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2 juin 2023 5 02 /06 /juin /2023 07:38
LE LIEU DE REMINISCENCE

 

Souvent, aux premières heures de la nuit,
On entendait gronder la colère du monde.
Alors, la vie se retirait, se mettait en attente,
Oiseau prolongeant en rêve sa volée.

 

Lorsque la souffrance se défroissait,
Les bambins, un à un, venaient se coucher dans ses plis.
Ils avaient oublié leurs visages dans les feuilles
Et ne savaient quel voyage poursuivre ;
Dans quel château hanté s’ébattent les licornes,
Vers quel contre-jour on navigue.

 

C’était un temps délicieusement lent.
On se tenait serré comme une meute d’enfants.
Nous avions des refuges, des territoires
Pour braconner les songes,
Des goélettes ancrées en des ports défunts.

 

 

Sans hâte, nous approchions de la terre qui nous ressemble.
On y vendange le vin de l’ivresse mystique.
Est-ce si loin en nos mémoires
Que nous n’osions en franchir le seuil ?
L’homme de toutes les soifs marche en quête d’eau vive,
Alors que le temps saigne encor de quelque mal.

 

 

Nous douterons. Ce sera notre dernière sueur.
Viendra le remords taillé dans le vieux tissu du jour.
On ne poursuit sa route
Que la tête tournée vers le couchant.
Nous avons pris ce siècle à bras-le-corps
Et c'est tant pis si nos désirs
Ne forment plus qu'une croix sur la terre dure.
Demain, l'un de nous dessinera une lampe
Et nous serons oublieux de la lumière.

 

 

Ce chemin, à l’orée, est celui où, sans fin, nous revenons.
Il y aurait mille possibilités de nous perdre.
Passez votre route, dit le sage.
Ne vous inquiétez pas de savoir où elle conduit.
Ailleurs n’est jamais autre part qu’en soi.

 

 

D'autres eaux plus vivantes nous emporteront,
Nous baisserons les yeux et la rive laissera gémir ses ronces.
Nous y poserons le pied,
Sachant que nous n'arrêterons plus de marcher.
Avec le temps, nous composerons un tissage,
Dont la trame guerroiera avec les éclairs dans le vent.

 


Ne restons pas à pleurer ce qui n'est plus.
Sur nos épaules, prenons ce restant de lumière.
Rafraîchissons-nous de cette eau de cendre que le désert exsude encore.
L'horizon s'oblitère. Il n'est plus qu'un vestige au fond de l'esprit.
De l'avoir trop contemplé nous rendit aveugles.

 


Les pluies ne nous apaiseront pas.
Nous nous laisserons mener par elles
Vers des pays de lacs et de brumes.
On y vendange un vin noir que nous boirons,
On y moissonne des chagrins d'hiver
Et nous y vieillirons parmi des arbres aux anxieuses ramures.


 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE ( Extraits de « Profil de la Nuit » )

 

Prix Saint-Cricq-Theis de l'Académie française  (1987)  - Prix  Renaissance de poésie (2001)

Prix de l'Académie Renée Vivien 2022 -

 

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LE LIEU DE REMINISCENCE
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commentaires

B
Merci pour ce superbe poème .
Répondre
A
Merci pour vos commentaires élogieux. Croyez bien que j'y suis sensible. Si peu de gens apprécie la poésie aujourd'hui !
Répondre
M
J'aime cette poésie toute en images et si évocatrice.
Répondre
S
Magnifique. Hypnotique. On se sent aspiré dans vos volutes, voyageant de façon impalpable dans ce qu'il y a au-delà de la vue immédiate.
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A
Vos compliments me font chaud au coeur. La poésie est malheureusement de plus en plus absente de notre actualité littéraire.
Répondre
L
Comme Patrice, je dis magnifique a cette alliance d'intelligence et de sensibilite. La poesie pure.
Répondre
C
Magnifique : envoûtant et majestueux. L'emploi des temps passés laisse supposer que l'être porte sur les débuts un regard ému et source de sagesse ! Quête du paradis ?
Répondre

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  • : Le blog interligne d' Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
  • : Grâce au pouvoir des mots, une invitation à voyager sur les lignes et interlignes.
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Un blog qui privilégie l'évasion par les mots, d'abord, par l'imaginaire...toujours.

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Ainsi nous conduisent-ils vers l'autre, l'absent, l'étranger, l'inconnu, l'exilé.

Parce qu'ils disent qui il est, comment est le monde, pourquoi est la vie, qu'ils gomment les distances, comblent les vides, dévoilent les énigmes, suggèrent le mystère, ils sont nos courroies de transmission, nos outils journaliers.

 

La vie doit être vécue en regardant vers l'avenir, mais elle ne peut être comprise qu'en se tournant vers le passé.

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