Le regard d’une auteure italo-irlandaise sur le drame qui se déroule quotidiennement entre les deux rives de la Méditerranée, soit l’Italie et la Libye, une grande page de compassion pour ces peuples jetés à la mer par des dictateurs fous.
La mer, le matin
Margaret Mazzantini (1961 - ….)
« Il s’agissait de réunir deux morceaux de terre, deux morceaux de temps. Au milieu, il y avait la mer». La mer qui réunit les côtes d’Afrique, de Libye en l’occurrence, et les côtes des îles italiennes qui reçoivent régulièrement la marée des populations africaines fuyant ce continent de malheur. Dans un village perdu aux confins du désert libyen, le petit Farid vit avec sa jeune mère qui ne peut chanter que pour lui, et avec son père ; « Ils ne possédaient rien. Rien que des traces de pas que le sable bientôt effaçait », mais ils connaissaient la paix et même la tendresse et la douceur qu’une gazelle leur apportait jusque dans leur cour. Cette vie simple, frustre mais paisible, bascule un jour quand la guerre se déchaîne emportant le père dans sa cruauté cynique, alors la mère et Farid fuient dans le sable brûlant, puis sur la mer à bord du misérable rafiot d’un marchand de chair humaine. Ils veulent partir vers l’Europe, espérant seulement y survivre en profitant de la politique d’émigration du Raïs qui tente de noyer les plages européennes et les consciences occidentales sous le flot de la misère africaine.
Sur la plage d’une île italienne, Vito, un jeune homme qui ne sait pas encore quel sens donner à sa vie après ses études secondaires, ramasse les débris que la mer rejette sur le rivage. Vito n’a pas connu la Libye où son père et sa mère sont allés s’installer à l’instigation du Duce, ils y ont prospéré, ont eu une fille, la mère de Vito, un autre Vito mort très jeune et abandonné dans un cimetière local. Mais le Rais avait décidé un jour que les Italiens devaient retourner chez eux, alors la famille était partie, abandonnant tous ses biens sur place. La mère de Vito n’était jamais devenue une Italienne métropolitaine et quand elle avait pu retourner en Libye, elle n’y avait pas retrouvé ses racines. Elle était restée en suspens entre les deux continents, entre les deux cultures.
Deux versions de la fatalité africaine, les colons envoyés sur le continent africain par un dictateur débordant d’ambition et abandonnés par leur pays d’origine, et les pauvres indigènes qui n’ont pas choisi le bon camp, ou qui n’ont rien choisi du tout et n’ont d’autre solution que de quitter leur maison et leur patrie pour tenter de survivre ailleurs. L’illustration simple et claire, comme l’est le langage de Margaret Mazzantini, qui use de phrases courtes et efficaces pour expliquer l’histoire des migrations forcées entre la Libye et les îles italiennes du sud qui, aujourd’hui encore envahissent la Méditerranée et les pages des journaux. Ce texte sert aussi à démontrer que cette fatalité n’est pas si fatale que ça, qu’elle doit certainement beaucoup plus au Duce et au Rais qui ont exercé dictatorialement et brutalement le pouvoir, repoussant au gré de leurs humeurs et ambitions des peuples entiers sur les flots de la Grande Bleue, qu’à tous les prétextes qui ont été inventés depuis afin d’ expliquer ces migrations meurtrières.
Et lorsque les grandes puissances se mêlent du jeu des dictateurs, elles oublient que ce jeu ne se termine que lorsque le plus fou des belligérants est vaincu, tant il est vrai qu’il y a toujours un après, un après incertain à gérer... « Qu’est-ce qu’elles vont devenir, toutes ces armes quand tout sera fini ? »
Denis BILLAMBOZ
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