A travers la saga d’une grande famille libanaise, Charif Majdalani raconte un siècle d’histoire du Liban, du milieu du XIXe au milieu du XXe, un siècle de cohabitation entre des communautés de religions différentes, un siècle qui voit les failles intercommunautaires et inter-claniques se transformer progressivement en fossés abyssaux que nous connaissons encore aujourd’hui.
Histoire de la Grande Maison
Charif Majdalani (1960 - ….)
L’histoire de Wakim, « intermédiaire », affairiste, de religion chrétienne orthodoxe, commence à la fin du XIXe siècle quand il fuit avec son frère Selim dans le Mont-Liban. Tous deux quittent Marsad où ils ne sont plus en sécurité, les musulmans refusant de transiger à l’amiable et souhaitant en découdre avec le clan Nassar. L’origine du différent n’est pas très clair, Wakim traite de nombreuses affaires, la religion peut s’en mêler, à Beyrouth les conflits intercommunautaires ne sont pas rares. Wakim se réfugie alors au milieu des fermiers maronites dans la campagne proche, à Ayn Chir, où il va rapidement constituer une jolie fortune en introduisant la culture des orangers et inventer, selon le narrateur, celle des clémentines, deux productions agricoles qui n’étaient pas encore pratiquées à cette époque dans cette région du Liban. Après avoir connu une période particulièrement faste au début du XXe siècle, le clan Nassar connait des temps difficiles quand, en 1916, les Ottomans décident de bannir la famille de Wakin, pour sympathie avec l’ennemi, expédiant Wakim, son épouse et ses plus jeunes enfants en Anatolie où ils vivront deux années très pénibles dans un milieu particulièrement hostile. Revenu à Ayn Chir en 1918, le clan reconstruira sa splendeur mais déclinera rapidement, davantage en raison de querelles intestines que de difficultés liées au contexte général.
A partir de confidences, parfois arrachées aux membres de sa famille, de témoignages fragmentaires et aléatoires, de quelques documents, le narrateur tente de reconstituer son lignage en imaginant les zones restant incertaines, « rien ne dit que les choses ne se sont pas véritablement passées comme ça ». Cette saga familiale est un condensé de l’histoire du Liban de la moitié du XIXe siècle à l’aube de la deuxième guerre mondiale, une façon de montrer comment un peuple pluriel composé de musulmans sunnites et chiites, de bédouins nomades, de chrétiens maronites ou orthodoxes de rite grec ou syriaque et de quelques autres peuplades comme les Juifs et les Européens, vivant côte à côte, dans un calme relatif, en échangeant de temps à autres quelques horions et mêmes quelques décharges de leurs vieilles pétoires, a pu prospérer sans difficultés majeures durant un temps, laissant cependant apparaître les fractures qui allaient devenir des fossés entre ces diverses communautés. Une façon aussi de prouver que les lignes de fractures n’existaient pas seulement entre les communautés mais qu’elles étaient déjà béantes au sein des clans où les appétits et les ambitions pouvaient provoquer des conflits brutaux et générer des haines pérennes.
L’auteur raconte plus qu’il n’écrit, comme le ferait un conteur volubile, très volubile, construisant son récit avec de longues phrases coulant comme le Jourdain en période d’étiage, emportant le lecteur dans la légende du clan Nassar « encombrées d’histoires et d’anecdotes qui ne sont que des faits secondaires auxquels pourtant on attribue la cause d’événements graves, exactement comme, dans la mythologie, on attribue à l’enlèvement d’une femme les dix ans de la guerre entre Troie et la Grèce ».
Denis BILLAMBOZ
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