colline. Si  tout ne va pas pour le mieux en raison de la météo, la floraison des primevères et des violettes nous met un peu de baume au cœur. D’ailleurs, les prunus pointent leurs bourgeons et il y a déjà des jonquilles et des narcisses en boutons. Les grives musiciennes ne s’y sont pas trompées et annoncent le printemps dans un registre mélodique si varié qu'il enchante notre oreille, sans oublier les partitions de notre rouge-gorge qui se met en voix dès le lever du jour pour mettre le jardin en fête malgré la brume et le vent.

 

Il faut reconnaître que ce petit monde a été bien soigné. Nos mésanges n’ont pas manqué d’apprécier les boules qu’Yves suspend dans les branches, tandis que les graines, semées chaque matin, rassemblent sur les pelouses pies, ramiers, moineaux, tourterelles, piverts,  grives, merles, pinsons et, évidemment, Rubis et sa petite famille. Quant à Rocco, notre écureuil, il n’a pas manqué de remarquer les noisettes qu’Yves, chaque quinzaine, cache dans les troncs d’arbres afin d’assurer à notre  ami et à sa famille la nourriture indispensable pour traverser l’hiver sans souci. Son œil averti a tout de suite saisi la formidable opportunité qui s’offrait à lui et le petit animal exerce sans faille sa vigilance car, dès le lendemain des dépôts, les victuailles disparaissent. Voilà un hiver qui tire à sa fin sans  trop de dégâts,  si ce n’est celui des plantes endommagées par des pluies excessives et une douceur de température qui perturbe leur habituelle évolution. Les camélias sont certes en boutons mais restent perplexes et ne savent visiblement plus à quel saint se vouer. Faut-il ralentir leur évolution, mettre un frein à ce processus inhabituel ou, mieux, renoncer à cette marche forcée ! Les semaines à venir le diront mais, d’ores et déjà, on sent bien que notre jardin, comme le reste de la planète, est en train de subir des métamorphoses inaccoutumées.

 

ARMELLE


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Un automne sur la colline


Un printemps sur la colline
 


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Rubis

Rubis

Mésange charbonnière

Mésange charbonnière

Rocco

Rocco

Rocco et les noisettes d'Yves

Rocco et les noisettes d'Yves

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24 février 2020 1 24 /02 /février /2020 08:45
Les fables de la Fontaine illustrées d'estampes japonaises

« Quand le Japon, après deux siècles de rigoureux enfermement sur lui-même, s’ouvrit enfin au monde en 1854, l’Occident vit peu à peu apparaître  un art qu’il ne connaissait quasiment pas, celui des estampes de l’ukiyo-e, images d’un monde flottant, c’est-à-dire éphémère ». Vers la fin du XIXe siècle, lorsque l’empereur eut repris son pouvoir confisqué pendant de longues années par le shôgun et ouvert son pays au monde, Hasagawa Takejirô fit traduire des contes japonais pour qu’ils se vendent mieux à l’étranger. Il avait aussi le projet d’exporter des estampes japonaises en France et confia à Pierre Barboutau, un Français qui séjourna longtemps au Japon, le soin de réaliser un ouvrage illustré d’estampes japonaises. L’objectif premier de cette publication était de faire connaître l’art de l’estampe et les plus grands maîtres de ce genre pictural : Sesshû, les Kamô, les Kôrin puis les Okia et les Utamaro, parfaitement méconnus en Occident.

 

 

Barboutau avait choisi de proposer aux artistes nippons d’illustrer des fables de La Fontaine sans qu’aujourd’hui encore on connaisse les raisons de son choix. On sait seulement comment il a sélectionné celles qu’il leur a proposées « Le choix des fables de La Fontaine, que nous offrons au public, est surtout basé sur la plus ou moins grande difficulté que nous avons rencontrée à traduire le sens de ces fables aux artistes Japonais ». Il semblerait que les estampeurs n’aient pas eu accès à la traduction des fables et que leur choix se soit plutôt fondé sur la connaissance qu’ils avaient de certains animaux très présents dans la mythologie et les légendes nippones : le renard, la grenouille, le rat, dont ils connaissaient bien le caractère et les caractéristiques qui leur sont attachés.

 

 

Ce recueil fut donc édité en 1894 ; une seconde édition fut publiée la même année et une nouvelle en 1904, c’est celle qui a servi de modèle pour cette édition reprise à l’occasion de la rentrée littéraire de l’automne 2019. L'ouvrage est absolument magnifique et comporte une trentaine de fables, pour certaines très connues du grand public - celles qu’on apprend en général sur les bancs de l’école, du moins quand je la fréquentais - pour d’autres moins, et pour le plus grand nombre absolument pas ; le choix ayant été fait, comme je l’ai dit ci-dessus, selon la capacité des illustrateurs à comprendre les desseins de l’auteur. Chacune des fables est accompagnée d’une estampe pleine page ou sur double page où le sujet de la fable est toujours mis en évidence dans un paysage souvent très épuré aux couleurs pastel comme on en voit dans les estampes japonaises. Ces illustrations dégagent un sentiment de paix, de quiétude, de sérénité, que les personnages de La Fontaine semblent venir perturber.

 

 

Ce travail éditorial, réalisé par les équipes de Philippe Picquier,  est un véritable ouvrage de collection qui offre l'occasion de contempler, et même pour certains de découvrir, les estampes japonaises. Je suis certain que les nombreux admirateurs de l’art pictural prendront, tout comme moi, un grand plaisir à redécouvrir, ou tout bonnement à découvrir, ces tout aussi magnifiques fables de Jean de La Fontaine. Un ouvrage à ranger dans le rayon où l’on serre les livres qu’on ne voudrait pas que des mains inexpertes manipulent au risque de les endommager.


Denis BILLAMBOZ


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22 février 2020 6 22 /02 /février /2020 10:09
Photos BARGUILLET
Photos BARGUILLET

Photos BARGUILLET

 

Les Maasaï ne se rencontrent qu'occasionnellement dans les villes. Pour les découvrir, il faut aller à leur devant dans une nature âpre et sauvage, où leur nomadisme prend tout son sens. De les surprendre dans la savane sèche des hautes terres, drapés dans leurs capes rouges, en compagnie de leurs troupeaux est un moment de réelle émotion.Les Maasaï, pasteurs-guerriers d'origine nilotique, auraient quitté l'actuel Soudan il y a quelque cinq cents ans et seraient arrivés au Kenya par le lac Turkana à la conquête de la savane d'Afrique Orientale. Laissant les pentes montagneuses aux Bantou, ils s'établirent sur un territoire qui s'étend du lac Victoria à la Tanzanie. Au long de ces plaines verdoyantes, parcourues de fleuves et de rivières, traversées d'escarpements et de collines, ils vivent avec leur bétail, ne s'installant que quelques semaines ou quelques mois dans des villages de fortune, construisant des huttes provisoires faites de branches et de pailles séchée, enduites de bouses de vache. Ils les disposent de façon circulaire autour de l'enclos central où ils parquent leurs troupeaux à la tombée du jour, de manière à ce qu'ils soient protégés des prédateurs. Ils agissent ainsi depuis la nuit des temps.

Tanzanie/Kenya, à la découverte du peuple Maasaï

 

Le tonnerre et l'éclair, le vent, le soleil et la lune, les étoiles, les phénomènes au milieu desquels ils vivent en une étroite communion, leur ont inspiré le respect et la crainte de la nature. Sans les adorer, ils tentent d'obtenir la bienveillance de ces forces qui régissent l'univers par des implorations et des rituels. La vie rude qu'ils mènent, la violence d'un pays qui connaît des variations climatiques extrêmes, les ont incités à croire que l'univers était commandé par des puissances invisibles, qu'ensuite ces forces s'intéressaient à leurs affaires, les punissant lorsqu'elles étaient mécontentes, les récompensant quand elles étaient satisfaites, si bien qu'ils furent très vite convaincus qu'il y avait moyen de gagner leurs bonnes grâces et, à l'occasion, d'acquérir leur hostilité envers leurs ennemis. Les dangers qui les menacent, la prospérité qu'ils souhaitent, les incitent à obéir à des principes auxquels ils se soumettent jusqu'à la contrainte. C'est ainsi que les Maasaï, et la plupart des tribus nomades, s'édifièrent un monde spirituel, contrepartie invisible du monde visible, qui consiste à imaginer que les objets ont une existence propre et consciente, forme de religiosité que l'on nomme l'animisme. Les choses n'étant pas seulement ce qu'elles semblent être - rochers, montagnes, fleuves, nuages - ils en déduisent qu'à la forme extérieure et tangible qui compose leur apparence correspond une forme intérieure, comme une sorte d'âme ou d'esprit - qui leur permet d'éprouver des sentiments, d'exercer une emprise. Les populations, en contact permanent avec la nature, ont une spiritualité instinctive, l'athéisme leur est étranger, tant elle sont en prise directe et permanente avec le mystère. Les spectacles grandioses, auxquels elles assistent, les portent à la contemplation et, s'il y a de la naïveté dans leurs croyances, leur intuition du sacré est étonnante.

 

Pour tout jeune Maasaï a lieu le temps de l'initiation qui dure environ six années, six années durant lesquelles il va vivre à l'écart du village avec les autres jeunes gens de sa classe d'âge, sous l'autorité du laibon, chef spirituel d'une tribu Massaï qui veillera à ce que cette formation soit non seulement formatrice mais ascétique. Ce temps d'initiation, où il devient murran, sera sans doute la plus exaltante de sa vie. Durant cette période, on le formera à l'art du combat et on l'initiera à être un guerrier sans peur, à défaut d'être sans reproche, car il arrive, en cas de sécheresse et d'épidémie, que les aînés ferment les yeux si les murrans vont la nuit soustraire quelques têtes de bétail à leurs voisins. Le point culminant de cette initiation est la circoncision et celui où les jeunes murrans ont l'autorisation de prendre femme ; il leur revient alors de veiller sur le groupe familial, de protéger le village des attaques ennemies, de se mettre en quête des points d'eau pour les troupeaux, d'accompagner les femmes lors des voyages, d'être en quelque sorte la force de frappe de leur tribu. La considération dont ils sont entourés, l'intérêt que l'on porte à leurs faits et gestes, le souci qu'ils doivent avoir de leur apparence censée impressionner leurs amis comme leurs ennemis, le culte qu'à travers eux on voue à la compétition et à l'effort, mais également à la jeunesse, les invitent à se surpasser. Ne se soumettent-ils pas, au cours de ces années, qui sont comme une traversée, un passage au sens propre du terme, à diverses épreuves de courage et d'endurance ? On ne naît pas Maasaï, on le devient, en acceptant cette période de privation et de célibat. Pour quelques-uns, dont le courage aura été remarqué, l'épreuve ultime sera le combat avec un lion mâle qui leur méritera, pour le restant de leurs jours, la position enviée et prestigieuse d'arbitre, aussi est-ce parmi ces élus que sera choisi le chef futur, le laibon de demain. La vaillance est, au regard des Maasaï, la vertu suprême, vaillance qui les a maintenus en vie dans des conditions souvent périlleuses et leur a permis, au prix de quels combats, de rester un peuple libre.

 

Pour marquer les esprits et faire des cérémonies de fin d'initiation, le point d'orgue de la vie sociale, on les a intentionnellement revêtus d'une lourde charge émotionnelle. Cela commence par le festival de couleurs assuré par la diversité des costumes et l'abondance des bijoux dont les hommes et les femmes se parent. Cela se poursuit par une débauche de sons avec pour tempo de base le tam-tam que, à volonté, les batteurs rendent plus ou moins percutant, plus ou moins saccadé et haletant. Cela se continue avec les chants et les danses, où les jeunes hommes accompagnent leurs sauts de cris gutturaux, faisant vibrer l'air autour d'eux, comme s'ils cherchaient à éveiller tout ensemble les vibrations sourdes de la terre et les échos de l'espace bâillonnés par les nuages. Cela dure des heures et des heures avec, selon l'avancée du soleil, des danses différentes et, la nuit encore, à la lueur des torches, des chants plus monotones pénétrés de l'anxiété des ténèbres.

Danses rituelles des hommes et des femmes parés lors des cérémonies
Danses rituelles des hommes et des femmes parés lors des cérémonies

Danses rituelles des hommes et des femmes parés lors des cérémonies

 

En cette fin de XXe siècle, les Maasaï rendent leur territoire intact à une civilisation trop éprise de puissance, à un monde trop avide de modernité. Les nomades ont su protéger les déserts, économiser la savane ; ils n'ont pollué ni les lacs, ni les fleuves, ni les mers. Et pourtant, aux yeux des sédentaires, les non-sédentaires sont toujours coupables. D'autant plus coupables que leur petit nombre ne les autorise pas à user des secours qu'apportent les lois, les statuts, les chartes. Ils n'ont que leurs traditions et leurs usages, ce qui est peu. Alors comment envisager l'avenir de peuples comme les Maasaï ou de leurs cousins germains les Samburu, quand on sait leur vulnérabilité face au dieu le plus exigeant qui soit désormais : le profit ? Le tourisme étant devenu pour le Kenya et la Tanzanie la source principale en devises, les gouvernements se sont vus contraints de prendre des mesures qui vont à l'encontre des intérêts des populations nomades. Au début de 1950, on commença d'expulser les éleveurs des réserves protégées, procédure qui ne cessa de se durcir pour satisfaire le goût de l'exotisme des amateurs de safaris. En effet, les vaches et les chèvres, les zébus et les brebis font un peu désordre au milieu des antilopes, des girafes, des rhinocéros et des éléphants. Ne doit-on pas assurer le touriste que rien ne viendra contrarier le bon déroulement de son voyage, celui-ci ayant été programmé de façon à lui offrir, dans des conditions de confort parfait, un spectacle inoubliable ? Bien que des voix se soient élevées pour crier haut et fort que le bétail avait toujours su cohabiter avec la faune sauvage, cette remarque justifiée n'a pas obtenu de réponse et les Maasaï, comme les Samburu, ont été sommés de se sédentariser et de devenir cultivateurs. Ce n'est ni plus, ni moins, l'obligation de choisir entre deux maux : creuser ou crever ! Pour parvenir à leurs fins, les Etats n'ont pas hésité à financer la construction de fermes et coopératives sur les anciennes pâtures, prenant pour prétexte le vieil adage qui veut que la vie nomade soit l'ennemie de la civilisation, une forme d'existence bâtarde, illégale et arriérée. Les rebelles, qui refusèrent de céder à ces injonctions, n'eurent d'autres ressources que de réduire leur zone de transhumance, d'autant que le droit de passage vers les points d'eau leur fut peu à peu retiré, ce qui entraina très vite une baisse de la production laitière. Que reste-t-il aux Maasaï, aux Samburu, condamnés à plus ou moins brève échéance, à voir se rétrécir en peau de chagrin, et pour des raisons inavouables, les terres qu'ils parcourent depuis des siècles ? Pour eux, existe-t-il un pays où la joie cessera enfin d'être blessée ? Devront-ils continuer à s'entasser dans des bidonvilles comme les renégats d'une civilisation qui n'est pas taillée à leur mesure ? En sont-ils définitivement réduits à se donner en spectacle aux clients des tour-opérators, à vendre, sur les circuits qu'ils empruntent, des articles de pacotille, objets dérisoires, témoins de la fascination qu'ils exercent encore sur les civilisés ? La réponse semble déjà implacable et définitive.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE - extraits de mon roman  "Les signes pourpres

 

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Nairobi, le Mont Kenya, pays des Kikuyus

 

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Tanzanie/Kenya, à la découverte du peuple Maasaï
Tanzanie/Kenya, à la découverte du peuple MaasaïTanzanie/Kenya, à la découverte du peuple MaasaïTanzanie/Kenya, à la découverte du peuple Maasaï
Tanzanie/Kenya, à la découverte du peuple Maasaï
Tanzanie/Kenya, à la découverte du peuple Maasaï
Tanzanie/Kenya, à la découverte du peuple Maasaï
Tanzanie/Kenya, à la découverte du peuple Maasaï
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17 février 2020 1 17 /02 /février /2020 08:27
Courrier prioritaire d'Anita Vaillancourt

Anita est une Québécoise dont quelques dizaines de printemps ont déjà enchanté la vie mais dont quelques hivers ont aussi terni certaines périodes, laissant des stigmates  difficiles à cicatriser. Elle a enseigné le français avec passion et, depuis qu’elle est à la retraite, l’aquarelle qu’elle pratique avec talent. Reconnue et cotée, elle expose régulièrement. A l’heure où certains pensent à rédiger leur testament, Anita a écrit ce qu’on pourrait considérer comme son testament affectif en rédigeant une lettre à l’intention de ceux qui ont compté dans sa vie, ont contribué à en faire ce qu’elle a été, est toujours et sera encore pour de nombreuses autres années. Ainsi, s'adresse-t-elle d’abord à sa mère décédée en lui donnant la vie, à son mauvais père, brutal et alcoolique qui l’a confiée à sa belle-sœur, une mère de substitution chargée d’une famille de substitution elle aussi. Anita écrit également aux vivants,  à sa famille, celle qu’elle a pu connaître, à ses amis, réels ou virtuels, aux réseaux sociaux qui  lui fournissent de la compagnie pour meubler sa solitude. N’y rencontre-t-elle pas de vrais amis et je suis heureux d’en être. Elle écrit aussi à ceux et celles qui peuplent son quotidien : sa femme de ménage, qui est davantage une compagne, au personnel de santé auquel elle a recours, aux commerçants qu’elle rencontre régulièrement et à tous ceux qui ont fait partie de sa vie à un moment donné. Anita a d’autre part des amis qu’elle chérit particulièrement : ses colibris et ses chiens, alors elle écrit à ceux qui lui tiennent compagnie comme à ceux qui sont déjà partis rejoindre le paradis des bêtes à plumes ou à poils. Et elle écrit à d’autres encore,  je ne peux pas les citer tous, car elle n’oublie aucun de ceux qui ont mis de l’amitié et de l’amour dans son cœur, et même à ceux et celles qu’elle n’a pas aimés - ils ne sont pas nombreux -  il n’y en a que deux il me semble, mais elle ne les oublie pas.

 

Anita, c’est un puits d’amour et d’amitié qui déborde sans cesse. En écrivant ces lettres, elle sait qu’elle apportera de l’amour et de l’amitié à ceux qu’elle a aimés, chéris, appréciés, comme le chanteur  Félix Leclerc, le violoniste virtuose David Garrett. Elle s’assure que ce qui devait-être dit est bien dit ; elle a proféré ou susurré son amour, son amitié, son admiration, sa reconnaissance, elle a dit aussi ce qu’elle pensait à ce père indigne qui l’a abandonnée après avoir fait souffrir sa mère, une mère supérieure qu’il a humiliée. Anita est une grande sentimentale mais lorsque les événements l’exigent, elle sait faire preuve de fermeté et d’une réelle autorité. Elle n’aime pas ceux qui n’aiment pas !

 

Anita, je me permets de te tutoyer, nous nous connaissons virtuellement depuis bientôt une dizaine d’années et, sur les réseaux sociaux, nous nous tutoyons depuis bien longtemps,  je ne vais donc pas faire l’hypocrite et t’avouer très honnêtement qu’après la lecture des trois premières lettres, j’ai failli arrêter ma lecture tant l’émotion me submergeait. Mes yeux étaient mouillés, j’ai dû marquer une pause. Tu as su en relatant les temps forts de ta vie mettre une telle intensité dans ton propos qu’il peut bouleverser le lecteur, l’émouvoir aux larmes. Mais ce qui restera de ce recueil épistolaire est une biographie, le récit d’une vie bien mal engagée que tu as su, avec le concours de  ceux qui t’ont entourée un jour ou l’autre, rendre belle et précieuse pour celles et  ceux à qui tu as apporté ton amour, ton amitié, ta compassion, ton savoir et ta grande humanité. Nul n’oubliera ton immense générosité et ta si profonde sympathie.

Et comme tu l’écris partout : VIVE LA VIE !

 

Denis BILLAMBOZ


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Anita et quelques-uns de ses amis dans un café québécois.

Anita et quelques-uns de ses amis dans un café québécois.

Courrier prioritaire d'Anita Vaillancourt
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10 février 2020 1 10 /02 /février /2020 09:06
La vie des fourmis de Maurice Maeterlinck
La vie des fourmis de Maurice Maeterlinck

 

Pour clore la trilogie qu’il a consacrée aux insectes vivant en société organisée, Maurice Maeterlinck, après avoir étudié la vie des abeilles et des termites, s’est intéressé à celle des fourmis qui est encore plus complexe car il existe une diversité énorme de fourmis, différentes d’une espèce à l’autre, vivant selon des principes, des règles et des mœurs complexes eux aussi. « On en a décrit à ce jour six mille espèces qui toutes ont leurs mœurs, leurs caractères particuliers ». Il n’a pas étudié lui-même les fourmis comme il n’avait pas auparavant étudié la vie des termites, il a compulsé les meilleurs auteurs parcourant la presque totalité de la production sur le sujet à la date de la publication de son ouvrage. Rappelons que s’il a publié « La vie des abeilles » en 1901, « La vie des termites » n’est paru qu’en 1926 et  « La vie des fourmis » en 1930.

 

La fourmilière est peuplée par des reines, des femelles fécondées, vivant une douzaine d’années, d’innombrables cohortes d’ouvriers (ou ouvrières ) asexués vivant trois ou quatre ans et de quelques centaines de mâles qui disparaissent au bout de cinq à six semaines. Dans une fourmilière peuvent cohabiter plusieurs colonies avec plusieurs reines et même parfois différentes espèces en plus ou moins bonne harmonie. La fourmilière héberge aussi une quantité de parasites, l’auteur écrit qu’on en comptait, au moment de la rédaction de son ouvrage, « plus de deux milles espèces, et d’incessantes découvertes accroissent journellement ce nombre ». Je n’ai pas eu la curiosité de vérifier cette donnée auprès d’autres sources, la vie et l’histoire de ce monde en miniature sont pourtant fascinantes et permettent de formuler moult élucubrations plus ou moins fantaisistes mais, pour certaines, tout à fait plausibles. L’auteur s’est penché sur cette vie grouillante et pourtant très organisée qui peut évoquer l’humanité à une échelle réduite et peut-être même dotée d’une intelligence au moins comparable. C’est là un vaste champ d’investigation, de réflexion, d’imagination et  de recherche qui ne sera sans doute jamais exploré jusqu’à ses ultimes limites.

 

Pour suivre le préfacier, Michel Brix, nous retiendrons que l’auteur formule deux interrogations à travers cette trilogie : « les insectes sont-ils heureux ? Et quelle spiritualité serait susceptible d’éclairer et de conforter les humains dans leur marche vers une existence plus « sociale », marquée par le renoncement à l’intérêt individuel ?» Ainsi, la trilogie est-elle empreinte de cette double question et principalement ce troisième opus consacré aux fourmis qui sont plus dévouées au collectif que les abeilles et les termites, leur l’esprit de sacrifice étant absolu. Maeterlinck les considère comme les infimes parties d’un tout vivant, à l’exemple d’une cellule d’un corps humain.

 

Certaines espèces de fourmis sont extrêmement évoluées, elles peuvent cultiver des champignons, élever des parasites, moissonner, elles sont encore plus ingénieuses et mieux organisées que les abeilles et les termites. Mais, comme si toute évolution impliquait un esprit hégémonique et conquérant, « seules, entre tous les insectes, les fourmis ont des armées organisées et entreprennent des guerres offensives ». Nombre d'entre elles peuvent aussi causer des dégâts cataclysmiques dans la végétation, dans les villages, partout où leur énorme flot se déverse en un  fleuve tranquille mais dévastateur. Elles ont aussi inventé l’esclavage en contraignant les espèces les moins solides, les moins débrouillardes, à les servir.

 

L’étude de la vie des fourmis bute néanmoins sur de nombreux mystères que la science n’a pu élucider avant la publication de cet ouvrage et pas davantage aujourd’hui, même si la connaissance a probablement évolué depuis la publication de l'opus. Un des problèmes fondamental réside dans l’expansion incessante du nombre des individus, la reine pond sans cesse à un rythme effréné sans qu’aucun système de régulation ne freine le processus de reproduction. Quel pourrait être le but d’une telle frénésie reproductrice ? L’auteur laisse cette question en suspens. Pour clore la trilogie, nous resterons sur une autre interrogation formulée également par Maeterlinck : « Les fourmis iront-elles plus loin ? » Rien ne permet de le dire mais rien n’est impossible, l’accroissement exponentiel du nombre des individus reste une hypothèse plausible et, dans ce cas, l’étendue des dégâts qu’elles causent peut croître elle aussi de façon extraordinaire. Et si cette question n’appartenait pas au seul domaine de la science ? A la lecture de la trilogie, on constate que Maeterlinck n'a pas craint de se la poser.


Denis BILLAMBOZ


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La vie des fourmis de Maurice Maeterlinck
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5 février 2020 3 05 /02 /février /2020 08:52
Le pays du lieutenant Schreiber d'Andreï Makine

Ce livre est un hommage à un homme qui a consacré une part de sa vie à défendre l’honneur de la France. Cet homme est le lieutenant Schreiber. Lui et l’auteur s’étaient liés d’amitié à la suite d’une lettre que le lieutenant avait adressée à Andreï  Makine lors de la publication de « Une France qu’on oublie d’aimer ». Petit-fils de juifs allemands, Jean-Claude Servan-Schreiber était tombé amoureux de la France, comme le sera  Makine, dès sa jeunesse. « La voix que j’ai devinée derrière ses lignes » - précise Makine – « a restauré le seul lien auquel un auteur doive attacher de l’importance : son texte compris et apprécié par un lecteur. » A l’époque de leur rencontre, le lieutenant a 88 ans. Il invite l’écrivain à venir prendre un verre à son domicile. Ainsi commence une émouvante amitié et la rédaction de cet ouvrage qui n’a d’autre but, précise Makine, que d’aider la parole du lieutenant à vaincre l’oubli. Et ajoute-t-il sur la quatrième de couverture : « Je n’aurais jamais imaginé un destin aussi ouvert sur le sens de la vie. Une existence où se sont incarnés le courage et l’instinct de la mort, l’intense volupté d’être et la douleur, la révolte et le détachement. J’ai découvert un homme qui avait vécu à l’encontre de la haine, aimé au milieu de la pire sauvagerie des guerres, un soldat qui avait su pardonner mais n’avait rien oublié. Son combat rendait leur vraie densité aux mots qu’on n’osait plus prononcer : héroïsme, sacrifice, honneur, patrie… »

 

 

Makine aime les hommes qui ont cette foi, cette espérance et  la discrétion, ou mieux  la pudeur. Page 65, il insiste au sujet du jeune lieutenant : «  Son credo de légèreté n’est pas une posture d’esthète. Cette vision qui ne noircit pas le monde ni ne diabolise les hommes, il l’a acquise dans les années où le monde était infiniment sombre et les hommes dans leur cruauté, rivalisaient avec les engeances les plus démoniaquesEt ce très jeune homme oppose à cet univers-là son courage de soldat, sa gaieté de gosse, son sourire de gamin. » En effet, le jeune Schreiber s’est engagé d’emblée dans la guerre et a accepté de traverser l’enfer pour tenter de nous en préserver. Aussi le vieil homme n’a-t-il qu’un désir en contemplant le monde d’aujourd’hui où l’on ne jure que par la mondialisation, où le bougisme est à la mode, où on obéit à la marchandisation et aux capitaux, au pillage d’un continent au profit d’un autre, de permettre à chacun d’entendre l’écho lointain mais lancinant des grands silences de la mémoire et de rappeler aux nouvelles générations ce qui se cachait derrière cet hier meurtrier .

 



Le livre fut dans un premier temps rédigé par Schreiber lui-même mais les refus ne cessèrent de se multiplier malgré les efforts de Makine de persuader les éditeurs de l’intérêt de ce témoignage (qui, grâce à lui et à sa plume, deviendra un hommage). Oui, douce illusion en un temps où « la mentalité ambiante est celle où l’intelligence se doit d’être cynique et où la dérision remplace toute forme de jugement. » Certes, le livre paraîtra mais sera très vite retiré des ventes et les stocks iront au pilon un mois plus tard sans que la voix du lieutenant Schreiber ait été entendue. Si bien « que le jeune soldat s’est figé sur une couverture de livre destiné à être réduit en poussière de papier. » C’est alors qu’Andreï Makine prend le relais afin que soient connus le destin et le courage de ce soldat et que son message de dignité ne reste pas lettre morte et soit transmis aux nouvelles générations.


Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE


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L'art d'écrire selon Andreï Makine  

 

Andreï Makine ou l'héritage accablant  

 


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Le colonel Jean-Claude Servan-Schreiber

Le colonel Jean-Claude Servan-Schreiber

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3 février 2020 1 03 /02 /février /2020 08:15
La vie des termites de Maurice Maeterlinck

 

Passionné d’apiculture, Maurice Maeterlinck a voulu tenter de comprendre comment s’organisent les insectes qui vivent en colonie, sonder les mystères de la ruche, de la termitière et de la fourmilière pour percer les secrets des lois et principes qui régissent leurs existences. Dès 1901, il a publié un essai sur la vie des abeilles et, en 1927, publié le second tome de sa trilogie qu’il consacre aux termites. La démarche est un peu différente, il connaissait bien les abeilles et il pratiquait lui-même des expériences. Concernant les termites, il nourrit sa réflexion à la source des travaux pratiqués par les grands entomologistes spécialisés dans l’observation de leur organisation sociale et de leurs mœurs et en récoltant des témoignages de voyageurs ou d’expatriés ayant séjourné dans des pays où les termites sont implantés.

 

A l’époque où Maeterlinck rédigea ce livre, on estimait qu’il existait sur la planète entre douze et quinze cents espèces de termites dont on ne connaissait les mœurs que d'une centaine environ. Cette multitude d’espèces implique qu’il existe des différences conséquentes entre elles et que, probablement, elles ne sont pas toutes au même stade de leur évolution. L’auteur a donc concentré son étude sur les espèces les plus connues.

 

Le termite est un destructeur dévastateur, les colonies sont très peuplées, les individus se comptent par millions et peuvent anéantir en un temps record des constructions monumentales, des plantations, des objets divers composés de cellulose ou de matériaux à base de cellulose. C’est un véritable fléau qui pourrait prendre d’autres proportions avec le réchauffement de la planète et Maeterlinck avait déjà émis une hypothèse dans ce sens. Et pourtant, cet insecte est des plus vulnérables, la fourmi son grand prédateur en vient très facilement à bout. Sa seule défense est de calfeutrer totalement la termitière afin que la fourmi ne trouve aucune faille pour s'y introduire. « Il n’est pas être plus déshérité que le termite. Il n’a pas d’armes défensives ou offensives. Son ventre mou crève sous la pression d’un doigt d’enfant ».

 

La termitière héberge une ou plusieurs reines totalement hypertrophiées ne servant qu’à pondre en continu des millions d’œufs ; quelques rois chétifs  asservis, reclus dans un coin de la case de la reine qu’il féconde ; des adultes ailés qui ne font qu’une apparition éclatante, tragique et éphémère ; des ouvriers, estomacs et ventres de la communauté ; des soldats handicapés au point de ne pas pouvoir se nourrir seuls et privés de sexe. Il semble que le pouvoir repose sur la collectivités des ouvriers qui ne poursuit qu’un seul objectif : la survie et la perpétuation de l’espèce. Ce système collectiviste poussé à son extrême a permis aux termites, malgré un système social moins élaboré que celui des abeilles, de surmonter les énormes chamboulements subis par la planète depuis l’ère primaire où certaines espèces sont déjà attestées.

 

Les termites sont aveugles et ne supportent pas la lumière, ils ne supportent pas davantage les différences de température, ils ont donc appris à construire des tunnels pour se déplacer à l’extérieur et ils savent réguler la température dans la termitière dont la partie souterraine est souvent plus importante que la partie hors sol. « Dans la sombre république stercoraire, le sacrifice est absolu, l’emmurement total, le contrôle incessant. Tout est noir, opprimé, oppressé. Les années s’y succèdent en d’étroites ténèbres. Tous y sont esclaves et presque tous aveugles ». Le repos n’existe pas dans cet univers étroit, la maladie est immédiatement sanctionnée, toute défaillance est un arrêt de mort. Les termites ne jettent rien, ils mangent leurs déjections et les morts, y compris les victimes de leurs sacrifices. Ainsi ont-ils inventé la communauté sans déchets. Au fil des millénaires, ils ont appris à ne se nourrir que de cellulose en faisant pré-digérer celle-ci par des protozoaires dont ils mangent les déjections. A l’abri des prédateurs, et malgré leur fragilité, les termites sont autosuffisants et capables de supporter des conditions extrêmement difficiles.

 

A travers l’étude des termites et de leur formidable capacité à traverser les ères géologiques et les époques, Maurice Maeterlinck s’interroge sur l’évolution des espèces qui, plus elles approchent de leur idéal, plus leur système social se perfectionne, plus il est efficace, plus la notion de sacrifice semble se développer. La discipline devient plus sévère confinant à une tyrannie quasi intolérante et intolérable. L'auteur, comme il l’avait déjà fait en étudiant les abeilles, projette l’organisation sociale, les mœurs, le mode de vie des termites dans le genre humain et essaie d’en tirer des enseignements pour l’avenir de l’humanité. Il pousse très loin sa réflexion, la conduisant, au-delà de la philosophie, aux confins de la science-fiction et du mysticisme. Cette réflexion est passionnante et elle laisse la place à de nombreuses hypothèses et à l’imagination de chacun…

« Voilà des millions d’années que les termites s’élèvent vers un idéal qu’ils semblent à peu près atteindre. Que se passera-t-il quand ils l’auront entièrement réalisé ? » Une question qui conduit directement à s’interroger sur l’avenir et la fin éventuelle de l’humanité.


Denis BILLAMBOZ

 

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Termites

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27 janvier 2020 1 27 /01 /janvier /2020 08:38
La vie des abeilles de Maurice Maeterlinck

Prix Nobel de littérature en 1911, Maurice Maeterlinck fut aussi un grand apiculteur. Impressionné par l’organisation sociale des abeilles, il a étudié leur vie et celle des autres insectes vivant en colonies organisées : les termites et les fourmis. De ces études, il a tiré une trilogie que je présente ci-dessous en trois parties.

 

 

La vie des abeilles

Maurice Maeterlinck (1862 – 1949)

 

Maurice Maeterlinck est non seulement un écrivain dont le talent a été reconnu par l’Académie suédoise qui lui a décerné le Prix Nobel de littérature en 1911, mais il est aussi un grand admirateur et un vrai spécialiste des apidés. Il maitrise la pratique de l’apiculture et connait la science des « apitologues ». Il a écrit cet ouvrage, publié en 1901, pour exprimer sa passion pour ce monde très mystérieux et surtout pour le faire mieux connaître de ceux qui le considèrent trop souvent comme le fournisseur du miel dont les membres peuvent, à l’occasion, user de leur dard pour infliger de douloureuses piqûres. Il précise lui-même : « Je n’ai pas l’intention d’écrire un traité d’apiculture ou d’élevage des abeilles ». Il en existe suffisamment.

Il a construit cet ouvrage en suivant le cycle de la vie d’une colonie s’éveillant à la fin de l’hiver quand les toutes premières fleurs titillent les sens des butineuses. La ruche se met alors en mouvement, une sorte de frénésie s’empare des abeilles et le cycle annuel recommence « « la formation et le départ de l’essaim, la fondation de la cité nouvelle, la naissance, les combats et le vol nuptial des jeunes reines, le massacre des mâles et le retour du sommeil de l’hiver ».

Maurice Maeterlinck est un écrivain talentueux, il raconte la vie des abeilles avec passion et précision, rendant son texte accessible à tous même si le monde des abeilles est fort complexe et qu’il n’est pas facile d’essayer d’en percer les mystères et de les décrire sans pouvoir réellement les comprendre. Il connait la littérature sur le sujet et il a lui-même pratiqué de nombreuses expériences pour conforter des données déjà connues ou pour valider des choses qu’il avait constatées sans qu’elles soient encore démontrées. Mais c’est aussi un poète qui voit dans le monde des abeilles beaucoup plus qu’une simple société d’insectes structurée autour de deux principes : la collectivité qui prime sur tout et l’avenir du monde des apidés soit la perpétuation de l’espèce. J’ai ressenti dans son texte une sensibilité, une certaine tendresse, dépassant ces simples notions scientifiques et existentielles.

Dans sa préface, Michel Brix, éclaire un autre aspect de cet essai : son sens philosophique. Il écrit : « Dans la vie des abeilles, le modèle de l’écrivain belge est clairement Novalis représentant de la Naturphilosophie, et dont l’œuvre allie les sciences naturelles à la poésie et la spiritualité ». Maurice Maeterlinck n’est pas seulement un écrivain qui se pique de passion pour la science et plus particulièrement celle des « apitologues », c’est également un poète, comme je viens de l’écrire, et un philosophe qui cherche dans ses observations à comprendre le fonctionnement d’une société d’insectes dont il pourrait étendre les conclusions à l’humanité. Il a cherché chez les abeilles non seulement le comment mais aussi le pourquoi de la vie humaine et des grands mystères qui en dictent tous les moments critiques, décidant de l’existence terrestre même. Mais qui est donc le décideur supérieur qui commande aux abeilles de se mettre en vol pour trouver une nouvelle demeure et ainsi perpétuer l’avenir de l’espèce ? Et, des questions comme celles-ci, Maeterlinck en soulève un certain nombre en les projetant au niveau du genre humain.

Ce texte est un véritable plaidoyer pour le travail collectif et l’instinct de conservation de l’espèce que les abeilles démontrent dans toutes les phases de leur existence, mais cette abnégation et ses conséquences ont un prix. « A mesure que la société s’organise et s’élève, la vie particulière de chacun de ses membres voit décroître son cercle. Dès qu’il y a progrès quelque part, il ne résulte que du sacrifice de plus en plus complet de l’intérêt personnel en général » (propos de l’auteur cités par le préfacier). Alors quels sont les enseignements que les hommes peuvent retirer de l’observation de l’organisation et du fonctionnement du monde des insectes qui vivent en colonies organisées ? Ceux qui liront ce texte en tireront peut-être quelques enseignements sans pour autant emprunter les sentes du mysticisme parcourues par l’écrivain philosophe et scientifique belge. Il n’a pas résolu les grandes énigmes de la vie mais il a ouvert des portes pour ceux qui voudraient poursuivre ses réflexions.

Intelligence collective, spécialisation des individus, sélection naturelle, sens de l’avenir sont des éléments essentiels de l’étude de l’auteur et, pour conforter ses analyses et ses projections sociales, philosophiques et même mystiques, il a, vers la fin des années vingt du XXe siècle, écrit deux autres ouvrages consacrés à des insectes vivant en colonie : « La vie des termites » publiée en 1927 et « La vie des fourmis » parue en 1930 , construisant ainsi une trilogie consacrée à l’étude des insectes dont les trois parties sont souvent regroupées. Bartillat vient de rééditer les trois tomes séparément mais simultanément, je commenterai les deux autres dans les semaines à venir.

Denis BILLAMBOZ


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Maurice Maeterlinck

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25 janvier 2020 6 25 /01 /janvier /2020 09:34
Dostoïevski ou la fraternité universelle

 

Roman de Fédor Dostoïevski ( 1821 - 1881 ), les Frères Karamazov est l’œuvre capitale de ce grand écrivain russe, moins bien construite sans doute que Crime et Châtiment, mais d’une intensité de conception et d’analyse remarquable. Le livre se présente sous la forme d’une chronique narrant l’histoire de la violente inimitié qui oppose, dans le cadre d’une petite ville russe, un père et ses fils. La famille Karamazov se compose du vieux Fédor et de Mitia, Ivan et Aliocha ses fils légitimes, ainsi que de Smerdiakov, son fils illégitime. Ce dernier, victime d’une lourde hérédité, est un cynique libertin qui vit en serviteur chez son père et dont l’exemple se révèle être des plus néfastes pour ses frères. Aliocha est le seul qui semble être exempt des tares paternelles. Il est élevé dans une atmosphère très religieuse par le moine Zosime. L’aîné, le lieutenant Mitia, est un impulsif, orgueilleux, cruel et sensuel, mais capable également d’actes de générosité et d’élans de bonté et de sacrifice. Ayant appris que son supérieur, le père de la belle Katia dont il est amoureux, avait soustrait une grosse somme à la caisse du régiment, il fait savoir à la jeune fille qu’il est prêt à sauver son père, mettant cette somme d’argent à sa disposition, à condition qu’elle vienne la chercher elle-même, de façon à la mettre dans une situation de dépendance vis-à-vis de lui. Toutefois, quand Katia se présente, il s’émeut et s’effraye de sa propre bassesse et lui remet la somme promise sans rien exiger. Mais, bientôt, il est bouleversé par un nouvel amour, purement sensuel, envers une femme capricieuse et infidèle du nom de Groucha que le vieux Fédor aime aussi.

 

 

 

Contrairement à son frère Mitia, Ivan est un être raffiné, violemment sceptique, niant l’existence de Dieu et l’intérêt de la charité envers son prochain, bien qu’animé inconsciemment d’une foi latente. Il aime Katia dont il partage la complexité de caractère, mais il se refuse à admettre cet amour. Ce sentiment fait naître chez le jeune homme une haine secrète envers son frère Mitia, lequel lui abandonne volontiers la jeune fille. Quant à Smerdiakov, épileptique et irresponsable, il représente, explique et illustre les raisons des sinistres théories d‘Ivan.


 

 

Ces rapports complexes forment le pivot du roman. Toutefois la haine à l’égard du vieux père réussit à établir un certain lien entre les trois frères. Le vieux Fédor est pour Mitia un rival, pour Ivan un être méprisable, pour Smerdiakov un maître autoritaire et dédaigneux et, pour tous les trois, celui qui détient l’argent qu’ils souhaiteraient posséder. Bientôt l’idée d’un parricide se dessine au plus profond de la conscience froide d’Ivan. Avec sa prescience de malade, Smerdiakov le devine et Ivan, sachant tirer profit de son intuition, le poussera à l’action. Peu après avoir accompli ce crime téléguidé, le malheureux se suicidera. Mais les apparences se révèlent être contre Mitia que l’on interne à tort. C’est alors qu’Ivan, sortant de son étrange torpeur spirituelle, va tout tenter pour sauver son frère des travaux forcés. Aliocha qui, dans le projet initial de l’auteur, devait être le héros principal, ne joue en définitive qu’un rôle de spectateur. C’est lui qui recevra la confession de ses frères, mais, bien que comprenant leurs drames, ne parviendra pas à les aider. Quand, par la suite, il se consacrera aux bonnes œuvres, ses initiatives se révèleront plus heureuses.

 

 

Ce roman est représentatif de ce qui, après le déclin du naturalisme, fut appelé le   roman d’idées et servit de tremplin aux inquiétudes de l’esprit européen. Dostoïevski, mieux que dans ses œuvres précédentes, y démontre que la littérature doit servir à révéler les innombrables problèmes que l’homme porte en soi sans se les avouer, ni oser les affronter. Dans son ensemble, Les frères Karamazov est une vaste analyse de l’âme humaine considérée uniquement sous l’angle de la morale. Mitia formule ainsi cette opinion : « Le cœur des hommes n’est qu’un champ de bataille où luttent Dieu et le diable ».
 

 

En effet, un profond manichéisme plane sur l’ensemble du récit. D’un côté nous voyons Aliocha, créature touchée par la grâce mais non à l’abri d’une hérédité paternelle qui l’affecte à maintes reprises, de l’autre un Smerdiakov envahi par la gangrène et totalement privé du sens des responsabilités et qui, néanmoins, sera apte au dernier moment à commettre son crime et à se donner la mort. Entre ces deux pôles, se tiennent Mitia, le passionné, et Ivan, le tourmenté, l’un passif, l’autre un rêveur fou et implacable et, tous deux, ne parvenant pas à justifier les raisons de leurs actes.


 

 

Dans ce roman touffu, d’une puissance indiscutable, Dostoïevski exprime mieux qu’ailleurs l’idée qu’il se fait de son destin de chrétien et d’écrivain et des deux forces qui dominent sa propre âme : d’une part, la foi en la bonté cachée de la nature humaine, de cette bonté qui se révèle sous la forme chrétienne d’une solidarité humaine infinie ; d’autre part, la constatation d’une misère atavique qui tend continuellement à pousser l’homme vers l’abîme. A cette attitude pascalienne viennent se mêler des ombres maléfiques, le jeu caché du bien et du mal. Le développement ultérieur de ce roman, qui aurait dû comporter le récit de la vie d’Aliocha retiré dans un monastère et dont la seconde partie ne fut jamais achevée*, avait pour objectif de prouver le triomphe de l’état mystique, marqué du signe de la fraternité universelle, sur la logique inhumaine d’Ivan et sur le dualisme inhérent à l’homme. C’est d’ailleurs à cette fraternité universelle, au nom du Christ, que Dostoïevski aspira sa vie durant, sans pouvoir la réaliser pleinement dans son œuvre, ce qui rend celle-ci d’autant plus significative du destin chaotique et douloureux de l’homme.

 

* Dans cette seconde partie, Dostoïevski aurait exposé la genèse des faits qui devaient marquer la vie d’adulte d’Aliocha. Mais L’histoire d’un grand pêcheur, dont l’auteur conserva certains plans et quelques notes, resta inachevée.

 

 

 

Autres articles concernant des écrivains russes :

 

Léon Tolstoï : relire Guerre et paix

 

Alexandre Pouchkine ou l'empire des mots

 

Boris Pasternak ou l'intensité tragique

 

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22 janvier 2020 3 22 /01 /janvier /2020 10:15
La propriété de La Rivière à Nantes et ses 18 hectares de jardins paysagés

La propriété de La Rivière à Nantes et ses 18 hectares de jardins paysagés

Mon grand-père Charles-André dans son bureau des pépinières Caillé.

Mon grand-père Charles-André dans son bureau des pépinières Caillé.

Nantes fut longtemps l’une des villes les plus attrayantes de France. La cause principale fut d’abord l’import et l’export des métaux puis la traite négrière, dont elle n’a pas à s’enorgueillir, et qui déversaient beaucoup d’or dans les coffres, si bien que des réceptions fastueuses s’y succédaient dans les hôtels de ces Messieurs du commerce comme l’était l’hôtel Henri IV, ouvert en 1788 sur la place Graslin et qui comptait 60 chambres. Arthur Young dut y faire un séjour inoubliable, car cet anglais en fait une description enthousiaste dans Voyage en France. «  Je ne sais si l’hôtel Henri IV n’est pas la plus belle auberge de France. »

 

 

«  D’où vient-il que cette ville qui n’est pas immense, constituée au trois-quarts d’immeubles de sous-préfecture (…) donne si fortement le sentiment d’une « grande ville » ? – interroge à son tour Julien Gracq dans « La Forme d’une ville ». « Peut-être de ce qu’elle est, plus impérieusement qu’une autre, centrée sur elle-même, moins dépendante de ses racines terriennes et fluviales…» – répond-t-il. Et c’est vrai que l’on ne comprend pas Nantes si on ne la regarde pas comme une ville étrangère à sa propre région, comme une cité farouche et frondeuse, ouverte davantage sur les pays du Nouveau monde que sur les banlieues rurales trop occupées à coudre à petits points la vie quotidienne. Il faut à Nantes l’aventure, les terres lointaines, les grands souffles, les lendemains qui chantent ou déchantent mais s’irriguent d’une énergie insatiable. Ville de défis et de modernité, elle a toujours souhaité être différente et s’est nourrie de cet orgueil. Nantes, à la veille de la Révolution, était avec ses 90.000 habitants la plus grande ville bretonne, également la plus remuante, la plus ambitieuse, en quelque sorte la plus extrême, tant et si bien que nos rois ont toujours eu à cœur de l’amadouer. C’est ce que fit Charles VIII qui vint y déclarer sa flamme à la duchesse Anne âgée de 15 ans et, par la même occasion, annexer la Bretagne à la couronne de France.


 

Aujourd’hui où les villes s’étendent jusque dans les campagnes, où les usines s’implantent jusque dans les champs, où les publicités s’affichent jusque sur les murs des étables et des granges, l’existence se nivelle de même façon. L’espace perd de son importance, il se noie dans un flou où les idées elles-mêmes ne se reconnaissent pas. On ne sait plus où commencent et finissent les choses et à qui elles appartiennent. Mais en 1780, l’existence s’écoulait encore à la mesure du pas de l’homme. Elle avait cette lenteur majestueuse qui confère aux gestes leur signification. Le premier Charles Caillé de la lignée, ayant le goût de l’aventure et du commerce, avait quitté sa modeste cité de St-Laurent-le-Vieil pour s'engager dans une existence plus aventureuse, tout en conservant  son amour des choses qui envoûtent : les arbres, les plantes et les fleurs. Ce devait être un poète comme le furent son fils, son petit-fils et son arrière-petit-fils mon grand-père, des hommes qui avaient par-dessus tout l’amour du terroir, le  souci de léguer un art de vivre et de contempler ce qui nous a été donné de meilleur : la nature.

                              

La plaque relatant la donation du parc Procé à la ville de Nantes.

La plaque relatant la donation du parc Procé à la ville de Nantes.

Le parc Procé de nos jours.

Le parc Procé de nos jours.

Nantes est la ville de mes ancêtres depuis le XVIIIe siècle. La lignée des Charles Caillé, commencée en 1780, ne s’éteindra qu’avec la disparition de mon grand-père en 1945. La ville de Nantes doit le parc Procé à un cousin de mon grand-père Gustave Caillé, né en 1824 et mort en 1894 qui était négociant en matériaux et dont les descendants, dont le célèbre poète et avocat Dominique-François Caillé (1856 – 1926), en feront don à la ville en 1905 pour la somme symbolique de 320.000 frs. Ce magnifique jardin, acheté en 1866 par Gustave, sera réaménagé par l’architecte-paysagiste Dominique Noisette et conserve aujourd’hui encore la physionomie qu’il avait autrefois. Durant la guerre de 14/18, il sera utilisé en partie pour remédier à la pénurie de nourriture et des parcelles seront plantées de pommes de terre grâce à la main d’œuvre des prisonniers. Mon grand-père déplorera toujours que le parc Procé n’ait pas été dessiné par un Charles Caillé mais, à l’époque, si mon arrière-grand-père avait admirablement développé les pépinières de la famille, il n’était pas lui-même architecte. Par esprit de compétition, il incitera son fils à entrer aux Beaux-Arts et à le devenir afin de créer à son tour, quelques années plus tard, les magnifiques jardins de La Rivière, près du pont de Cens, sur 18 hectares de terrain. Ces jardins comprenaient toutes les expressions qu’ils peuvent revêtir selon les lieux et les préférences végétales de la nature et étaient réputés dans la région :  on y découvrait, au gré des allées, les jardins à la française, à la japonaise, à l’anglaise, le jardin hollandais, alpin, italien, distribuant, comme dans les tableaux de maître, des touches d’ombre et de couleur qui révélaient un incontestable talent – écrivait Monsieur Grand dans un long article de la revue d’horticulture française consacré aux jardins et pépinières de la Rivière. Et il poursuivait :

« Au nombre des maisons nantaises qui se sont spécialisées, avec un rare mérite, dans ce domaine si captivant des pépinières et de l’architecture paysagère, l’une d’elles, consacré par un siècle et demi d’expérience, retient aujourd’hui notre attention, nous avons nommé la maison Charles Caillé. Le côté historique du sujet nous fait remonter le cours des ans jusqu’au règne de Louis XVI, en 1780 pour être précis. C’est à cette époque, en effet, que M. Charles Caillé fondait ses premières pépinières, berceau de la splendide exploitation d’aujourd’hui. Depuis cette date, collaborant tour à tour au bel édifice de l’Horticulture Française, les fils aînés de la famille qui, selon une tradition, portèrent tous le prénom de leur ancêtre, continuèrent avec clairvoyance et droiture l’œuvre de leur aïeul. (…) Ces pépinières de la Rivière, entièrement conçues et réalisées en dix ans, sous la direction de M. Charles André Caillé, après de formidables travaux de terrassement, révèlent à nos yeux émerveillés, comme une immense carte d’échantillons, tout ce que peut réaliser la science du pépiniériste à chacun de ses stades, alliée à la technique de l’architecture paysagiste. (…) L’architecte paysagiste, vraiment digne de ce nom, unit à une vaste expérience, à des connaissances techniques longuement acquises, cette sorte d’instinct divinatoire qui anime toute son œuvre et nous fait dire : que c’est beau ! Loin d’essayer de dompter, d’asservir la nature, le jardinier d’art puise au contraire dans ce modèle éternel et toujours jeune les plus précieux enseignements. C’est à son école qu’il apprendra cet art prestigieux des transitions qui consiste à raccorder son œuvre au paysage environnant, c’est elle qui lui enseignera à distribuer ces touches d’ombre et de lumière qui révèlent le réel talent. C’est la Nature qui lui apprendra enfin à orchestrer sans heurt, à réunir dans une même symphonie un ensemble de paysages idéalisés et poétisés, en un mot à composer un jardin. (…) Signalons notamment une collection unique de quatre cents conifères, la merveilleuse roseraie qui réunit près de deux mille espèces, le jardin fruitier, l’arboretum dont M. Charles Caillé fait volontiers les honneurs aux jeunes élèves des écoles d’horticulture. Les Pépinières de la Rivière se sont également spécialisées avec  infiniment de soin dans la culture des bambous, cette superbe graminée tropicale aux belles cannes luxueuses, aux feuilles persistantes en toute saison et qui est sans contexte un des plus beaux ornements de nos jardins. Ce sont des spécimens des espèces les plus recherchées que les établissements, que nous étudions, expédient comme les autres plantes dans toute la France et à l’étranger. (…) Ajoutons quelques mots sur ces services d’expédition dont nous venons de parler qui sont précisément situés au voisinage du siège social, des bureaux d’études et de devis, rue du général Buat, emplacement centenaire des pépinières Charles Caillé avant la création du domaine de la Rivière.(…) Qu’il nous soit permis, en terminant, d’adresser nos félicitations à M. Charles Caillé pour ses splendides réalisations des pépinières de la Rivière, pour leur bel ordonnancement, pour les soins attentifs et continuels, cette sorte de tendresse, dirions-nous volontiers, qu’il témoigne aux choses de sa profession, justifiant de la sorte une réputation de loyauté dans les transactions, de progrès technique conformes aux traditions les plus séculaires de la maison. »

Mon grand-père enfant. Tombé d'un arbre à 9 ans, il avait un oeil de verre.

Mon grand-père enfant. Tombé d'un arbre à 9 ans, il avait un oeil de verre.

Assis, mes arrière-grands-parents Alexandre et Aimée Justeau. Derrière eux, de droite à gauche, leur fille Jeanne, leur gendre Charles et leur fils officier.

Assis, mes arrière-grands-parents Alexandre et Aimée Justeau. Derrière eux, de droite à gauche, leur fille Jeanne, leur gendre Charles et leur fils officier.

Le drame de mon grand-père fut d’avoir épousé une femme qui ne partageait pas ses goûts, mariage arrangé par les familles et qui unissait, pour le pire, le rat des villes et le rat des champs. Ma grand-mère était aussi peu rurale que possible, elle n’entendait nullement s’investir dans  la culture des magnolias, des roses et des camélias, cette fleur dont l’aînée de ses belles-sœurs connaissait tous les secrets, au point qu’à Nantes on l’appelait « mademoiselle camélia », et qu’elle l'obligea à sortir du couvent pour venir prêter main forte à son malheureux frère. Le couple ne fut pas long à battre de l’aile malgré la naissance de deux filles, l’aînée Yvonne et la cadette Jeanne, ma mère, qui ne semblaient, ni l’une, ni l’autre, avoir été sensibilisées par leur mère à l’art si délicat des jardins et des fleurs. De plus, n’ayant que deux filles, le dernier des Charles Caillé ne pouvait léguer à un fils, qu’il aurait appelé Charles bien entendu, ce magnifique patrimoine, bien qu'il ait toutefois tenté d’initier ma tante Yvonne au secret de l’horticulture comme il l’avait fait pour sa sœur aînée Charlotte. Hélas ! sa femme allait bientôt l’obliger à une séparation, suivie d’un divorce, alors que leurs filles n’avaient que 19 et 15 ans. Ce fut un drame pour mon grand-père qui, malgré tous les recours possibles du cœur et de l’esprit, ne parvint pas à raisonner son épouse. Il est vrai que leurs tempéraments, comme leur éducation, étaient à l’opposé l’un de l’autre et que la famille Caillé, austère et pieuse, ne parvint jamais à éveiller un quelconque intérêt chez une jeune femme dont la famille aimait davantage le luxe et les mondanités. Les trois soeurs de mon grand-père étaient restées célibataires, toutes trois consacrées à la famille, à leur foi religieuse et à leur implication dans l’entreprise familiale. La rupture se fit de façon implacable de la part de ma grand-mère qui exigea que ses filles ne revoient jamais leur père qu’elle jugeait taciturne et colérique. Comme elles étaient jolies et auréolées d’un nom connu à Nantes, elles n’eurent pas de peine à trouver des maris à une époque où le divorce avait très mauvaise presse et jetait l’opprobre sur toute une famille. Ni mon grand-père, ni ma grand-mère ne se remarieraient d’ailleurs.

 

L'une des trois soeurs de mon grand-père, la plus jolie : Juliette. Elle consacrera sa vie à sa mère, à son frère, à Dieu et aux fleurs.

L'une des trois soeurs de mon grand-père, la plus jolie : Juliette. Elle consacrera sa vie à sa mère, à son frère, à Dieu et aux fleurs.

Ma grand-mère et ses deux filles.

Ma grand-mère et ses deux filles.

 En 1941, ne pouvant assurer sa succession, mon grand-père  se vit dans l’obligation de vendre cette affaire, qui était sa fierté, à un certain monsieur Kaczorowski. Les pépinières seront alors abandonnées et le château de la Rivière dynamité par les Allemands le 12 août 1944. Reconstruit après la guerre, il ne sera pas de même ampleur et, en 1956, M. Kaczorowski, ne pouvant utiliser à son usage les 18 hectares de terre, les vendra pour la création d’un lotissement de pavillons individuels, appelé aujourd’hui « le lotissement de la Rivière ». Mon grand-père, mort en 1945, à l’âge de 68 ans, n’eut pas à assister au bétonnage inéluctable de ses anciens jardins mais la douleur d’abandonner le flambeau que des générations s’étaient transmis depuis près de deux siècles. Ses trois sœurs resteront seules, à l’abri du besoin certes, et n’en voudront jamais à leurs nièces de leur attitude et comportement en vraies chrétiennes qu’elles étaient, supposant que la mère était la seule responsable. Je me souviens très bien de mes grandes tantes, ces vieilles dames nourries de culture botanique qui m’entouraient de leur tendresse, me couvraient de cadeaux – spécialement des livres sur la vie édifiante des saints et des bienheureux et d’innombrables images à leur effigie – lorsque, nous rendant sur une plage bretonne, nous faisions un détour par Nantes et allions leur rendre visite, leur frère ayant gagné le jardin éternel.

 

Quant à ma grand-mère, elle semblait vivre hors du temps. Bien qu’assez quelconque sur ses photos de jeunesse, elle était devenue belle en vieillissant, sa minceur lui conférant une allure altière et ses cheveux blancs une indiscutable distinction. Pour ne pas rester seule après le mariage de ses filles, elle s’était installée auprès d’elles à Paris avec une dame de compagnie, qui n’était autre que la seconde femme de son frère, une ancienne religieuse qui était sortie du couvent pour élever les trois enfants en bas-âge de cet officier qui avait eu le malheur de perdre, quelques années auparavant, sa jeune femme de 25 ans de la typhoïde. Bien qu’inconsolable, il lui avait fait un enfant, puis était parti guerroyer sur divers fronts avant de mourir, au détour de la cinquantaine, d’un cancer. Les deux femmes s’entendaient bien, d’autant mieux que la belle-sœur se chargeait des tâches ménagères et que ma grand-mère pouvait ainsi passer des heures gourmandes dans les salons de thé. Elle adorait les salons de thé et Paris n’en manque pas.


Lorsque les choses se gâtèrent en 1942, toutes deux partirent se réfugier à Buxières-les-Mines près de Moulins, où vivaient les parents de la belle-sœur, ayant à leur disposition, contrairement aux parisiens, des poules, des lapins, un potager et un verger pour assurer leur alimentation. C’est ainsi que l’on m’envoya petite y passer plusieurs mois pour arrondir ma silhouette qu’affligeait une maigreur inquiétante. J’étais, en effet, une enfant malingre, aux genoux cagneux, que l’air de la campagne, la découverte des fruits et du lait  allaient remettre sur pied. En 1945, trois mois après m’y avoir conduite, mes parents vinrent me rechercher à bicyclette, retrouvant une petite fille aux joues roses et aux genoux moins cagneux. Je me souviens du plaisir que j’avais alors à manger, découvrant les tartes aux fruits, les légumes frais et surtout les laitages comme le riz ou le tapioca dont je léchais les casseroles avec gourmandise pour y apprécier le goût de caramel laissé par les céréales que ma grand-mère avait oubliés sur le feu. Je découvrais également, quelques années avant le Rondonneau, les fleurs, les arbres, les oiseaux, la nature si peu présente à Paris et l’orage dont la foudre tomba un soir sur le clocher du village, suscitant une peur tout aussi grande que celle des sirènes ou du passage des bombardiers allemands qui terrorisaient mes nuits d'enfant.

 

 

Ma grand-mère mourut un an après son mari, en 1946 à l’âge de 65 ans, et ses obsèques furent célébrés  avec faste en l’église Saint-Augustin. Ma cousine et moi suivions le corbillard, tout vêtues de noir, à travers les rues de la capitale qui conduisaient de son appartement à la lourde église parisienne. Bien sûr, je pleurais car j’aimais bien ma grand-mère qui venait souvent passer de longs moments à la maison et avec qui j’avais partagé les heures printanières de Buxières-les-Mines. Mais de mon grand-père, si talentueux, amoureux de la musique et des fleurs - il avait orienté ma mère vers le conservatoire de chant - je n’ai pratiquement rien su car on ne parlait jamais de lui dans la famille. Son absence m’a laissé un vide immense. Cet aïeul aux mains vertes, je l’ai cherché et recherché après la disparition de ma mère, ayant enfin accès aux archives familiales, interrogeant mes cousines, ma tante, qui a quitté ce monde plusieurs années après ma mère et s'est montrée plus loquace sur ces vieux jours, lisant et relisant les lettres, les articles de journaux et, grâce à internet, ayant accès à des documents et photos qui ont confirmé mes impressions. Voilà, cher grand-père, l’hommage que je voulais rendre à ton parcours admirable, à ton talent vanté par tes contemporains ; n'as-tu pas ta rue à Nantes, près du pont de Cens*, en reconnaissance des immenses services que tu as rendus au jardin des Plantes de Nantes et à la beauté des jardins que tu as créés à la Rivière. Quant à moi, je salue  ton sens du devoir, je m'émeus  du souci que tu n’as cessé de te faire au sujet de tes filles, de ton chagrin de les voir s’éloigner et d’avoir tout perdu à la suite de ce divorce qui t’a contraint à vendre la Rivière et à ne pas transmettre à un gendre ou à ta fille aînée l’œuvre de plusieurs générations de jardiniers d’art. Mais vois-tu, il s’est passé quelque chose qui me console un peu, mon père a souhaité que sa femme repose dans le caveau familial au cimetière Saint-Donatien de Nantes, où il l’a rejoint l’année suivante. Alors, vois-tu, grand-père, ta plus jeune fille a fini par rentrer à la maison pour y reposer en paix.
 

ARMELLE

* Il existe également une rue Marie-Biton Caillé, membre de notre famille, dont les terres s'étendaient depuis l'actuelle avenue Charles Caillé jusqu'à la rue du général Buat où se tenaient les bureaux des pépinières, soit au N° 15 de cette artère. La dénomination "Avenue Marie-Biton Caillé" a été officialisée par une lettre d'autorisation du maire Paul Bellamy en date du 22 novembre 1924 adressée à Charles Caillé qui avait présidé lui-même à l'aménagement de cette voie sur ses terrains.


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Mon père, retour sur le passé
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Arthur, mon arrière grand-père, une histoire simple

Le Rondonneau, retour à ma maison d'enfance
Renée ou l'enfance réenchantée

Les Pâques de mon enfance au Rondonneau

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Ma grand-mère et ses deux filles dans le parc de La Rivière.

Ma grand-mère et ses deux filles dans le parc de La Rivière.

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