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17 février 2020 1 17 /02 /février /2020 08:27
Courrier prioritaire d'Anita Vaillancourt

Anita est une Québécoise dont quelques dizaines de printemps ont déjà enchanté la vie mais dont quelques hivers ont aussi terni certaines périodes, laissant des stigmates  difficiles à cicatriser. Elle a enseigné le français avec passion et, depuis qu’elle est à la retraite, l’aquarelle qu’elle pratique avec talent. Reconnue et cotée, elle expose régulièrement. A l’heure où certains pensent à rédiger leur testament, Anita a écrit ce qu’on pourrait considérer comme son testament affectif en rédigeant une lettre à l’intention de ceux qui ont compté dans sa vie, ont contribué à en faire ce qu’elle a été, est toujours et sera encore pour de nombreuses autres années. Ainsi, s'adresse-t-elle d’abord à sa mère décédée en lui donnant la vie, à son mauvais père, brutal et alcoolique qui l’a confiée à sa belle-sœur, une mère de substitution chargée d’une famille de substitution elle aussi. Anita écrit également aux vivants,  à sa famille, celle qu’elle a pu connaître, à ses amis, réels ou virtuels, aux réseaux sociaux qui  lui fournissent de la compagnie pour meubler sa solitude. N’y rencontre-t-elle pas de vrais amis et je suis heureux d’en être. Elle écrit aussi à ceux et celles qui peuplent son quotidien : sa femme de ménage, qui est davantage une compagne, au personnel de santé auquel elle a recours, aux commerçants qu’elle rencontre régulièrement et à tous ceux qui ont fait partie de sa vie à un moment donné. Anita a d’autre part des amis qu’elle chérit particulièrement : ses colibris et ses chiens, alors elle écrit à ceux qui lui tiennent compagnie comme à ceux qui sont déjà partis rejoindre le paradis des bêtes à plumes ou à poils. Et elle écrit à d’autres encore,  je ne peux pas les citer tous, car elle n’oublie aucun de ceux qui ont mis de l’amitié et de l’amour dans son cœur, et même à ceux et celles qu’elle n’a pas aimés - ils ne sont pas nombreux -  il n’y en a que deux il me semble, mais elle ne les oublie pas.

 

Anita, c’est un puits d’amour et d’amitié qui déborde sans cesse. En écrivant ces lettres, elle sait qu’elle apportera de l’amour et de l’amitié à ceux qu’elle a aimés, chéris, appréciés, comme le chanteur  Félix Leclerc, le violoniste virtuose David Garrett. Elle s’assure que ce qui devait-être dit est bien dit ; elle a proféré ou susurré son amour, son amitié, son admiration, sa reconnaissance, elle a dit aussi ce qu’elle pensait à ce père indigne qui l’a abandonnée après avoir fait souffrir sa mère, une mère supérieure qu’il a humiliée. Anita est une grande sentimentale mais lorsque les événements l’exigent, elle sait faire preuve de fermeté et d’une réelle autorité. Elle n’aime pas ceux qui n’aiment pas !

 

Anita, je me permets de te tutoyer, nous nous connaissons virtuellement depuis bientôt une dizaine d’années et, sur les réseaux sociaux, nous nous tutoyons depuis bien longtemps,  je ne vais donc pas faire l’hypocrite et t’avouer très honnêtement qu’après la lecture des trois premières lettres, j’ai failli arrêter ma lecture tant l’émotion me submergeait. Mes yeux étaient mouillés, j’ai dû marquer une pause. Tu as su en relatant les temps forts de ta vie mettre une telle intensité dans ton propos qu’il peut bouleverser le lecteur, l’émouvoir aux larmes. Mais ce qui restera de ce recueil épistolaire est une biographie, le récit d’une vie bien mal engagée que tu as su, avec le concours de  ceux qui t’ont entourée un jour ou l’autre, rendre belle et précieuse pour celles et  ceux à qui tu as apporté ton amour, ton amitié, ta compassion, ton savoir et ta grande humanité. Nul n’oubliera ton immense générosité et ta si profonde sympathie.

Et comme tu l’écris partout : VIVE LA VIE !

 

Denis BILLAMBOZ


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Anita et quelques-uns de ses amis dans un café québécois.

Anita et quelques-uns de ses amis dans un café québécois.

Courrier prioritaire d'Anita Vaillancourt
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10 février 2020 1 10 /02 /février /2020 09:06
La vie des fourmis de Maurice Maeterlinck
La vie des fourmis de Maurice Maeterlinck

 

Pour clore la trilogie qu’il a consacrée aux insectes vivant en société organisée, Maurice Maeterlinck, après avoir étudié la vie des abeilles et des termites, s’est intéressé à celle des fourmis qui est encore plus complexe car il existe une diversité énorme de fourmis, différentes d’une espèce à l’autre, vivant selon des principes, des règles et des mœurs complexes eux aussi. « On en a décrit à ce jour six mille espèces qui toutes ont leurs mœurs, leurs caractères particuliers ». Il n’a pas étudié lui-même les fourmis comme il n’avait pas auparavant étudié la vie des termites, il a compulsé les meilleurs auteurs parcourant la presque totalité de la production sur le sujet à la date de la publication de son ouvrage. Rappelons que s’il a publié « La vie des abeilles » en 1901, « La vie des termites » n’est paru qu’en 1926 et  « La vie des fourmis » en 1930.

 

La fourmilière est peuplée par des reines, des femelles fécondées, vivant une douzaine d’années, d’innombrables cohortes d’ouvriers (ou ouvrières ) asexués vivant trois ou quatre ans et de quelques centaines de mâles qui disparaissent au bout de cinq à six semaines. Dans une fourmilière peuvent cohabiter plusieurs colonies avec plusieurs reines et même parfois différentes espèces en plus ou moins bonne harmonie. La fourmilière héberge aussi une quantité de parasites, l’auteur écrit qu’on en comptait, au moment de la rédaction de son ouvrage, « plus de deux milles espèces, et d’incessantes découvertes accroissent journellement ce nombre ». Je n’ai pas eu la curiosité de vérifier cette donnée auprès d’autres sources, la vie et l’histoire de ce monde en miniature sont pourtant fascinantes et permettent de formuler moult élucubrations plus ou moins fantaisistes mais, pour certaines, tout à fait plausibles. L’auteur s’est penché sur cette vie grouillante et pourtant très organisée qui peut évoquer l’humanité à une échelle réduite et peut-être même dotée d’une intelligence au moins comparable. C’est là un vaste champ d’investigation, de réflexion, d’imagination et  de recherche qui ne sera sans doute jamais exploré jusqu’à ses ultimes limites.

 

Pour suivre le préfacier, Michel Brix, nous retiendrons que l’auteur formule deux interrogations à travers cette trilogie : « les insectes sont-ils heureux ? Et quelle spiritualité serait susceptible d’éclairer et de conforter les humains dans leur marche vers une existence plus « sociale », marquée par le renoncement à l’intérêt individuel ?» Ainsi, la trilogie est-elle empreinte de cette double question et principalement ce troisième opus consacré aux fourmis qui sont plus dévouées au collectif que les abeilles et les termites, leur l’esprit de sacrifice étant absolu. Maeterlinck les considère comme les infimes parties d’un tout vivant, à l’exemple d’une cellule d’un corps humain.

 

Certaines espèces de fourmis sont extrêmement évoluées, elles peuvent cultiver des champignons, élever des parasites, moissonner, elles sont encore plus ingénieuses et mieux organisées que les abeilles et les termites. Mais, comme si toute évolution impliquait un esprit hégémonique et conquérant, « seules, entre tous les insectes, les fourmis ont des armées organisées et entreprennent des guerres offensives ». Nombre d'entre elles peuvent aussi causer des dégâts cataclysmiques dans la végétation, dans les villages, partout où leur énorme flot se déverse en un  fleuve tranquille mais dévastateur. Elles ont aussi inventé l’esclavage en contraignant les espèces les moins solides, les moins débrouillardes, à les servir.

 

L’étude de la vie des fourmis bute néanmoins sur de nombreux mystères que la science n’a pu élucider avant la publication de cet ouvrage et pas davantage aujourd’hui, même si la connaissance a probablement évolué depuis la publication de l'opus. Un des problèmes fondamental réside dans l’expansion incessante du nombre des individus, la reine pond sans cesse à un rythme effréné sans qu’aucun système de régulation ne freine le processus de reproduction. Quel pourrait être le but d’une telle frénésie reproductrice ? L’auteur laisse cette question en suspens. Pour clore la trilogie, nous resterons sur une autre interrogation formulée également par Maeterlinck : « Les fourmis iront-elles plus loin ? » Rien ne permet de le dire mais rien n’est impossible, l’accroissement exponentiel du nombre des individus reste une hypothèse plausible et, dans ce cas, l’étendue des dégâts qu’elles causent peut croître elle aussi de façon extraordinaire. Et si cette question n’appartenait pas au seul domaine de la science ? A la lecture de la trilogie, on constate que Maeterlinck n'a pas craint de se la poser.


Denis BILLAMBOZ


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La vie des fourmis de Maurice Maeterlinck
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3 février 2020 1 03 /02 /février /2020 08:15
La vie des termites de Maurice Maeterlinck

 

Passionné d’apiculture, Maurice Maeterlinck a voulu tenter de comprendre comment s’organisent les insectes qui vivent en colonie, sonder les mystères de la ruche, de la termitière et de la fourmilière pour percer les secrets des lois et principes qui régissent leurs existences. Dès 1901, il a publié un essai sur la vie des abeilles et, en 1927, publié le second tome de sa trilogie qu’il consacre aux termites. La démarche est un peu différente, il connaissait bien les abeilles et il pratiquait lui-même des expériences. Concernant les termites, il nourrit sa réflexion à la source des travaux pratiqués par les grands entomologistes spécialisés dans l’observation de leur organisation sociale et de leurs mœurs et en récoltant des témoignages de voyageurs ou d’expatriés ayant séjourné dans des pays où les termites sont implantés.

 

A l’époque où Maeterlinck rédigea ce livre, on estimait qu’il existait sur la planète entre douze et quinze cents espèces de termites dont on ne connaissait les mœurs que d'une centaine environ. Cette multitude d’espèces implique qu’il existe des différences conséquentes entre elles et que, probablement, elles ne sont pas toutes au même stade de leur évolution. L’auteur a donc concentré son étude sur les espèces les plus connues.

 

Le termite est un destructeur dévastateur, les colonies sont très peuplées, les individus se comptent par millions et peuvent anéantir en un temps record des constructions monumentales, des plantations, des objets divers composés de cellulose ou de matériaux à base de cellulose. C’est un véritable fléau qui pourrait prendre d’autres proportions avec le réchauffement de la planète et Maeterlinck avait déjà émis une hypothèse dans ce sens. Et pourtant, cet insecte est des plus vulnérables, la fourmi son grand prédateur en vient très facilement à bout. Sa seule défense est de calfeutrer totalement la termitière afin que la fourmi ne trouve aucune faille pour s'y introduire. « Il n’est pas être plus déshérité que le termite. Il n’a pas d’armes défensives ou offensives. Son ventre mou crève sous la pression d’un doigt d’enfant ».

 

La termitière héberge une ou plusieurs reines totalement hypertrophiées ne servant qu’à pondre en continu des millions d’œufs ; quelques rois chétifs  asservis, reclus dans un coin de la case de la reine qu’il féconde ; des adultes ailés qui ne font qu’une apparition éclatante, tragique et éphémère ; des ouvriers, estomacs et ventres de la communauté ; des soldats handicapés au point de ne pas pouvoir se nourrir seuls et privés de sexe. Il semble que le pouvoir repose sur la collectivités des ouvriers qui ne poursuit qu’un seul objectif : la survie et la perpétuation de l’espèce. Ce système collectiviste poussé à son extrême a permis aux termites, malgré un système social moins élaboré que celui des abeilles, de surmonter les énormes chamboulements subis par la planète depuis l’ère primaire où certaines espèces sont déjà attestées.

 

Les termites sont aveugles et ne supportent pas la lumière, ils ne supportent pas davantage les différences de température, ils ont donc appris à construire des tunnels pour se déplacer à l’extérieur et ils savent réguler la température dans la termitière dont la partie souterraine est souvent plus importante que la partie hors sol. « Dans la sombre république stercoraire, le sacrifice est absolu, l’emmurement total, le contrôle incessant. Tout est noir, opprimé, oppressé. Les années s’y succèdent en d’étroites ténèbres. Tous y sont esclaves et presque tous aveugles ». Le repos n’existe pas dans cet univers étroit, la maladie est immédiatement sanctionnée, toute défaillance est un arrêt de mort. Les termites ne jettent rien, ils mangent leurs déjections et les morts, y compris les victimes de leurs sacrifices. Ainsi ont-ils inventé la communauté sans déchets. Au fil des millénaires, ils ont appris à ne se nourrir que de cellulose en faisant pré-digérer celle-ci par des protozoaires dont ils mangent les déjections. A l’abri des prédateurs, et malgré leur fragilité, les termites sont autosuffisants et capables de supporter des conditions extrêmement difficiles.

 

A travers l’étude des termites et de leur formidable capacité à traverser les ères géologiques et les époques, Maurice Maeterlinck s’interroge sur l’évolution des espèces qui, plus elles approchent de leur idéal, plus leur système social se perfectionne, plus il est efficace, plus la notion de sacrifice semble se développer. La discipline devient plus sévère confinant à une tyrannie quasi intolérante et intolérable. L'auteur, comme il l’avait déjà fait en étudiant les abeilles, projette l’organisation sociale, les mœurs, le mode de vie des termites dans le genre humain et essaie d’en tirer des enseignements pour l’avenir de l’humanité. Il pousse très loin sa réflexion, la conduisant, au-delà de la philosophie, aux confins de la science-fiction et du mysticisme. Cette réflexion est passionnante et elle laisse la place à de nombreuses hypothèses et à l’imagination de chacun…

« Voilà des millions d’années que les termites s’élèvent vers un idéal qu’ils semblent à peu près atteindre. Que se passera-t-il quand ils l’auront entièrement réalisé ? » Une question qui conduit directement à s’interroger sur l’avenir et la fin éventuelle de l’humanité.


Denis BILLAMBOZ

 

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Termites

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27 janvier 2020 1 27 /01 /janvier /2020 08:38
La vie des abeilles de Maurice Maeterlinck

Prix Nobel de littérature en 1911, Maurice Maeterlinck fut aussi un grand apiculteur. Impressionné par l’organisation sociale des abeilles, il a étudié leur vie et celle des autres insectes vivant en colonies organisées : les termites et les fourmis. De ces études, il a tiré une trilogie que je présente ci-dessous en trois parties.

 

 

La vie des abeilles

Maurice Maeterlinck (1862 – 1949)

 

Maurice Maeterlinck est non seulement un écrivain dont le talent a été reconnu par l’Académie suédoise qui lui a décerné le Prix Nobel de littérature en 1911, mais il est aussi un grand admirateur et un vrai spécialiste des apidés. Il maitrise la pratique de l’apiculture et connait la science des « apitologues ». Il a écrit cet ouvrage, publié en 1901, pour exprimer sa passion pour ce monde très mystérieux et surtout pour le faire mieux connaître de ceux qui le considèrent trop souvent comme le fournisseur du miel dont les membres peuvent, à l’occasion, user de leur dard pour infliger de douloureuses piqûres. Il précise lui-même : « Je n’ai pas l’intention d’écrire un traité d’apiculture ou d’élevage des abeilles ». Il en existe suffisamment.

Il a construit cet ouvrage en suivant le cycle de la vie d’une colonie s’éveillant à la fin de l’hiver quand les toutes premières fleurs titillent les sens des butineuses. La ruche se met alors en mouvement, une sorte de frénésie s’empare des abeilles et le cycle annuel recommence « « la formation et le départ de l’essaim, la fondation de la cité nouvelle, la naissance, les combats et le vol nuptial des jeunes reines, le massacre des mâles et le retour du sommeil de l’hiver ».

Maurice Maeterlinck est un écrivain talentueux, il raconte la vie des abeilles avec passion et précision, rendant son texte accessible à tous même si le monde des abeilles est fort complexe et qu’il n’est pas facile d’essayer d’en percer les mystères et de les décrire sans pouvoir réellement les comprendre. Il connait la littérature sur le sujet et il a lui-même pratiqué de nombreuses expériences pour conforter des données déjà connues ou pour valider des choses qu’il avait constatées sans qu’elles soient encore démontrées. Mais c’est aussi un poète qui voit dans le monde des abeilles beaucoup plus qu’une simple société d’insectes structurée autour de deux principes : la collectivité qui prime sur tout et l’avenir du monde des apidés soit la perpétuation de l’espèce. J’ai ressenti dans son texte une sensibilité, une certaine tendresse, dépassant ces simples notions scientifiques et existentielles.

Dans sa préface, Michel Brix, éclaire un autre aspect de cet essai : son sens philosophique. Il écrit : « Dans la vie des abeilles, le modèle de l’écrivain belge est clairement Novalis représentant de la Naturphilosophie, et dont l’œuvre allie les sciences naturelles à la poésie et la spiritualité ». Maurice Maeterlinck n’est pas seulement un écrivain qui se pique de passion pour la science et plus particulièrement celle des « apitologues », c’est également un poète, comme je viens de l’écrire, et un philosophe qui cherche dans ses observations à comprendre le fonctionnement d’une société d’insectes dont il pourrait étendre les conclusions à l’humanité. Il a cherché chez les abeilles non seulement le comment mais aussi le pourquoi de la vie humaine et des grands mystères qui en dictent tous les moments critiques, décidant de l’existence terrestre même. Mais qui est donc le décideur supérieur qui commande aux abeilles de se mettre en vol pour trouver une nouvelle demeure et ainsi perpétuer l’avenir de l’espèce ? Et, des questions comme celles-ci, Maeterlinck en soulève un certain nombre en les projetant au niveau du genre humain.

Ce texte est un véritable plaidoyer pour le travail collectif et l’instinct de conservation de l’espèce que les abeilles démontrent dans toutes les phases de leur existence, mais cette abnégation et ses conséquences ont un prix. « A mesure que la société s’organise et s’élève, la vie particulière de chacun de ses membres voit décroître son cercle. Dès qu’il y a progrès quelque part, il ne résulte que du sacrifice de plus en plus complet de l’intérêt personnel en général » (propos de l’auteur cités par le préfacier). Alors quels sont les enseignements que les hommes peuvent retirer de l’observation de l’organisation et du fonctionnement du monde des insectes qui vivent en colonies organisées ? Ceux qui liront ce texte en tireront peut-être quelques enseignements sans pour autant emprunter les sentes du mysticisme parcourues par l’écrivain philosophe et scientifique belge. Il n’a pas résolu les grandes énigmes de la vie mais il a ouvert des portes pour ceux qui voudraient poursuivre ses réflexions.

Intelligence collective, spécialisation des individus, sélection naturelle, sens de l’avenir sont des éléments essentiels de l’étude de l’auteur et, pour conforter ses analyses et ses projections sociales, philosophiques et même mystiques, il a, vers la fin des années vingt du XXe siècle, écrit deux autres ouvrages consacrés à des insectes vivant en colonie : « La vie des termites » publiée en 1927 et « La vie des fourmis » parue en 1930 , construisant ainsi une trilogie consacrée à l’étude des insectes dont les trois parties sont souvent regroupées. Bartillat vient de rééditer les trois tomes séparément mais simultanément, je commenterai les deux autres dans les semaines à venir.

Denis BILLAMBOZ


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Maurice Maeterlinck

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2 décembre 2019 1 02 /12 /décembre /2019 09:40
Les dames de l'Elysée de Bertrand-Meyer-Stabley et Lynda Maache

Bertrand Meyer-Stabley et Lynda Maache ont une nouvelle fois réuni leurs plumes pour écrire l’histoire des Premières Dames de France qui ont occupé l’Elysée depuis le début de la Ve République, d’Yvonne de Gaulle à Brigitte Macron. Une galerie de portraits hauts en couleur, des femmes très en vue, trop peut-être, des femmes au rôle indéfini et mal aimées qui ont presque toutes détesté la fonction.

 

 

Les dames de l’Elysée

Bertrand Meyer-Stabley (19555 - ….)

Lynda Maache

 

 

On les dénomme souvent « First lady » comme si en France il n’existait aucune expression pour définir ces femmes qui sont les épouses ou les compagnes de ceux qui sont élus à la présidence de la République. Effectivement, leur statut n’est absolument pas défini, elles sont de simples épouses ou compagnes, mais entrent par la force des choses dans le jeu politique national ou international par le seul fait de la place qu’elles occupent aux côtés de celui qui préside et décide. Emmanuel Macron a voulu mettre un terme à ce flou politique, il a « mis le sujet en avant pendant la campagne présidentielle, en expliquant qu’il fallait donner un véritable statut à la Première dame, afin de sortir d’un flou, d’une « hypocrisie » française ». Mais les événements  en ont décidé autrement, le flou demeure même si une charte tend à éclaircir quelque peu cet état de fait, devenu une sorte de fonction.

 

Bertrand Meyer-Stabley et Lynda Maache, ont exploré et observé attentivement l’existence de ces dames qui ont vécu aux côtés de nos président depuis la fondation de la Ve République par le Général de Gaulle. Ils ont cherché à comprendre le rôle qu’elles ont joué, la place qu’elles ont occupée, plus ou moins volontairement, avec plus ou moins d’ambition, l’image qu’elles ont donnée de la France, des institutions, du pouvoir, et tout simplement de celui qu’elles accompagnaient dans la lourde mission qui lui incombait. Sous le regard de plus en plus acéré et de moins en moins respectueux des médias, elles n’ont pas souvent vécu l’existence dont elles avaient rêvée avant de s’installer au « Château » ou simplement d’y travailler en résidant ailleurs.

 

Les auteurs ont su éviter les pièges de la médiatisation, ils n’avancent que des faits avérés, ne parlent des rumeurs qu’en évoquant l’impact qu’elles peuvent avoir sur le pouvoir, sur les institutions, sur la France et surtout sur elles-mêmes. Rendons-leur cet hommage de ne pas avoir succombé à cette abominable tentation et d’avoir su dignité garder. Pourtant les opportunités de salir ces femmes tellement exposées ne manquaient pas, elles ont toutes connu leur lot d‘avanies au point, parfois, pour certaines, de prendre la fonction en horreur et de détester la vie de « Château ». Pour chacune, ils racontent leurs origines, leur rencontre avec l’heureux élu, les campagnes électorales, l’installation à l’Elysée, les obstacles à franchir, les affronts à subir et tout ce qui constitue la vie d’une épouse de chef d’Etat. Leur rôle essentiel consistant en la représentation de la France, tout est passé au crible : les tenues, les coiffures, les attitudes, l’organisation des réceptions, les relations mondaines, les sorties à l’étranger….  Elles sont en permanence sous les feux de la rampe.

 

Rien ne leur est pardonné et pourtant toutes n’apportent pas autant de matière aux deux auteurs, elles ont des origines différentes même si elles sont plutôt bourgeoises et fortunées, leurs études sont souvent solides mais leurs parcours sont assez différents, et, surtout, elles ont leur tempérament, leur caractère, leurs ambitions, leurs exigences. Yvonne de Gaulle, par exemple, ne leur  fournit qu’une bien maigre matière pour un long passage à l’Elysée, au regard de ce qu’on put apporter Cécilia Sarkozy, Carla Bruni Sarkozy, Brigitte Macron, des femmes qui avaient déjà une ascendance, une histoire, une réputation, une notoriété, une carrière, des engagements, avant d’entrer à l’Elysée.

 

Il convient aussi de noter qu’en six décennies les mœurs ont changé, les moyens d’information également, qu'ils ont été totalement réinventés, que le statut des élus politiques et de leurs compagnes s’est notoirement dégradé, que de trop nombreuses affaires ont provoqué une forte érosion de la notabilité, du respect, du standing. La distance entre le citoyen et le Président s’est considérablement raccourcie, de nombreux jeunes font des études très poussées et le recrutement des personnels politiques se fait de moins en moins sur la base du talent, de la compétence et du dévouement à la fonction. De ce fait, le Président et celle qui l’accompagne ne sont plus considérés comme des personnages inaccessibles perchés sur leur Olympe.

 

En lisant ce texte très documenté, vous comprendrez mieux pourquoi ces premières  dames n’ont pas éprouvé une énorme douleur au moment de quitter l’Elysée. Certaines ont mal vécu la défaite électorale mais aucune n’a été très fâchée de regagner ses pénates et de sortir de l’œil du cyclone médiatique.


Denis BILLAMBOZ


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23 septembre 2019 1 23 /09 /septembre /2019 06:56
Alberto Giacometti, ascèse et passion, de Anca Visdei

Après vous avoir évoqué la musique, je consacre cette chronique à la peinture et à la sculpture avec une superbe biographie du peintre et sculpteur suisse Alberto Giacometti qui vécut longtemps à Montparnasse au temps où ce célèbre boulevard attirait tous les artistes et toutes célébrités férues d’art. Cette biographie est l’œuvre d’une auteure d’origine roumaine qui vit actuellement à Paris où elle a pu marcher sur les traces du maître.

 

 

Alberto Giacometti - Ascèse et passion

Anca Visdei

 

 

Le 11 mai 2015, chez Christie’s à New York, « L’Homme au doigt » une statue de Giacometti est adjugée pour 141.285 millions de dollars, devenant ainsi la statue la plus chère jamais vendue au monde, devançant une autre statue de Giacometti adjugée 103.93 millions de dollars en 2010. Voilà au moins une bonne raison de s’intéresser à cet artiste et de découvrir ce que fut sa vie d’homme et de sculpteur. Anca Visdei a mis ses pieds dans les pas du maître, elle est retournée aux sources, dans le Val Bregaglia, au coeur des Grisons, là où il est né.  Les Grisons c’est le plus grand canton de Suisse mais le moins peuplé, c’est un massif de pics et vallées profondes au rude climat qui attire cependant les touristes fortunés et les hommes d’affaires les plus riches de la planète. Coincé entre l’Italie, l’Autriche, le Liechtenstein, c’est un canton dont beaucoup partent pour exporter leur savoir et en acquérir d’autres.

 

La famille Giacometti est arrivée dans cette vallée au début du XIXe siècle, elle observe strictement la religion réformée qui, sous la férule de sa mère, marquera Alberto toute sa vie. L’art est un gène familial, le père est un peintre reconnu, d’autres membres de la famille sont aussi reconnus pour leur talent artistique. Anca Visdei explore l’arbre généalogique des Giacometti afin d'évaluer l’impact de ce gène artistique. Depuis, son enfance Alberto dessine, peint avec son père qui l’encourage à bouger pour voir d’autres choses, d’autres formes d’art. Le fils voyage mais très vite, vers ses vingt ans, il se fixe dans une baraque, un atelier logis plutôt sommaire, avec son frère Diego, puis à Paris près du célèbre boulevard du Montparnasse. Diego, le frère fêtard, que ses parents lui ont confié, restera toute sa vie avec Alberto dont il est inséparable car c’est lui qui réalise les armatures, les moulages, les patines, les accessoires, il est adroit, il a du talent mais ce n’est pas un artiste, c’est plutôt un artisan d’art qui acquerra une certaine notoriété après la mort de son frère.

 

A Montparnasse Giacometti se consacre totalement à son art, négligeant le confort matériel et les plaisirs de la vie « il renonce même à l’orgueil de la réussite, du succès et de la gloire… Vœu de pauvreté, vœu de chasteté (du cœur), vœu d’humilité ». Les oreillons, dont il a souffert dans son adolescence, ont jeté un doute sur sa virilité et le détournent des femmes sauf de celles qui font payer leurs étreintes. Anca Visdei le suit pendant ses longues séances de travail dans son austère atelier où il respecte la poussière et tyrannise ses modèles, et dans ses longues escapades nocturnes avec les péripatéticiennes de Saint-Denis et de Montparnasse. Il est devenu un sédentaire qui ne voyagera qu’à la toute fin de sa vie. Durant celle-ci, il restera un austère protestant, torturé par la recherche de son art qui ne lui donne jamais satisfaction, par ses œuvres qu’il ne parvient jamais à achever, par les femmes qui l’effraient, soumis à la force tutélaire de sa mère.

 

L’auteure le suit ainsi dans sa traversée artistique du demi-siècle (début des années 1920 – 1965) qu’il vit à Montparnasse, perpétuellement à la recherche de l’aboutissement de son art, « après avoir exploré successivement le cubisme, et même très partiellement le futurisme, connu à Paris, le postimpressionnisme et le fauvisme transmis par son père, Giacometti n’a cessé de chercher plus loin dans l’histoire de l’art ». Passant par Cimabue, Giotto, Piero della Francesca et Le Tintoret, il continuera sa quête jusqu’à l’exploration des arts primitifs pour transposer sa recherche dans son œuvre. Elle l’accompagne aussi quand il rencontre enfin le succès et la gloire de son vivant, contrairement à beaucoup d’autres artistes, mais il n’en profitera que peu, vivant toujours dans son austère demeure avec une femme qu’il n’aime pas et une maîtresse qui lui soutire son argent.

 

La biographie d’Alberto Giacometti, ce n’est pas seulement le récit de la vie d’un immense artiste torturé, c’est aussi un demi-siècle d’histoire de l’art à Montparnasse quand ce quartier de Paris était le centre du monde artistique et culturel, là où tous les grands artistes se sont rencontrés un jour ou l’autre. Et nombreux, très nombreux sont ceux qui ont eu l’honneur de côtoyer le maître. L’auteure nous raconte ses aventures, ses amours, ses querelles, ses disputes, comment Breton l’a expulsé des Surréalistes, comment il a noué une belle amitié avec un cousin d’Anne Frank dont la famille fut elle aussi décimée par les Nazis. Cet ouvrage est une page d’histoire de l’art et même une page d’histoire tout court, au temps où le monde culturel et littéraire ne résistait pas au tropisme de Montparnasse, quand Alberto Giacometti était toujours là entre son atelier, les brasseries (Le Dôme, La Closerie des Lilas, Chez Adrien…) et les trottoirs de Saint-Denis et de son quartier et quelques voyages pèlerinages dans ses Grisons natals lorsque le besoin  de se ressourcer se faisait sentir. Le plus impressionnant dans cette biographie reste, néanmoins, cette foule immense de personnalités aujourd’hui  célèbre que le maître a eu l’occasion de fréquenter et parfois même très intimement.

Editions Odile Jacob

 

Denis BILLAMBOZ


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Alberto Giacometti, ascèse et passion, de Anca Visdei
Alberto Giacometti, ascèse et passion, de Anca Visdei
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2 juillet 2019 2 02 /07 /juillet /2019 08:50
Le modèle oublié de Pierre Perrin

Pierre Perrin, un enfant comme moi du Pays de Courbet, a, pour célébrer l’anniversaire de la naissance du maître d’Ornans, écrit cet ouvrage qui montre Courbet adulte dans son foyer et père de famille même s’il n’a jamais voulu épouser la femme qui lui a donné le fils qu’il a refusé de reconnaître. L’homme ne semble pas être à la hauteur de l’artiste.

 

 

Le modèle oublié

Pierre Perrin (1950 - ….)

 

 

Le 10 juin prochain (2019), nous fêterons le deux centième anniversaire de la naissance de Gustave Courbet. A cette occasion, Pierre Perrin publie un livre sur le maître. La littérature étant déjà fort abondante sur le sujet, il a choisi de montrer l’homme plutôt que le peintre, une façon de mieux comprendre son rapport à son œuvre. Il dépeint l’enfant rébarbatif aux études au séminaire, le jeune homme fêtard, abusant de l’alcool et de la nourriture, le séducteur coureur de filles mais surtout le conjoint amoureux même s’il n’est pas très fidèle et le père qui n’a pas su aimer son fils comme il l’aurait voulu. Il dépeint également le bourgeois affairiste, avide d’argent, qui joue au socialiste sous le regard narquois de ses compatriotes comtois, notamment Proudhon. Et l’ami fidèle qu’il a été pour ses compagnons de province ou pour ses relations parisiennes comme Baudelaire qu’il a fréquenté jusqu’à sa mort.

 

On dépeint souvent Courbet entouré de jeunes filles fort séduisantes et peu farouches qui ne sont pas que des modèles pour le peintre, mais on n’évoque jamais celle qui a longuement partagé sa vie à Paris : Virginie Binet qu’il appelait ma Vigie tant elle était de bon conseil. C’était aussi un point d’ancrage où il aimait revenir, comme le marin au port d’attache, après de longues escapades à travers la France, et même l’Europe, mais surtout pour de longues vacances à Ornans d’où il ne pouvait que difficilement s’arracher pour rentrer à Paris. Virginie, il l’a rencontrée à Dieppe, où elle vivait encore chez son père malgré sa trentaine. Il l’a aimée très vite et s’est démené comme un diable pour la faire venir à Paris au moment où il ne connaissait ni la gloire, ni la fortune, se contentant de dépenser les subsides d’un père embourgeoisé. Cette union jamais légitimée, plutôt harmonieuse, durera plus d’une décennie, Virginie lui donnera même un fils, Emile, qu’il refusera de déclarer. Mais la fidèle compagne finira par se lasser des frasques et surtout des absences de l’homme qui partageait sa vie et rejoindra sa ville natale avec son fils.

 

Sans sa conjointe, sans son fils, Courbet souffrira mais continuera à travailler sans répit, c’était une force de la nature. Il a peint quantité de tableaux dont bon nombre sont gigantesques et a ainsi accumulé âprement un joli pactole, achetant de nombreuses propriétés foncières dans la Vallée de la Loue. Pierre Perrin, en fin connaisseur du peintre et de son œuvre, relie chacune de ses œuvres majeures au contexte familial et social dans lequel le maître les a réalisées. Courbet n’avait qu’une seule maîtresse qui l’a envoûté tout au long de sa vie : la peinture dont il ne pouvait se passer et dont il était convaincu d’être le meilleur serviteur. Son égo démesuré, son orgueil, sa « grande gueule » ne lui vaudront pas que des succès, alors que Virginie n’est plus là pour l’apaiser. C’est la raison pour laquelle, il se fait des ennemis, froisse des personnes importantes et commet quelques bévues qui finiront par lui être préjudiciables. Le départ de Virginie sonne le début de la désescalade même si la côte du peintre grimpe et ne cessera jamais de grimper.

 

Pierre Perrin a choisi la biographie romancée pour pouvoir s’immiscer dans l’intimité de l’artiste et montrer Courbet tel qu’il était hors de son atelier et comment la femme de sa vie a contribué au développement de sa carrière. Ce texte, très documenté, montre l’irrésistible ascension du peintre déployant son immense talent auprès de sa douce et compréhensive compagne et la déchéance de l’homme, gros goujat égocentrique, goinfre et frivole, hâbleur et orgueilleux, sûr de lui en tout et pour tout, terminant pitoyablement sa vie en un exil qu’il aurait pu éviter avec un peu plus de réserve et de finesse.

 

Un livre à lire pour ceux qui veulent découvrir Courbet mais aussi un livre pour ceux qui croient tout savoir de Courbet, ignorant que l’individu, qui se cachait derrière l’artiste, était moins glorieux que le peintre toujours  admiré et adulé.


Denis BILLAMBOZ

 

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Le peintre Gustave Courbet

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8 avril 2019 1 08 /04 /avril /2019 07:55
Yves Saint Laurent, le soleil et les ombres de Bertrand Meyer-Stabley et Lynda Maache

Après avoir rendu hommage à Guillaume Apollinaire,  je vous propose cette semaine de rentre un hommage au Prince de la mode, Yves Saint-Laurent, disparu il y a dix ans. Les deux auteurs ont su faire revivre la légende sans oublier que l’immense  couturier avait aussi une part d’ombre qui obscurcit une partie de son existence.

 

 

Yves Saint Laurent – Le soleil et les ombres

Bertrand Meyer-Stabley

Lynda Maache

 

 

Il y a dix ans, le 1er juin 2008, une étoile s’éteignait dans le ciel de l’élégance, le prince de la mode Yves Saint Laurent. A l’occasion de cet anniversaire, Bertrand Meyer-Stabley et Lynda Maache, à travers une biographie très documentée, font revivre l’espace d’une lecture ce génie de l’ombre qui mit si bien les femmes dans la lumière. La haute-couture parisienne a vu de nombreuses étoiles scintiller au firmament de l’élégance mais seul Yves Saint Laurent, et Coco Chanel évidemment, sont entrés dans la légende devenant des mythes atemporels.

 

Les auteurs racontent comment Yves, petit garçon chéri de sa mère, coupait déjà à Oran, là où il est né, des robes en papier pour habiller les poupées de ses sœurs. Son talent se vérifia très vite. A  dix-huit ans, il gagne un premier trophée qui lui ouvre les portes de la plus prestigieuse maison du moment, Dior, dont il devient très vite le chef couturier.  En 1957, après le décès brutal de Christian Dior, sa vie ne sera plus alors qu’un long chemin de gloire et de souffrance, jalonné par les crises d’angoisse qui précédaient chaque collection et les triomphes qui accueillaient quasiment chacune de leur présentation. Sa rencontre avec Pierre Bergé avec qui il formera un couple mythique, soit le génie créatif et l’homme d’affaires avisé, sera décisive. A  eux deux, ils créeront un véritable empire en déclinant la haute-couture dans le prêt-à-porter et les parfums.

 

Ce tableau idyllique est cependant moins brillant qu’on pourrait le penser au vu de la réussite artistique et des résultats économiques de leur association. Yves est un grand anxieux qui a besoin d’évacuer son trop plein de tension dans des fêtes de plus en plus folles qui le conduisent au bord du gouffre, soit la déchéance. Pierre Bergé et ses amis dressent une véritable barrière autour de lui pour le protéger de ses démons afin qu’il ne sombre pas dans l’abîme qui l’attire irrésistiblement. Seuls le dessin, la création, les défilés le maintiendront à la surface jusqu’à ce qu’il se retire au sommet de sa gloire ne voulant pas compromettre son nom et sa renommée avec les productions de ceux qui lui ont succédé. Aucune tache ne pouvait souiller sa légende, « Il vivait dans un monde où la beauté n’avait pas de prix, était la seule règle, l’ultime exigence ».

 

Les auteurs parviennent à réanimer le mythe, pénétrant partout où le prince de la mode vécut aussi bien pour son travail que pour son plaisir, décrivant les vêtements de légende qu’il créa, les parfums immortels qu’il initia, les défilés qui resteront à jamais comme des moments de magie. Tous deux s’attachent  à souligner comment Yves Saint Laurent est parvenu à susciter la naissance d’une femme nouvelle, active, libérée, qui, sortie de son salon, arpente les rues, travaille et participe à la vie sociale et politique. Yves Saint Laurent, c’est une rencontre avec Dior et Pierre Bergé mais surtout une grande compréhension de la femme du dernier tiers du XXe siècle, de ses envies, de ses besoins, de ses préoccupations et de ses désirs. Il est devenu leur idole et le restera à jamais car les mythes sont immortels. « Cet immense créateur a fait plus que dessiner des vêtements, il a réinventé la garde-robe des femmes ». Il les a libérées en les rendant encore plus belles malgré leurs nombreuses activités.

 

Ce livre n’est pas seulement une ode à un génie de la mode mais un témoignage très documenté sur la vie à la fin du XXe siècle dans le monde de la Haute Couture, du luxe, de la création, des affaires mais aussi de la nuit et de ses excès et tourments. Il y a dix ans Yves Saint Laurent s’éteignait à Paris mais une étoile brillera à jamais au firmament de l’élégance et de l’esthétique.


Denis BILLAMBOZ


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Yves Saint Laurent et Pierre Bergé

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25 mars 2019 1 25 /03 /mars /2019 08:23
Les dupes de Jean Dutourd

Voici un recueil de trois nouvelles réédité à point nommé pour nous rappeler que Jean Dutourd n’était pas seulement l’auteur de « Au bon beurre », mais qu'il rédigea des textes qui ne sont autres que des essais percutants sur nos sociétés et leur organisation. Dans ce présent recueil, il dénonce le recours aux idéologies et croyances religieuses pour résoudre les problèmes sociétaux, une façon de renvoyer dos à dos les idéologues, doctrinaires, religieux en tout genre, gourous, … qui ne veulent pas prendre en compte les réalités. Il a peut-être eu raison trop tôt ?

 

Jean Dutourd, pour moi, c’est le souvenir de « Au bon beurre », un texte lu vers la fin de mon adolescence dont j’avais gardé un bon souvenir et, néanmoins, j’ai, comme toute une génération, vers la fin des années soixante, tourné le dos à cet auteur. Quand la jeunesse battait le pavé derrière diverses banderoles prônant de multiples idéologies, il n’était plus de bon ton de le lire, Jean  Dutourd étant considéré comme un réactionnaire « facho » par cette génération en ébullition. Il est donc, aujourd’hui, tout à fait opportun de revenir vers lui et de reconsidérer ce qu’il se proposait de dire, en cette fin  des années cinquante, à ceux qui déjà allumaient la mèche et s'échinaient à jeter toute une génération dans la rue.

 

« Les Dupes » est un recueil de trois nouvelles qui tente de faire comprendre aux lecteurs que les systèmes de pensée ou de croyance, les idéologies, religions, superstitions inventés par les homme, finiront par butter sur des réalités concrètes et difficiles à contourner. Ainsi le pauvre Baba, totalement à l’écoute de son maître en philosophie, veut-il mettre en œuvre les théories qu’il a apprises en participant à la guerre d’Espagne du côté des Républicains ! Malgré sa volonté et son engagement derrière les théories de son maître, il butte rapidement sur la perversité humaine et les aléas d’une vraie guerre pleine de rebondissements et d’imprévus.

 

Dans la seconde nouvelle, Dutourd crée un révolutionnaire allemand, Schnorr, venu à Paris pour participer à la Révolution de 1848, qui s’en prend aux Français, impuissants à conduire la moindre révolte car incapables  de suivre une idéologie claire et d’appliquer une théorie définie a priori par des penseurs éclairés. Schnorr écrit des lettres à Bakounine pour dénoncer cette incapacité et rencontre même Lamartine et Hugo pour leur dire combien leur révolution est vouée à l’échec. A travers les bouillonnantes activités de ce personnage, Dutourd cherche à prouver la puérilité et la vanité des théories que ce personnage s’échine à mettre en œuvre.

 

Dans la troisième nouvelle, Emile Tronche affronte le diable et refuse de céder à ses tentations. Ne croyant qu’en ce qu’il  voit, il n’entend pas céder aux sirènes de ceux qui promettent, pas plus qu’aux menaces de ceux qui effraient. Ce sage, qui a tiré, semble-t-il, les leçons des deux autres nouvelles, admet que la vie n'est pas forcément un long fleuve tranquille mais l'accepte sans forcément croire à un hypothétique grand soir.

 

Boudé, décrié, critiqué, voué aux gémonies pendant les années soixante et soixante-dix, Jean Dutourd n’avait peut-être pas totalement tort. Avec cette réédition de « Les Dupes », chacun aura l’occasion de se faire une opinion. L'auteur, quant à lui, avait déjà  compris que ceux qui défilent sous les bannières des idéologies en « isme » ou se réfugient dans des croyances, superstitions ou religions manipulées par des gourous, grands prêtres et autres sommités adulées, étaient les vraies dupes. « La vraie dupe est dupe de soi, dupe de ses idées, de ses sentiments, de la fausse conception qu’elle se forge de la vie et des hommes. » Et peut-être aussi de sa trop grande confiance en ceux qui entendent détenir la formule magique pour améliorer la marche du monde.

 

A travers ces trois nouvelles, et en considérant l’histoire de la fin du XXe siècle, force est de constater que de nombreuses idéologies et croyances se sont éventées et qu’il aurait peut-être fallu savoir raison garder. Mais comme on  ne réécrit pas l’histoire, le passé reste ce qu'il est. « La raison explique tout, éclaire tout. Mais une fois tout expliqué et tout éclairé, on est Gros-Jean comme devant. » Et si ce recueil était déjà une leçon de résilience ? Et une leçon adressée aux philosophes de télévision qui veulent sans cesse refaire le monde ?


Denis BILLAMBOZ
 

Cet ouvrage a été réédité par "La Dilettante".


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Jean Dutourd

Jean Dutourd

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28 janvier 2019 1 28 /01 /janvier /2019 08:38
Récit d'un naufragé de Gabriel Garcia Marquez

 

Le 28 février 1955, huit membres de l’équipage du destroyer colombien Caldas tombent à l’eau en mer des Caraïbes lors d’une tempête digne du « Typhon » de Joseph Conrad. Ils sont rapidement portés disparus. Le Caldas revenait d’un long séjour à Mobile en Alabama où il avait subi quelques réparations. Dix jours après cette tempête, un naufragé du destroyer accoste à la nage sur une plage isolée des côtes colombiennes où il est soigné et sauvé et en mesure de rejoindre la capitale où il est traité en héros par les forces gouvernementales du dictateur Gustavo Rojas Pinilla et considéré comme une star par les marchands du temple qui n’hésitent pas à l’utiliser comme une icône pour leurs campagnes publicitaires. Si bien que, comme toutes les vedettes des médias, Alejandro Velasco, le naufragé survivant, voit sa côte de popularité s’effriter bien vite et ses revenus fondre à la même vitesse. Il cherche alors à vendre son histoire aux médias qui l’ont déjà achetée plusieurs fois. Quand il frappe à la porte de l’Espectador de Bogota, le journal où Garcia Marquez fait ses débuts, le premier réflexe est de le jeter à la rue.

 

Mais le jeune journaliste décide de raconter le naufrage du marin en le délestant de la propagande dont le pouvoir et les marchands l’avaient affublé. Garcia Marquez voulait dire la vérité et révéler que le Caldas était chargé de marchandises de contrebande et que cette surcharge avait peut-être contribué à la noyade des marins. Pour que son texte franchisse le seuil de la censure, il le publie sous forme d’un feuilleton signé par le marin lui-même. Ce n’est qu’après que la notoriété l’eût rattrapé qu’un éditeur lui demanda de le publier sous son nom et sous la forme d’un livre. Garcia Marquez ne comprit pas que l’éditeur voulait publier ce texte, si bien qu’il le laissât faire en disant simplement que ce n’était pas une bonne idée. Aujourd'hui, il figure parmi ses meilleurs ouvrages.

 

Dans ce récit Garcia Marquez raconte le naufrage des marins, la disparition de certains à quelques mètres de Velasco, comment l’un d’eux avait réussi à construire un radeau, comment il avait pu vivre dix jours sans manger en buvant seulement quelques gorgées d’eau de mer, enfin les longues heures d’angoisse, l’agression des requins, les signes d’espoir suivis de phases de désespoir, mais surtout la volonté de toujours vouloir croire au miracle. A cette époque, l’auteur n’était qu’un jeune journaliste opposé au pouvoir  et sans aucune référence littéraire, ce qui n’empêchait pas  son texte d’être excellent. Même lorsque  la mer et le ciel sont à l’unisson, qu’il ne se passe rien, le rythme du récit ne baisse jamais d’intensité et une formule littéraire redonne vite de l’intérêt au récit. Garcia Marquez possédait l’art du récit épique qui conserve vigilante l’attention du lecteur. Il se tenait toujours au plus près de son personnage, de ses humeurs, de ses espoirs ou de son désespoir, emportant chacun dans l’aventure de ce naufragé. Son récit peut voisiner avec ceux des  grands auteurs qui ont raconté des expéditions homériques sur terre et  mer, dans les sables brûlants ou sur les glaces polaires. Un feuilleton journalistique publié sous un faux nom qui, désormais, se situe en tête d’une œuvre littéraire remarquable.


Denis BILLAMBOZ


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Récit d'un naufragé de Gabriel Garcia Marquez
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