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29 avril 2016 5 29 /04 /avril /2016 10:24
Cette nuit la mer est noire de Florence Arthaud
Cette nuit la mer est noire de Florence Arthaud

J’ai toujours eu pour elle une immense admiration. Son courage, son énergie, son insolence, son panache, tout en elle provoquait mon enthousiasme. Sa mort brutale, le 9 mars 2015, dans un accident stupide d’hélicoptère avec d’autres jeunes champions, m’avait bouleversée. Aussi ai-je lu son livre,  « Cette nuit la mer est noire », publié un an après sa disparition, avec émotion et un intérêt grandissant tant il est rédigé avec naturel, simplicité et talent. On y retrouve Florence dans toute sa spontanéité et son intelligence, sa gentillesse aussi, sa passion absolue pour le grand large mais également son amour des siens et de la nature, sans oublier son chat Bylka qui restera seul sur son bateau à la dérive pendant 24 heures. Nous sommes le 29 octobre 2011, Florence fête ses 54 ans et a envie d’être seule en mer pour cette occasion. C’est ainsi. Ce soir-là, elle est en Méditerranée,  au large du Cap Corse et navigue  en direction de Marseille. Subitement, une vague va la renverser alors qu’elle se trouve à  l’arrière du bateau dans une position…délicate.

 

« J’ai basculé en une fraction de seconde. Je suis dans l’eau. Il fait nuit noire. Je suis seule. Je tourne la tête en tous sens, instinctivement. Je vois mon bateau qui s’éloigne. Je cherche un repère. Une lueur. Un objet. Un signe de vie. Rien. Je suis absolument seule. Isolée dans l’immense masse sombre et mouvante de la mer. Dans quelques instants, la mer, ma raison de vivre, va devenir mon tombeau. »

 

Ces terribles instants, où elle va lutter pour survivre, feront remonter à sa pensée les moments clés de son existence qu’elle évoque avec beaucoup de spontanéité dans ce livre-mémoire qui nous touche d’autant plus que la mort ne lui laissera que trois années et demie de sursis, avant de la rattraper. Elle revenait de deux mois de navigation qui l’avait conduite à Ibiza, puis à Alger, enfin à Carthage et à Rome. C’est alors l’accident, l’effroi, l’eau noire.

 

« La  peur que j’éprouve n’a rien des frayeurs que je rencontre en course. Ces frissons-là, ces montées d’adrénaline,  je les recherche ! Sur les océans, même déchaînés, on reste projeté vers cet horizon qui, invisible ou non, signifie la vie, l’existence intense, limpide, et sans aucun doute l’éternité. Si je n’avais eu cet amour des grands frissons, je serais restée chez moi, j’aurais pris un travail comme tout le monde. Et j’aurais fait du tricot. »

 

Le goût de la mer, Florence l’a éprouvé dès l’enfance où, en compagnie de ses deux frères, son père l’emmenait en Méditerranée à bord de son voilier. D’autre part, ce père éditeur lui aura permis de rencontrer les plus grands marins du monde et de les écouter narrer leurs histoires, leurs démêlés avec les océans, leurs tours du monde à la voile. Quelle meilleure initiation ? Si bien que la jeune fille de bonne famille, éduquée chez les religieuses, quittera à 18 ans le domicile familial, en laissant un petit mot d’adieu sur son oreiller, pour connaître à son tour le grand frisson de l’inconnu et, à force de volonté, de se forger un destin. On se souvient de son arrivée en Guadeloupe en 1990 à bord de son « Pierre Ier », victorieuse de cette Course du Rhum mythique où elle parvint  à laisser assez loin derrière elle ses concurrents, tous des marins chevronnés, alors qu’elle portait une minerve et avait été victime d’une hémorragie. Quelle arrivée ! Une femme pour la première fois victorieuse d’une telle course !

 

«  Malgré la minerve, l’hémorragie, la panne de pilote automatique et l’absence de radio, j’ai gagné cette Route du Rhum 1990, dans des conditions où j’aurais pu abandonner mille fois, dès le départ. J’avais senti, je sentais qu’il n’y avait qu’une seule chose à faire, précisément : gagner cette course.  (…) Unie par toutes mes fibres à mon bateau et à l’océan, je vivais mon destin ».

 

Cet exploit magnifique, quasiment inimaginable, la faisait entrer d’emblée dans la légende des océans et la baptisait « La petite fiancée de l’Atlantique ». Ses amis marins se sont inclinés avec admiration devant cette prouesse, les Poupon, Kersauson, Lamazou, Péron et quelle est la femme qui n’a pas été fière de voir cette frêle jeune fille prouver aux hommes qu’elle pouvait avoir les mêmes capacités qu’eux, la même intelligence, la même persévérance, la même audace à vaincre le danger et à s’affronter au plus redoutable des éléments ? Une course est aussi une stratégie. Il faut user de feeling et jouer à qui perd gagne avec les probabilités, ruser avec la houle et les vents, choisir les bons angles d’orientation, être un stratège habile avec les vagues. Oui, naviguer est un art difficile et, sans nul doute, Florence Arthaud était un grand marin. Elle avait un sens inné de la mer, elle savait comment l’affronter, comment surmonter ses colères et ses caprices, comment s’y maintenir et s’y conduire.

 

« Comme toujours, je voulais être seule sur mon bateau. Profiter de cette intimité avec les vagues et l’infini du cosmos. La beauté de cette solitude ne peut être décrite que par ceux qui la vivent. Beauté de ce décor sauvage, beauté de la liberté goûtée ici sans entraves, beauté de ces moments magiques où le temps n’existe plus et où les rêves peuvent devenir réalité. »

 

Toujours prisonnière des eaux noires en cette nuit du 29 octobre, Florence ne devra la vie sauve qu’à son portable retrouvé dans la poche de sa veste de quart. Par miracle, il est étanche. Ainsi, peut-elle joindre sa mère, qui prévient son frère et le Cross de Toulon (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage). Celui-ci fera diligence et parviendra à la sauver in extremis car, autre miracle, Florence avait relevé sa position juste avant de tomber à l’eau. Si bien que l’hélicoptère la repère assez aisément. Cette nuit, la mort n’a pas voulu d’elle. Florence va retrouver son bateau et son chat Bylka, sa fille Marie, sa mère qui, au téléphone, avait bien cru assister à la mort de sa fille en direct.

 

« Aujourd’hui, j’ai conscience que j’aurais pu – que j’aurais dû – mourir et cela me touche profondément. C’est sans doute ce qui m’oblige à témoigner. Vivre pour moi-même, franchement, je m’en moque. (…) Ce salut m’a été donné, je le ressens comme une deuxième vie qui m’est offerte. »

 

Pas pour longtemps hélas ! Mais quel bel exemple de vie, quel beau parcours hors norme, que de rêves et d’enthousiasmes suscités par cette femme qui aimait la houle, les grands horizons, les hommes et femmes de bonne volonté et les chats.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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5 février 2016 5 05 /02 /février /2016 09:05
corbeau, chouette et engoulevent
corbeau, chouette et engouleventcorbeau, chouette et engoulevent

corbeau, chouette et engoulevent

Dans le vaste domaine des légendes et croyances relatives aux oiseaux, l’une des plus anciennes est probablement la distinction faite entre oiseaux de bon et de mauvais augure. Les corbeaux, par exemple, ont toujours eu une mauvaise réputation en raison de leur cri guttural et de leur livrée sombre. Et puis, sur les champs de bataille, ne se repaissaient-ils pas des cadavres ? Cela suffit amplement à expliquer qu’ils étaient considérés comme néfastes et inquiétants. François Villon y faisait allusion dans sa « Ballade des pendus ». La chouette, elle aussi, était fort mal considérée en France au XIXe siècle et passait pour annoncer la mort. Il est vrai que dans les campagnes, on l’entendait souvent chuinter sur le toit des maisons où se trouvait un malade car, en général, la lumière, qui l’attirait, y restait en veille une bonne partie de la nuit. La légende du caractère funeste des rapaces nocturnes a été entretenue par les gens de lettres comme Boileau dans « Le Lutrin » :

 

Là, depuis trente hivers, un hibou retiré

Trouvait contre le jour un refuge assuré.

Des désastres fameux ce messager fidèle

Sait toujours des malheurs la première nouvelle.


L’engoulevent a joui à son tour d’une triste renommée car on croyait qu’il buvait le lait des chèvres lorsqu'il survolait les pâturages au crépuscule. On le nommait volontiers « crapaud volant » à cause de sa grosse tête et de son puissant gosier.

cigogne, hirondelle, pic vert et martin-pêcheurcigogne, hirondelle, pic vert et martin-pêcheur
cigogne, hirondelle, pic vert et martin-pêcheurcigogne, hirondelle, pic vert et martin-pêcheur

cigogne, hirondelle, pic vert et martin-pêcheur

A l’opposé, certains oiseaux ont été appréciés et considérés comme des porte-bonheur. C’est le cas de la cigogne qui était chargée d’apporter les bébés dans les familles. L’hirondelle de cheminée est aussi un oiseau que l’homme a toujours observé comme l’annonciateur des beaux jours, bien qu’elle soit sensée prédire le mauvais temps lorsqu’elle vole au ras du sol. Enfin, une légende, qui remonte à Aristote, fut colportée jusqu’au XIXe siècle, affirmant que l’hirondelle s’engourdissait pendant l’hiver et le passait au fond des marais, ce qui est totalement faux. En réalité, elle disparaît de nos régions durant la saison froide pour aller chauffer ses plumes sous des cieux plus cléments, en bon oiseau migrateur qu’elle est.

 

Un autre oiseau annonce volontiers la pluie, c’est le pic-vert. Quant au martin-pêcheur, il devint, sous l’inspiration d’Aristote et de Plutarque, un être extraordinaire doué du pouvoir de calmer les flots et d’attirer les poissons. D’autres légendes ont elles aussi la vie dure et survivent à notre époque où les progrès de la technique ne sont pas parvenus à faire totalement disparaître de nos existences le goût du merveilleux.

aigle royal, alouette et coqaigle royal, alouette et coq
aigle royal, alouette et coq

aigle royal, alouette et coq

Ainsi l’aigle royal serait le seul oiseau en mesure de fixer le soleil sans être ébloui, alors que le hibou et la chouette seraient aveuglés par la lumière du jour. Nous voyons que divers oiseaux ont servi de symbole ou d’emblème. L’aigle royal n’est-il pas l’expression de la puissance et de la gloire ? Les Anciens l’avaient dédié à Jupiter. Napoléon Ier le reprit à son compte pour en faire décorer les drapeaux de sa Grande Armée alors que Charlemagne et du Guesclin l’avaient adopté pour orner leurs armoiries. L’alouette des champs fut l’emblème des Gaulois et décora leurs casques, le coq est celui des Français, ce fameux coq gaulois fut choisi à la Révolution et figura sur notre drapeau de 1830 à 1870. Il symbolise le tempérament français où l’on décèle un mélange de hardiesse et de versatilité, de vigilance et de légèreté. La chouette fut jadis l’oiseau de la sagesse chez les Grecs qui en avaient gravé l’effigie sur leur monnaie, c’était également la compagne de la déesse Athéna (Minerve chez les Romains). La colombe, quant à elle, exprime la paix et la concorde depuis l’histoire biblique du déluge, tandis que le paon semble personnifier l’orgueil et que le cygne représente la grâce et l’élégance, immortalisé par le ballet « Le lac des cygnes » sur la musique de Tchaïkovsky.

 

La langue parlée et écrite contient elle aussi de nombreuses allusions aux oiseaux. En voici quelques-unes : bavard comme une pie – rouge comme un coq – bayer aux corneilles – léger comme une plume – gai comme un pinson – être le dindon de la farce. Le nom de certains d’entre eux est même passé dans le langage courant pour qualifier un trait de caractère particulier à un individu et que l’oiseau posséderait lui aussi : pensons à butor, à bécasse, à étourneau, à tête de linotte, à petit serin. Ajoutons encore l’expression « Le chant du cygne » qui relève davantage du domaine des légendes. Elle nous vient de l’Antiquité où l’on imaginait que le cygne chantait encore après sa mort et que sa voix était alors plus douce et  harmonieuse que jamais. Enfin, quelques expressions parlées sont devenues des proverbes ou des sentences issues de la sagesse populaire : « une hirondelle ne fait pas le printemps », « petit à petit l’oiseau fait son nid », « faute de grives, on mange des merles », « qui n’a mangé ni pluvier, ni vanneau ne sait ce que gibier vaut ». Oui, à n’en pas douter, l’oiseau a sa place dans la vie et l’imaginaire des hommes. Bientôt un article sur "Les oiseaux et la littérature".

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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L'oiseau dans la littérature

 

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colombe, paon et cygnecolombe, paon et cygne
colombe, paon et cygne

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27 janvier 2016 3 27 /01 /janvier /2016 08:45
Sophie Troubetskaïa, duchesse de MornySophie Troubetskaïa, duchesse de Morny

Sophie Troubetskaïa, duchesse de Morny

Qui était la duchesse de Morny, cette épouse du duc si discrète que la Normandie a conservé peu de souvenirs d’elle. Cependant, il y a quelques raisons à s’attarder sur cette princesse d’origine russe, qui fut d’abord princesse Troubetskoï, puis duchesse de Morny avant de devenir duchesse de Sesto et dont la vie est surprenante à plus d’un égard, ne serait-ce que par son ascendance…n’est-elle pas la petite fille d’une danseuse de corde et d’un tsar de toutes les Russies ! Nous sommes à l’époque où le tsar Alexandre Ier occupe Paris avec ses troupes après la retraite qui a vu se débander les armées napoléoniennes. Le tsar se montre alors vis-à-vis des parisiens d’une rare convenance, ne pillant aucun musée et affichant, à l’intention du peuple français défait, un parfait savoir-vivre. L’armée d’occupation compte dans ses rangs les cosaques de la garde impériale, dont les officiers sont tous issus de l’aristocratie et parlent français, puisque notre langue est celle qu’emploie l’élite de Saint-Pétersbourg depuis que Pierre le Grand a visité Versailles et Paris sous la régence de Louis XV et que Catherine II s’est liée d’amitié avec plusieurs de nos philosophes. Parmi cette élite, il y a Piotr Klavdievitch Moussine-Pouchkine, fringant capitaine de 49 ans, cousin du poète et écrivain Alexandre Pouchkine qui se plaît à se distraire dans les théâtres du Bd du Temple, boulevard qui réunit une étonnante concentration de funambules, chanteurs, danseurs, mimes, acrobates, équilibristes, dont madame Saqui qui joue à elle seule sur la corde raide des mimodrames assez époustouflants, l’audacieuse jeune femme ne craignant nullement, pour assurer sa popularité, à mimer les batailles et les victoires napoléoniennes. Le capitaine des cosaques est subjugué, une idylle se noue et une petite fille naît le 20 janvier 1816. Bien entendu, Mme Saqui n’a nullement l’intention de changer en quoi que ce soit ses habitudes, si bien que l’officier dédommage la saltimbanque et embarque le nourrisson pour Saint-Pétersbourg, où sa famille se chargera d’élever et d’éduquer l’enfant. Celle-ci prend le nom d’Ekaterina Petrovna Moussine-Pouchkine et deviendra plus tard la mère de Sophie de Morny.

 

Mais avant d’être maman à son tour, Ekaterina reçoit une parfaite éducation, conforme au rang de son père dans la société russe, et sera admise à la célèbre institution Smolny, un internat pour jeunes filles de la noblesse fondé en 1764 par l’impératrice Catherine II. Si l’adolescente n’est pas une élève brillante, elle est d’une grande beauté et va bientôt tourner les têtes et devenir la demoiselle d’honneur de la tsarine Alexandra Feodorovna, épouse du tsar Nicolas Ier qui la remarque à son tour et en fait sa maîtresse. Bientôt la jeune femme est enceinte et il faut sans plus tarder lui trouver un époux. Ce sera Serge Troubetskoï, né en 1815 dans l’une des plus anciennes familles russes, dont le comportement violent et rebelle nuit grandement à sa carrière militaire. Le tsar saisit l’occasion de lui pardonner ses incartades à une seule condition : qu’il épouse Ekaterina et endosse la paternité du futur bébé. La vie commune du couple sera de courte durée. Ils ne s’entendent pas et se séparent six mois plus tard. Sophie vient au monde le 25 mars 1838, soit quelques semaines après cette union de circonstance, et sa mère ne tarde pas à l’emmener en France, avec l’autorisation du tsar Nicolas, qui la charge d’occuper le poste de secrétaire à l’ambassade de Russie à Paris où elle vivra des années mondaines et agréables, fréquentant l’aristocratie française, dont la princesse Mathilde, cousine germaine de Napoléon III, qui intervient auprès du tsar afin que Sophie reçoive à son tour l’éducation raffinée de l’institut Smolny de Saint-Pétersbourg, si bien qu’à 18 ans Sophie est choisie, comme l’avait été sa mère autrefois, pour être la demoiselle d’honneur de la nouvelle impératrice Maria Alexandrovna, l’épouse du tsar Alexandre II au Palais d’hiver.

Ekaterina et Serge Troubetskoï au moment de leur mariageEkaterina et Serge Troubetskoï au moment de leur mariage

Ekaterina et Serge Troubetskoï au moment de leur mariage

Blonde aux yeux noirs, Sophie n’est non seulement jolie mais elle se montre spirituelle et fait preuve de perspicacité et de répartie, ce qui la rend extrêmement attrayante. Ses 18 ans vont captiver un célibataire de 45 ans, Charles de Morny, frère adultérin de l’empereur des français, venu à Saint-Pétersbourg en août 1856 pour le sacre d’Alexandre II comme ambassadeur de l'empereur et du Corps Législatif et qui épousera Sophie dès le 7 janvier 1857, en l’église Ste Catherine de Saint-Pétersbourg. Si bien que le demi-frère de Napoléon III prend pour épouse la demi-sœur du tsar Alexandre II … Le 20 juin de la même année, le couple regagne la France et l’hôtel de Lassay qui devient leur résidence principale. La vie maritale durera un peu plus de huit ans et quatre enfants vont naître, deux filles et deux garçons, dont deux d’entre eux resteront sans postérité. Sophie ne sera pas toujours bien acceptée de la société française du Second Empire. Se mêlant fort peu de politique, la jeune femme sait néanmoins assumer les obligations qui lui incombent mais préfère de beaucoup son intimité, la lecture et nourrit pour les animaux de compagnie une passion excessive. Voyons comment la dépeignait l’un de ses contemporains, Frédéric Lolié : « Observatrice et spontanée, en même temps inattendue et fière, elle avait ses jugements, ses opinions, dont l’esprit et la forme ne manquaient pas d’originalité. »

 

Le couple était souvent l’invité des souverains Napoléon III et Eugénie, mais les deux femmes ne s’appréciaient guère, peut-être leur grande beauté en faisait-elle des rivales ? A Deauville, le premier séjour de Sophie de Morny aura lieu lors de l’été 1864 à la villa Sergevna dont la construction venait tout juste de s’achever. Ce fut ce même été qu’eurent lieu l’inauguration du Casino et la première réunion de courses à l’hippodrome. Sophie aura peu d’occasion de venir séjourner à Deauville puisque le duc décède le 10 mars 1865. Cette mort soudaine suscite la stupeur dans son entourage qui ne pouvait présager une fin si rapide. Suivant la coutume russe, Sophie coupe ses longues tresses et s’enferme dans son deuil. Elle retourne pour de courts séjours à Deauville lors des premières années de son veuvage et sera présente à la consécration de l’église St Augustin le 30 juillet 1865 dont la première pierre avait été posée par le duc un an plus tôt, puis, en mai 1866, elle sera à l’initiative des fresques du peintre Louis Bordier qui ornent la voûte de l’abside.

 

Le temps passe. Sophie réalise qu’elle est toujours jeune et belle et n’envisage pas de rester fidèle à un mari qui l’a si souvent trompée. Au cours de l’année 1866, elle a alors 28 ans, elle rencontre Don José Isidro Osorio y Silva-Bazan, chevalier de la Toison d’Or, marquis d’Alcanices, duc d’Albuquerque et de Sesto que l’on appelle plus familièrement Pépé Osorio, lors d’un bal chez la duchesse de Mouchy. Pépé est d’emblée séduit par cette ravissante blonde au teint clair et aux yeux sombres mais leur liaison ne sera révélée que l’année suivante, lors de l’Exposition Universelle où toutes les têtes couronnées d’Europe sont présentes à Paris.

Sophie, jeune femme, et avec le duc de Sesto, son second époux.Sophie, jeune femme, et avec le duc de Sesto, son second époux.

Sophie, jeune femme, et avec le duc de Sesto, son second époux.

 

 

Le mariage est célébré le 21 mars 1869 à Vitoria après que la reine Isabelle II d’Espagne ait donné sa royale autorisation. Cette souveraine est peu populaire et son règne se termine par la révolution de 1868 animée par le général Juan Prim, suivie de son abdication en 1870 et de la déchéance de la maison des Bourbon par le parlement espagnol. Après un gouvernement provisoire de 2 ans, une nouvelle monarchie est instaurée avec le court règne d’Amédée de Savoie (1871-1873), destitué à son tour par la Première République espagnole qui ne durera qu’une seule année (1873-1874). Le duc de Sesto devient alors le protecteur et le père adoptif du jeune infant Alfonso, fils d’Isabelle II, qu’il éduque et forme, afin qu’il puisse remonter sur le trône d’Espagne, ce qu’il fera quelques années plus tard sous le nom d’Alphonse XII.

 

La fin de la vie de Sophie sera assombrie par plusieurs drames familiaux. Le 13 mars 1881, son demi-frère le tsar Alexandre II, celui qui avait aboli le servage, est assassiné à Saint-Pétersbourg par un groupe terroriste. En juin 1883, sa fille aînée Marie-Eugénie Charlotte de Morny décède brutalement dans sa 26ème année, laissant un orphelin d’à peine 5 ans. Enfin, le 25 novembre 1885, c’est au tour du jeune roi Alphonse XII, que Sophie et son mari avaient aidé à recouvrer son trône, de mourir de la tuberculose. Début 1896, Sophie, qui fume beaucoup, ressent à son tour les premières douleurs du mal qui va l’emporter : probablement un cancer des poumons qui s’aggrave après son voyage à Moscou en 1896 pour le sacre du tsar Nicolas II, sacre qui sera endeuillé par une incroyable bousculade survenue sur le champ de manœuvre de Khodynska, où sont rassemblées quelques 500 000 personnes et qui provoquera la mort de 1300 d’entre elles. Ce drame aura un immense retentissement et sera interprété comme un présage lugubre au règne qui débute alors… Sophie rentre à Paris très fatiguée et son état se dégrade irrémédiablement. Le 9 août 1896, sa femme de chambre, qui lui apporte son petit déjeuner, la trouve inanimée dans son lit. Elle venait d’entrer dans sa 59ème année. Ses funérailles se dérouleront à Saint-Pierre de Chaillot devant un parterre de célébrités ; la reine Isabelle II d’Espagne, impotente, s’était fait représenter et l’impératrice Eugénie, interdite de séjour en France à l'époque, avait fait de même. Sophie repose désormais dans le caveau familial des Morny au Père-Lachaise. Les Madrilènes se souviennent d’une grande dame qui leur a apporté une coutume qui perdure aujourd’hui, le sapin de Noël, et les Deauvillais d'une charmante étoile filante.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

Sources : Yves Aublet

 

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Qui était la duchesse de Morny ?
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31 décembre 2015 4 31 /12 /décembre /2015 10:05
Nos tables gourmandes - Histoire de nos réveillons
Nos tables gourmandes - Histoire de nos réveillons

Immersion au cœur de monuments de gourmandise, incontournables festivités, l’histoire de nos tables de réveillon remonte loin dans le temps et perpétue une tradition culinaire que la France a porté à un paroxysme d’excellence. Certains s’étonneront, mais le repas de fête de fin d’année, tel que nous le connaissons aujourd’hui, apparut dans les grandes villes il y a déjà deux siècles, voire davantage. Auparavant, comme le raconte Alphonse Chabot dans « La nuit de Noël dans tous les pays » on se régalait surtout, dans la plupart des régions de France, de cochonnailles issues d’un animal abattu pour l’occasion. Sa dégustation s’accompagnait de spécialités du cru et s’arrosait de vins d’origine locale. Survivance de ces festins généralement familiaux où l’on se délectait des produits de la ferme, l’oie rôtie tenait une place de choix sur la table festive. Peau croustillante, viande juteuse, si possible d’origine garantie du Sud-Ouest, elle sera, cette année encore, présente dans de nombreuses familles et dans les restaurants étoilés. Arrivée récemment d’Amérique, la dinde aux marrons – dans sa version farcie notamment – lui a volé néanmoins la vedette. Parmi les initiateurs de ce putsch culinaire, les gastronomes Grimod de la Reynière (1758 – 1837), qui en adorait les sot-l’y-laisse, ou Brillat-Savarin (1755–1826), qui se qualifiait de « dindonophile ».

 

Avec sa chair fine et moelleuse, le très aristocrate chapon s’est démocratisé depuis quelques années. Son histoire est d’ailleurs surprenante. Au IIe siècle avant notre ère, des Romains ont eu l’idée de châtrer un coq pour contourner une loi contre le luxe ostentatoire – il en existait déjà ! – qui interdisait de servir plus d’une poularde par banquet. Et ce détournement remporta quelque succès. Le foie gras est l’autre grand produit de nos campagnes obtenu par le gavage cruel des oies et des canards. Comme le racontent Jean Vitaux et Benoît France dans leur « Dictionnaire du gastronome », c’est dans l’Egypte antique qu’il faut en chercher l’origine. Des bas-reliefs y attestent du gavage des oies en 2500 ans avant J.C. Dans sa version moderne, il s’est développé dès le XVIIIe siècle en Alsace et dans le Sud-Ouest et représente de nos jours 75% de la production nationale. Les précieux palmipèdes y sont gavés avec du maïs produit localement. Reste la question : foie gras d’oie ou de canard ? Bien que plus dense, plus ferme et plus fin que celui de canard, le foie gras d’oie ne constitue plus que 5% de la production et s’avère nettement plus difficile à trouver et plus onéreux. Par souci gustatif, on préférera un « foie gras entier » composé d’un ou de plusieurs lobes, et l’on se méfiera de la simple appellation « foie gras », correspondant à un produit composé de morceaux agglomérés ; enfin, on bannira le « bloc de foie gras », une émulsion reconstituée dans un moule. Personnellement, j’ai renoncé au foie gras car je n’aime pas manger ce qui a coûté beaucoup de souffrance à ces malheureux volatiles.

 

Derniers arrivés sur nos tables de fête, le saumon, les huîtres et autres fruits de mer doivent leur essor au développement des transports. Les Français sont actuellement les premiers consommateurs d’huîtres au monde ! Marenne-Oléron, Cancale, Bouzigues ou Arcachon sont autant de noms synonymes de vrai régal. C’est dans cette dernière ville que débuta, sous Napoléon III, l’ostréiculture moderne. Enfin, point d’orgue du repas, la bûche  trouve son origine avant le Moyen-Age. Une tradition consistant à faire brûler dans la cheminée une énorme bûche qui devait se consumer pendant au moins trois jours, et, si possible de Noël à la Saint Sylvestre. Ces très grosses bûches étant difficiles à transporter jusqu’à Paris, Antoine Charadot, un pâtissier de la rue de Buci, a eu l’idée, en 1879, d’en faire un gâteau. Aujourd'hui, on peut la choisir pâtissière ou glacée.

 

Enfin un repas de fête ne peut s’envisager sans champagne. A l’époque romaine, la Champagne était déjà une terre viticole. Mais c’est à un certain dom Pérignon (1638-1715) – moine bénédictin de son état – que l’on doit, du moins en partie, l’invention du vin que nous connaissons aujourd’hui. Symbole universel de réjouissance, il ne peut être produit que dans une zone délimitée, selon des méthodes et avec des caractéristiques précises. Grâce à l'aide de 16 bureaux sur quatre continents, le redoutable "Comité interprofessionnel du vin de Champagne" surveille cette appellation sur l'ensemble du monde. Ce gardien intransigeant de nos traditions n’hésite pas à entamer des procédures à l’encontre des contrefacteurs et à faire corriger les inexactitudes qui pourraient être publiées dans la presse. Ainsi nos tables sont-elles bien garnies et véritablement fastueuses. Mais n’oublions pas la part du pauvre. Invitons l’ami esseulé, la femme sans ressource, l’enfant orphelin et pourquoi pas le chien errant. Et dans nos pensées, faisons place à nos chers absents. Joyeux réveillon !

 

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Nos tables gourmandes - Histoire de nos réveillons
Nos tables gourmandes - Histoire de nos réveillons
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23 décembre 2015 3 23 /12 /décembre /2015 09:00
Noël, l'historique d'une tradition
Noël, l'historique d'une tradition

Il faut bien l’admettre : si nos traditions subsistent encore, elles perdent progressivement, sous le coup d’un laïcisme conquérant et un consumérisme roi, leur sens profond. L’heure est venue de cacher ces saints et ces crèches que l’on ne saurait voir et de traquer les manifestations offensantes, aux yeux de nombre d’entre nous, du moindre signe de religiosité. Ainsi la Toussaint a-t-elle été progressivement remplacée par Halloween, ses citrouilles et ses sorcières et Noël transmué en fête de la famille ayant pour but d’en rassembler les membres autour d’un bon repas et d’une distribution de cadeaux. A  croire que nos vieilles traditions sont plus périlleuses que les attaques terroristes  !

 

Existant depuis les premiers siècles, la crèche est le symbole par excellence de Noël. La première célébration de la nuit de Noël aurait eu lieu au VIe siècle dans l’église Ste Marie Majeure de Rome, alors que la première crèche était instaurée au XIIIe siècle par St François d’Assise. En 1223, il organisa dans une grotte de Greccio, en Italie, une crèche avec des personnages et animaux vivants, initiative qui fut reprise dans toute l’Italie avant de gagner la Provence et une grande partie de l’Europe. Peu à peu, les acteurs seront remplacés par des figurines. Au XVIIIe siècle, la crèche entre en résistance dans le foyer familial, crèche domestique qui donne lieu à un véritable engouement. En effet, la Révolution française ayant exigé la fermeture et l’interdiction des églises, elle suscite un élan spontané à la crèche intime. Plus moyen de voir Jésus à l’église, eh bien on l’installera chez soi et les santonniers feront fortune. Rien n’arrêtera les Provençaux qui, avec les matériaux à leur disposition (mie de pain, pâte à papier, argile), reproduiront la scène de la Nativité. « Et ils se sont représentés eux-mêmes, leurs villages et les petits métiers de l’époque » - rappelle Denis Muniglia.

Noël, l'historique d'une tradition

Quant au sapin, il est une coutume enracinée depuis des siècles. En 1738, la reine Marie Leszczynska, épouse de Louis XV, fera installer le premier arbre de Noël à la cour de Versailles pour ses nombreux enfants, symbole de vie et de fécondité. L’origine païenne de son culte remonte aux Celtes qui avaient pour usage d’associer un arbre à chaque mois lunaire. L’épicéa correspondait à la renaissance de la lumière, fin décembre. Pour les catholiques, c’est St Boniface qui introduira le sapin de Noël au VIIIe siècle mais il faudra attendre 1521 pour découvrir la première mention officielle du sapin de Noël en Alsace.

 

En ce qui concerne le marché de Noël, il date de 1434. Il s’agit d’un document qui l’évoque à Dresde en Allemagne le lundi précédant la fête de la Nativité. Très vite les marchés allemands et alsaciens feront des émules et les villes seront de plus en plus nombreuses à en organiser. Et le père Noël ? Il est attendu depuis près de deux siècles par les enfants du monde entier la nuit du 24 décembre. Selon la tradition, il arrive sur un traîneau chargé de cadeaux, tiré par des rennes et glissant en silence dans un ciel étoilé. Mais tout le monde s’accorde à reconnaître que ses origines sont bien plus anciennes. Ce serait un certain Nicolas, évêque de Myre en Lycie qui, au IVe siècle, devenu célèbre par sa générosité et sa compassion, aurait inspiré ce si sympathique personnage légendaire. A sa mort, il fut immédiatement béatifié et fit l’objet d’un véritable culte. Des centaines d’églises lui furent dédiées et il devint en Europe le saint patron des enfants. Sa fête, célébrée le 6 décembre, donne lieu à une distribution de friandises et de cadeaux aux enfants. Mais St Nicolas, s’il est représenté depuis toujours avec une barbe blanche et un manteau rouge, ne voyageait qu’à dos d’âne. Ce sont les Scandinaves qui lui ont procuré un traîneau et des rennes plus conformes à leur climat. George Sand fut la première, en 1855, à faire référence au bonhomme de Noël et, ainsi, à entrouvrir la porte à son incroyable célébrité en France. Ainsi Noël s’inscrit-il dans des traditions qui ont perduré à travers le temps avec leur joyeuse naïveté, mêlant le fantastique et le merveilleux et plongeant aux sources de notre civilisation, à sa mémoire et à ses rites. 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Noël en Alsace.

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11 décembre 2015 5 11 /12 /décembre /2015 09:34
Ma lettre au Père Noël 2015

Cher Père Noël,

 

Il m’arrive de me demander quelle est ton humeur à la veille des fêtes tant il est vrai que ton image de grand-père bienveillant et dévoué, au cœur d’or et au caractère immuablement optimiste, est si peu en adéquation avec le monde d’aujourd’hui. Toi et le petit Prince, qui vivez non loin l’un de l’autre sur des  planètes à taille humaine, vous devez être épouvantés à la vue d’un ciel de plus en plus pollué et, à chaque instant, dérangés par les ondes multiples qui vous parviennent de la terre et des satellites qui encombrent l’empyrée au point que celui-ci sera bientôt aussi embouteillé que les artères de nos mégapoles. Sans oublier les ondes en provenance des innombrables portables, iPads et appareils numériques divers qui font vibrer vos oreilles et réduisent à une peau de chagrin le précieux silence du firmament.

 

Oui, de quel œil regardes-tu, cher Père Noël, un monde qui ne croit ni à Dieu, ni à diable, a relégué dans les oubliettes les poètes et les illusionnistes et accorde plus d’attention aux économistes et financiers du Cac 40 qu’aux conteurs et aux magiciens ? J’imagine que ton humeur n’est pas toujours au beau fixe et qu’il t’arrive plus d’un jour ou d’une nuit d’avoir envie de prendre ta retraite et de jeter ta lourde hotte aux orties. Te reposer enfin, ce serait sans doute le seul cadeau de Noël en mesure de te combler. Mais vois-tu, sur notre planète terre, très bruyante et très agitée, il n’y a pas de Père Noël pour réaliser ce souhait légitime, il n’y a que des désenchantés, des abîmés, des désillusionnés, des amers qui rêvent de migrer vers d’autres lieux, vers Mars peut-être, ou vers des astéroïdes qu’ils s’empresseraient d’ailleurs de rendre invivables et bruyants en un tour de pelle. Il est vrai aussi que nous ne savons pas être tranquilles, cohérents, raisonnables, unis, accordés, confiants, sages, mesurés et prudents. Il nous faut toujours un ennemi à pourfendre, un combat à engager, une guerre à conduire, une idéologie à promulguer et bien peu d’idéal à servir. Nos jardins sont certes emplis de fleurs mais nos cœurs chargés d’épines. L’homme a trop de faiblesse et d’ambition pour user du temps avec clairvoyance et discernement. Voilà  son malheur.

 

Et toi, cher Père Noël, comment conçois-tu l’avenir, ton avenir dans un monde qui se refuse à sauver ses espérances et ses traditions ? As-tu formé un successeur, as-tu encore des projets ? Serais-tu  lassé, désabusé au point de nous abandonner à notre triste sort ? Bien que je le redoute,  je n’ose l’envisager. Quoiqu’il en soit, ne pars pas sans retour, accorde-nous un sursis, prends en compte  ce qui en chaque adulte subsiste de son enfance et, en chaque enfant, cette part d’innocence  encore tendre et immaculée. Rappelle-nous que l’enfance sera toujours un univers  à réinventer et  à ré-enchanter, le seul qui mérite une saine colère. La tienne. Puis, fais pleuvoir sur la France, qui ne le mérite guère, une pluie d’étoiles pour éclairer nos cœurs.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Lettre au Père Noël 2016

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18 novembre 2015 3 18 /11 /novembre /2015 10:08
Madame Vigée-Lebrun

Elisabeth Louise Vigée, née à Paris en 1755 sous le règne de Louis XV et morte à Paris en 1842 sous celui de Louis-Philippe,  semble parée, dès sa plus tendre enfance, de tous les dons, particulièrement celui de dessiner et de peindre qui lui méritera d’avoir, au cours de sa longue existence, réalisé plus de 660 toiles que s’arrachait l’Europe entière à des tarifs bien supérieurs à ceux de la plupart de ses confrères masculins. Le Grand Palais a su réparer en 2015 une injustice faite à cette artiste remarquable qui peignait avec assurance et une étonnante maturité dès l’âge de 15 ans des portraits, l’exercice considéré comme le plus difficile, et ajoutait à cela l’art de la conversation, une grande culture et une beauté reconnue de tous. Cette injustice était d’autant plus impardonnable que nous avons peu de femmes peintres parvenues à cette maîtrise, à cette légèreté de touche, à cette élégance et à ces jeux de lumière qui signent définitivement son style.

 

 

Par chance, dès son enfance, son père découvre ses dons, l’encourage et la fait entrer dans l’atelier de Joseph Vernet qui l’incite à copier les anciens, à faire ses gammes en quelque sorte. A 12 ans, à la mort de son père, sa mère se remarie et son beau-père a la bonne idée d’exposer ses  premières œuvres dans la vitrine de sa joaillerie. Sans tarder les commandes affluent, mais le beau-père, peu scrupuleux, s’empresse de faire main basse sur les émoluments, si bien que la jeune fille épouse en 1776 un certain Monsieur Le Brun qui a l’avantage d’être bien né et beau garçon. On sait combien il était difficile à une femme de l’époque de vivre sans mari, mais fine mouche Elisabeth Louise a donné son cœur à un marchand de tableaux de renom européen, si bien que ce galeriste avisé parachèvera son éducation de peintre et fera monter sa cote avec habileté et un incontestable savoir-faire.

 

 

L’art du portrait, qu’elle maîtrise parfaitement, lui vaut des commandes en grand nombre, ses clientes appréciant qu’elle les pare de glacis aux mille grâces et les hommes qu’elle sache souligner leur virilité et leur caractère de manière réaliste. Sa réputation revient bientôt aux oreilles de la cour de France et la jeune Marie-Antoinette, qui n’apprécie aucun des portraits que l’on a  réalisés d’elle jusqu’à présent, sollicite ses bons offices. Entre les deux jeunes femmes, le courant passe immédiatement. Lors des longues séances de pose, Madame Vigée-Lebrun anime la conversation et distrait son royal modèle grâce à sa culture et son sens inné de la répartie. Sa position de peintre officiel de la reine est dès lors assurée. Le seul privilège qu’elle sollicitera auprès de Louis XVI sera de la faire entrer à l’Académie royal où ne siégeaient alors que quatre femmes. D’emblée, elle s’imposera par une toile osée qui prouve son audace et sa modernité : des nus féminins.

 

 

En 1789, menacée à cause de son amitié envers la reine, elle doit s’exiler sans plus tarder. Cet exil ne durera pas moins de treize années et la mènera à travers toute l’Europe. Elisabeth s’installera provisoirement à Rome, Saint-Pétersbourg, Vienne, Londres où les monarques la reçoivent avec les égards qui sont dus à son talent et à sa notoriété. Néanmoins, lorsqu’on lui demandera de faire poser la princesse Murat, sœur de Napoléon, capricieuse et imprévoyante qui la faisait attendre des heures, elle aura ces mots : « J’ai peint de véritables princesses qui ne m’ont jamais tourmentée et ne m’ont jamais fait attendre ».

 

 

Ses goûts, ses amours, ses tendresses resteront liés à l’ancien régime dont elle gardera éternellement la nostalgie. « Mon cœur a de la mémoire » - avouait-elle. Sa seule enfant, sa fille Julie avec laquelle elle ne s’entendra jamais, mourra dans la misère après un mariage malheureux ce qui lui causera un immense chagrin. Mais avait-elle eu le temps d'être mère ?  Sûrement pas, requise en permanence par son art et ses innombrables commandes…

 

 

Elisabeth Louise aura eu la chance de connaitre tous les grands noms de son temps : Madame de Staël, lady Hamilton, Chateaubriand, l’amiral Nelson, Hubert Robert, les rois et les reines d’Europe et tant d’autres avec lesquels elle partageait les mêmes convictions. Rentrée en France en 1809, Madame Vigée-Lebrun achète une maison à Louveciennes, car elle aime la campagne, et s’entourera de nombreux amis, tout en rédigeant ses mémoires, ayant rencontré tant de personnalités et connu tant d’événements ! Elle s’éteint paisiblement à Paris à son domicile de la rue Saint-Lazare le 30 mars 1842, à l’âge de 87 ans, et sera enterrée au cimetière de Louveciennes après une longue existence vécue à un train d’enfer, de façon très autonome, entre pinceaux, plumes et voyages.

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

 

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Marie-Antoinette et la duchesse de PolignacMarie-Antoinette et la duchesse de Polignac

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Julie et Madame de StaëlJulie et Madame de Staël

Julie et Madame de Staël

Hubert Robert

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6 novembre 2015 5 06 /11 /novembre /2015 09:03
Charles Mozin, le peintre de Trouville

 

Entre Trouville-sur-Mer et Charles-Louis Mozin, ce fut une véritable histoire d’amour, un coup de cœur qui a su se prolonger. Bien que né à Paris en 1806 dans une famille de musiciens, le jeune homme découvrira très tôt sa vocation de peintre au contact de la Normandie. C’est au sein de l’atelier de Xavier Leprince qu’il se formera à son art. Ce dernier, peintre paysagiste, a notamment séjourné à Honfleur en compagnie d’Eugène Isabey. Il a également réalisé « Embarquement des bestiaux » à Honfleur », tableau auquel le jeune élève a participé comme petite main. La première cliente de Charles Mozin n’est pas une inconnue puisqu’il s’agit de la duchesse de Berry, la mère du comte de Chambord. Elle assure à Mozin la célébrité dans la capitale française. Louis-Philippe reconnaît également ses talents de peintre de marines en lui commandant une série de batailles navales destinées au château de Versailles.

 

 

Mais Mozin va bientôt partir sous d’autres cieux. C'est par une journée de l'été 1825 qu'il arrive de Honfleur, à marée basse, par le chemin de grève et que, charmé par le paysage qu'il découvre, il installe son chevalet et son parasol sur les bords de la Touques. Il résidera d'abord à l'auberge du Bras d'or. Bien que celle-ci ne soit pas particulièrement confortable, le lieu l'enchante et il ne se lasse pas de dessiner Trouville sous toutes ses facettes : ses collines verdoyantes, ses pêcheuses sur la plage, ses barques, son estuaire au flux et au jusant et, par-dessus tout, les ciels qui varient de couleur et d'intensité à chaque heure du jour. Mozin vient de lancer Trouville sans le savoir. Il a alors 19 ans et, dès 1829,  il se fait construire une maison place de la Cahotte. Il participera donc activement au développement de la ville en en faisant la promotion dans ses œuvres exposées dans les Salons parisiens et en entrant au conseil municipal en 1843.

 

 

Au cours du XIXe siècle, les touristes anglais viennent sur les plages normandes pour pratiquer une toute nouvelle activité, les bains de mer, attirant à leur suite l’aristocratie et la bourgeoisie de la monarchie de Juillet, puis de l’Empire. A Trouville, on sait accueillir, notamment depuis la création du casino en 1838, le premier de la région, sans oublier les salles de spectacle et les grands hôtels, et on le fait avec un savoir-faire certain. « C’est en 1825 que je découvris cette terre promise ; son aspect a bien changé aujourd’hui, et si le touriste y trouve maintenant un certain confort auquel j’ai contribué bien malgré moi, il a perdu la partie pittoresque » - confiera-t-il avec un indiscutable regret. Ses toiles se plairont d’ailleurs à évoquer, en un émouvant réalisme, la beauté sauvage de la côte normande et sa campagne. Les falaises des Roches noires sont l’un des endroits emblématiques de la région entre Trouville et Villerville où Mozin posait volontiers son chevalet et qui étaient prisées des notables. Ils édifièrent, le long de cette plage, d'élégantes demeures et Mozin, lui-même, fera bâtir la tour Malakoff, toujours présente à Trouville de nos jours.

 

 

Passionné de bateau, il lui arrivait de monter à bord des embarcations de pêche afin de mieux dessiner les navires de commerce évoluant au large, toutes voiles dehors. Du rivage, il ne serait pas parvenu à réaliser des portraits au crayon ou à la plume avec autant de réalisme et de poésie. Artiste et marin, il s'appliquait à représenter les bateaux de toute nature sans omettre le moindre détail technique, aussi pouvons-nous accorder une entière confiance à l’exactitude pointilleuse de son travail. D’autre part, à côté des bateaux eux-mêmes, il n’oublie nullement les marins et leurs familles. Le monde des pêcheurs l’inspire et aux paysages côtiers, aux marines, s’ajoutent les humbles intérieurs des familles normandes et les spectacles de la vie quotidienne. Il faut rappeler que, dès 1846, il y avait un service de navigation entre Trouville et Le Havre qui assurait le passage de juillet à septembre deux fois par semaine. Il devint ensuite quotidien. Les bateaux qui assuraient la liaison étaient propulsés par des roues à aubes, ensuite des hélices. En 1883, une société anglaise obtiendra l’autorisation de construire une jetée promenade au pied des Roches noires. Cet ouvrage permettait aux bateaux, venant du Havre, d’aborder à Trouville quelle que soit la marée. Sur cette jetée-promenade, on construira un café-restaurant, des buvettes et des boutiques de souvenirs. Elle sera détruite en 1942 par les Allemands qui redoutaient un éventuel débarquement des alliés et ne fut jamais reconstruite.  Quant à Charles Mozin, il s’éteindra à Trouville à l’âge de 56 ans, dans cet environnement qu’il avait tant aimé et si bien su décrire, le 7 novembre 1862 et repose au cimetière de Montmartre à Paris. Il laisse une oeuvre abondante et de grande qualité qui mériterait d’être mieux connue.

 

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Trouville et les bords de la Touques
Trouville et les bords de la Touques

Trouville et les bords de la Touques

La sortie du port

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Charles Mozin, le peintre de Trouville
Charles Mozin, le peintre de Trouville
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30 octobre 2015 5 30 /10 /octobre /2015 09:08
L'été indien

Le mois d’octobre ne cesse de réserver des surprises, de belles surprises, qui confèrent à l'automne son éclat particulier, une douceur inhabituelle et une palette de couleurs qui transforme les végétaux en de flamboyantes torchères, en des oriflammes carminés et en une pluie d’écus qui parsème le sol de leur irradiation. Quelle beauté ! s’écrie-t-on, subjugué par un spectacle dont on ne se lasse pas. L’automne triste selon certains ? Certes non ! L’automne est probablement la saison la plus fastueuse, celle où les couleurs se marient avec le plus de volupté, où les lumières, bien qu’adoucies, font retentir leurs accords somptueux.

 

 

Pas un chemin creux qui ne soit inondé de reflets végétaux, pas un jardin qui ne voit se poser des éclairs iridescents, pas un bosquet qui ne jette au loin des lueurs délicates. Et pas une prairie qu'une palme colorée ne vienne raviver. Où que l’on regarde, on ne peut manquer de s’extasier devant le peintre génial qui pare nos paysages de ces nuances subtiles. 

 

 

D'octobre à la mi-novembre, nos provinces nous réservent de radieuses perspectives. Entre campagne, forêt, montagne, plaine ou colline, les randonnées se déclinent à l’infini, les horizons s’harmonisent avec les reliefs, s'attribuent les uns, les autres, une partition botanique. Oui, octobre nous étourdit, nous suffoque, nous ébaudit, nous  sidère, dans le seul souci de susciter une émotion. N'est-ce pas  la symphonie fantastique de l'automne.

 

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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L'été indien
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2 septembre 2015 3 02 /09 /septembre /2015 08:23
Mozart à l'heure du requiem

                      

 

En juillet 1791, Mozart absorbé par les répétitions de La flûte enchantée, inquiet pour la santé de sa femme Constance, alors en villégiature à Baaden, reçoit la visite d'un inconnu à l'étrange allure, maigre, vêtu de gris, ne voulant pas dire qui il est et qui l'a envoyé. Ce mystérieux messager lui remet une lettre anonyme qui comporte trois questions : Mozart consentirait-il à écrire la musique d'une Messe de Requiem ? Quel délai demanderait-il pour achever le travail ? Et quel en serait le prix ? Mozart accepte cette proposition d'autant plus volontiers qu'il se sent tout disposé à contribuer au renouvellement d'un art religieux qui semble vouloir revenir aux anciennes formes liturgiques. Seul point de litige possible : il se refuse à donner un délai pour l'achèvement de l'oeuvre. Le messager revient peu après porter un premier versement d'argent. Il renouvelle sa demande que le secret demeurât absolu quant à la personnalité de celui qui a fait la commande et qu'il serait vain de rechercher, car on ne pourrait, de toutes façons, le découvrir - assure-t-il. La raison est simple : l'auteur de la demande souhaite se faire passer pour l'auteur dudit Requiem. A l'époque, de hauts personnages, férus de musique et connaisseurs, ne dédaignaient pas de laisser croire qu'ils avaient en outre du talent, mais les musiciens étaient rarement dupes. D'ailleurs, lorsque le Requiem fut interprété pour la première fois en 1792, chacun savait ce qui était de la main du maître et ce qui avait été complété, après sa mort, par son jeune élève François Xavier Süssmayer.

 

 

La partition originale de Mozart et les morceaux écrits par Süssmayer sont bien remis à la personne qui en a fait la commande. On prétend même que l'écriture de l'élève était si ressemblante à celle du maître que tous croyaient avoir sous les yeux la partition d'un seul auteur. Ce fut la veuve qui finit par remettre les choses en ordre et stoppa une controverse qui allait en s'envenimant et n'aboutissait qu'à une confusion de plus en plus inextricable. La publication devenant imminente, l'inconnu se décida à dévoiler son identité. Il s'agissait du comte François Walsegg zu Stuppach. Ce dernier avait perdu sa femme en février 1791 et, par l'intermédiaire de son intendant Leutgeb, avait passé la commande de ce Requiem, afin de célébrer la mémoire de la défunte.

 

 

En possession du manuscrit, le comte n'hésita pas un instant à le parapher de son nom et à apposer le titre suivant : Requiem composto del comte Walsegg. Il fit ensuite copier l'oeuvre en parties séparées et la dirigea en personne lors d'un concert qui eut lieu en son château le 14 décembre 1793. Ce subterfuge fut de courte durée et relève de l'anecdote amusante. Mais,  à propos de la part qui revient à Mozart et celle qu'il faut attribuer à Süssmayer, Gottfried Weber, le plus ardent adversaire de Mozart, auteur de fulgurants articles pour contester l'authenticité du Requiem, au point de provoquer l'intervention de l'abbé Stadler - le plus vénérable des amis de Mozart, - Weber admet que ce qui est authentique dans la Messe des Morts du maître " ce sont précisément les morceaux composés avec des bribes et des incipit de Mozart par Süssmayer ". Aussi entre les dires de la veuve qui affirmait que Mozart avait eu le temps d'achever pratiquement tout son Requiem et le rapport du jeune élève qui tendait à s'attribuer un rôle prépondérant dans l'accomplissement de ce travail, il y avait une juste mesure à respecter. Il est dangereux de côtoyer le génie de trop près et de parachever son travail. Une oreille avertie fait assez vite la part des choses. Il n'est pas douteux que Mozart a bien composé son Requiem, qui fut terminé selon ses indications, tant son extrême profondeur est là pour prouver, si besoin était, qu'en le rédigeant, il a eu le pressentiment de sa fin.

 

 

Nous sommes sans aucun doute en présence de l'une des plus émouvantes confidences qu'un artiste ait jamais pu faire. Elle nous dévoile jusqu'au plus intime de son être, de sa croyance au surnaturel, de ses tendances innées au mysticisme. On ne peut écouter ce chant mêlé d'espoir et de désespoir sans être totalement bouleversé par cette tendre supplication devant l'inéluctable, cette foi inébranlable dans la miséricorde divine, cette humilité face à la Toute Puissance de Dieu. Mozart, dans ce Requiem, n'est autre qu'un enfant qui sanglote et supplie, saisi par le sentiment de cette Majesté infinie qui inspire tout ensemble la crainte et la reconnaissance. Mozart était de taille à charger sa musique d'une réelle puissance cosmique pour nous donner la notion de la fin du monde. Il avait déjà mis en oeuvre ces moyens, qui traduisent le destin de l'homme confronté à l'au-delà, dans le dernier acte de Don Juan. L'Opéra baigne dans cette même tonalité en ré mineur, dans une semblable harmonie sourde et contenue qui procure au drame humain une consonance funèbre.

 


C'est, par conséquent, avec une extrême dignité que s'ouvre cette oeuvre posthume, qui n'est autre qu'une prière de caractère universel. Il en résulte une impression de douleur, de souffrance déchirante qui est celle éprouvée depuis des millénaires par l'humanité aux prises avec la mort. Mais Mozart y ajoute le concours orchestral des violons qui fait songer à des sanglots difficilement étouffés. Puis, quand l'heure du jugement approche où chacun doit rendre compte de son existence de pécheur, on entend la foule crier son imploration avec une sorte d'exaltation. Mozart suggère l'idée d'un vent irrésistible, d'un tourbillon qui balaie l'univers. Tout tremble de fièvre et d'impatience, la tempête survient, les voix se haussent afin de dominer le tumulte et exprimer l'angoisse qui sévit dans les coeurs sur un ton assez proche de celui de la Passion selon St Mathieu de J.S. Bach.

 

 

Avec le sublime lacrimosa débute la prière la plus poignante jamais exprimée. Aucune faiblesse de composition dans cette lumineuse montée chromatique qui est peut-être l'une des plus grandioses de toute la musique. Parvenu à ce degré de perfection, Mozart cesse d'écrire, simplement parce qu'il va cesser de vivre. Il a laissé le soin d'achever l'ouvrage à son élève le plus proche. Mais avec, ou malgré cela, Mozart reste présent dans le Requiem et tout entier devant nous, au point que sa prière nous apparaît aussi innocente que certaines de ses compositions enfantines. C'est probablement le miracle de sa musique : cette fraîcheur, cette douce résignation mozartienne qui nous permet d'atteindre des cimes apaisées, d'approcher une lumière surnaturelle. Il est vrai que peu de compositeurs ont traité avec autant d'émotion, de souffle, de grandeur, la liturgie des fins dernières de l'homme. Mozart est mort obscurément à Vienne le 5 décembre 1791, d'une mort que nous ne sommes pas parvenus encore à élucider. Nul autre artiste, parmi les plus grands, n'aura vécu une telle vie : sous sa médiocrité, sa misère se cache le signe d'une prédestination unique. Ame toute emplie d'amour et de compassion pour les hommes, de saine grandeur morale malgré les faiblesse habituelles de la nature, de simple et candide bonté de coeur, de pure sérénité qui, en se répandant sur notre monde ravagé, y jette en permanence une lueur consolatrice.


Ce Requiem est donc la dernière page de musique qu'il ait rédigée. Jamais son écriture n'a été plus ferme et plus précise. Elle marque, avec ses croches et ses silences," les pas d'un géant ressuscité d'entre les morts, gravissant la pente qui mène à l'ultime sommet, comme surchargé du fardeau de nos douleurs"? *

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

* Georges de Saint-Foix
 

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Mozart à l'heure du requiem
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