Jusqu’à cette lecture je ne connaissais rien de Sagan, ou presque, elle n’appartenait pas à mon monde, elle avait surgi avant 68, pour moi elle appartenait à la génération d’avant, et j’avais tellement d’idoles à admirer que Sagan était restée sur les étagères poussiéreuses qui accueillent les livres qui ont quitté l’actualité et n’appartiennent pas encore à l’histoire.
Un certain sourire
Françoise Sagan (1935 – 2004)
Jusqu’à ce jour, je n’avais donc presque rien lu de Sagan, je n’avais même pas dix ans quand elle a écrit ce roman, son deuxième, après le célébrissime « Bonjour tristesse », je m'en tenais à la femme sulfureuse qui agitait les médias en créant le scandale à de multiples occasions. Dans ce texte, j’ai découvert une jeune auteure, presque encore une jeune fille, fragile, sensible, mais volontaire et engagée qui n’hésite pas à tutoyer la transgression en allant à l’encontre des bonnes mœurs de l’époque pour évoquer l’amour d’une jeune fille, tout juste sortie de l’adolescence, pour un homme beaucoup plus âgé qu’elle. Aujourd’hui ce texte passerait sans doute pour une gentille bluette, le rock an roll, les hippies, les beatniks, la révolution sexuelle n’avaient pas encore déferlé sur le Vieux Continent, dans les années cinquante, aussi faisait-elle preuve d’une réelle audace, et même d’une certaine provocation, en mettant en cause la morale bien pensante de la génération précédente.
Dominique, jeune provinciale icaunaise, arrive à Paris pour suivre ses études, elle traine son ennui dans les bars des quartiers estudiantins avec Bertrand, son amoureux de circonstance, qui lui présente Luc, son oncle, qui ne laisse pas la jeune fille indifférente. Rapidement elle balance entre le jeune homme et l’homme mûr, moins beau mais beaucoup plus séduisant, et progressivement s’immisce dans le couple de Luc, ne cherchant qu’à vivre une aventure charnelle avec le quadragénaire sans détrôner sa fidèle épouse. Toute la mécanique du texte repose sur la dualité entre plaisir et amour, Dominique réussira-t-elle a satisfaire son corps sans attacher son cœur à celui de Luc qu’elle ne prend, a priori, que comme une passade, une expérience, une étape dans sa vie de femme en construction ?
La lecture de ce texte fait immédiatement surgir des images de Jean Claude Brialy, Claude Rich, Jean Pierre Cassel, trainant gauchement une langueur affectée pour séduire des blondes évaporées et languides comme Jeanne Moreau, Jean Seberg, Bernadette Lafont, dans des films estampillés « Nouvelle vague » que j’ai vus durant mes années estudiantines. Une image fidèle de cette jeune bourgeoisie sans souci financier qui s’ennuyait un peu en attendant que la musique révolutionne les mœurs.
Je ne me souviens pas de la polémique qui a entouré la parution des premiers romans de Sagan mais après cette lecture, je peux aisément concevoir la réaction des populations éduquées dans la conception de l’amour qui conduit au mariage et à la procréation, impliquant un respect strict de la fidélité conjugale. Dominique aime Bertrand pour meubler le vide de sa vie, elle succombe au charme de Luc, un homme marié et beaucoup plus âgé qu’elle, simplement, du moins l’espère-t-elle, pour connaître une aventure charnelle sans grand sentiment. Des comportements et des mœurs qui ne peuvent que choquer le bourgeois d’avant les sixties et déclencher les réactions en chaîne qui ont meublé la vie de l’auteure.
Sagan était peut-être un peu visionnaire, elle a peut-être senti que les mœurs étaient en train de se libérer, que l’amour ne serait plus comme avant même s’il pouvait encore piéger le cœur des petites filles qui voudraient jouer à la femme épanouie et être maitresse de leur vie sentimentale. Un roman tout à la fois initiatique et précurseur, à partir des années soixante les filles n’apprendront plus les relations amoureuses comme leur mère. Et cette révolution ne se fera pas sans quelques soubresauts.
Denis BILLAMBOZ
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