Pascale Hugues, journaliste, raconte l’histoire étonnamment parallèle de ses deux grands-mères, nées la même année, mortes la même année, elles ont marié un fils et une fille ensemble, les futurs parents de Pascale, mais l’une était une bonne provinciale française et l’autre la fille d’un Allemand et, en Alsace au XXe siècle, c’était un véritable problème. Une page de notre histoire que la France a tournée bien vite.
Marthe et Mathilde
Pascale Hugues (1959 - ….)
« Mes grands-mères s’appelaient Marthe et Mathilde. Leurs prénoms commençaient par les deux mêmes lettres. Elles étaient nées la même année, en 1902… elles moururent l’une après l’autre en 2001. A quelques semaines d’intervalle, tout au début du nouveau siècle et à la veille de leur centième anniversaire. »
« Marthe et Mathilde traversèrent le XXe siècle côte à côte d’un bout à l’autre », à Colmar que Marthe ne quitta que durant la deuxième guerre mondiale, elle était Alsacienne, mariée à un ancien militaire français alors que Mathilde était la fille d’un Allemand installé en Alsace avec sa femme belge francophone. Quand elles étaient enfants, les deux femmes habitaient le même immeuble, elles firent connaissance à l’âge de six ans et le hasard, qui fait si bien les choses, ne faillit pas à sa tradition en voulant que le fils de Marthe épouse la fille de Mathilde et qu’ils deviennent les parents de Pascale, l’auteure de cette histoire.
Ce texte ne serait qu’une accumulation de coïncidences plus surprenantes les unes que les autres, si cette histoire ne se déroulait pas en Alsace où ces deux femmes furent successivement allemandes jusqu’en 1918, puis françaises de cette date à 1940, à nouveau allemandes l’espace de la guerre et de nouveau françaises depuis 1945 jusqu’à leurs décès. Leur histoire échappe ainsi à la seule tradition familiale pour devenir le symbole de tout un peuple balloté de part et d’autre d’une frontière mouvante au gré des guerres qui ensanglantèrent la planète. Marthe se souvient comment les Allemands étaient, pendant la Grande, devenus durs et sévères avec les populations françaises, et Mathilde, elle, n’a pas oublié comment les Français avaient chassé, entre 1918 et 1921, les familles allemandes influentes.
Ce livre écrit pas une journaliste n’est peut-être pas très littéraire, il s’attache plus à faire vivre ces deux femmes au destin parallèle, malgré des origines et des personnalités très différentes, faisant de tout ce qui les séparait des atouts pour construire une part de vie commune. Il fallut beaucoup de tolérance à Marthe, la bonne provinciale simple et pragmatique, pour accepter les caprices et la supériorité intellectuelle de Mathilde à l’arbre généalogique riche de plusieurs nationalités et peuplé de personnalités importantes. Il fallut aussi beaucoup de résignation et de courage à Mathilde pour supporter son statut de « boche » et accepter de vivre dans une ville trop petite pour ses rêves de grandeur.
Mais à la réflexion, ces destins ne sont pas tout à fait parallèles, car Mathilde y occupe plus de place que Marthe, sans doute que son rayonnement intellectuel a davantage fasciné sa petite-fille que la simplicité bon enfant de Marthe, mais il est un excellent rappel des événements d’alors et peut-être même plus encore car dans nos écoles on ne nous a jamais parlé des expulsions en Alsace, de la francisation forcée, de l’interdiction de parler français ou allemand selon le lieu et l’époque, si bien que nombreux étaient les enfants qui devaient parler une langue à la maison et une autre à l’école… La France s’est beaucoup glorifiée d’avoir ramené l’Alsace dans le giron de la patrie gauloise mais n’a pas tout dit sur les méthodes employées et sur les douleurs subies par les populations. Et certainement que les Allemands n’en ont pas dit plus quand ils ont rattaché l’Alsace à la grande nation germanique. Cette histoire est aussi un exemple de tout ce que les peuples installés aux marches des nations ont dû subir, subissent encore pour certains, lors des conflits armés entre ces nations : dans les Sudètes, en Silésie, dans le Memel land, etc… et aujourd’hui encore à l’est de l’Ukraine, en Moldavie à l’est du Dniepr, dans l’imbroglio caucasien…
Ce texte nous rappelle qu’à cette époque, notre belle république auréolée de sa belle devise où trône fièrement l’Egalité, « classe ses enfants, il y a les légitimes, les tolérés, les adoptés, les rejetés et les Boches ». N’oublions jamais !
Denis BILLAMBOZ
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