J’ai quitté ce recueil de nouvelles comme on sort d’un petit immeuble de trois étages après en avoir exploré les différents niveaux l’un après l’autre. Au premier, j’ai me suis retrouvé dans une ambiance noire, noire comme un pur arabica, dans un univers à la limite de l’imaginable où des héros picaresques – peut-être toujours le même personnage glissé dans une peau différente à chaque fois – plus très jeunes, en rupture avec leurs régulières, plutôt portés sur l’alcool et totalement dépourvus de scrupules et de vergogne, capables de tuer, de massacrer, d’assassiner sans aucun état d’âme, sans le moindre regret, dans des histoires taillées au couteau, ciselées par un orfèvre de la chute imprévisible.
J’ai vite grimpé au deuxième niveau car j’ai bien compris que toute cette violence gratuite et d’une brutalité sauvage n’était qu’un artifice pour mettre le lecteur en émoi avant de le laisser comprendre que cette noirceur n’était qu’une énorme farce, qu’il ne s’agissait en fait que d’humour au second degré, d’humour noir comme le chocolat noir de chez nous vanté par un célèbre fabricant.
Et puis, réflexion faite, je me suis dit qu’il fallait jeter un œil au troisième niveau car cette violence totalement absurde n’était peut-être pas gratuite, que l’auteur avait certainement passé beaucoup de temps à observer ses concitoyens, leurs mœurs, leur comportement, mais aussi les institutions chargées d’organiser la vie de la société. Et, j’ai bien été obligé d’admettre que les vices et les travers dévoilés par l’auteur ne servaient pas qu’à faire frémir les âmes sensibles, mais lui permettaient aussi de dénoncer nos comportements souvent abscons et de dresser une satire au vitriol des méthodes trop fréquemment absurdes de l’administration.
Michel Thauvoye est un maître de la nouvelle, de la nouvelle noire en l’occurrence, cynique, machiavélique, totalement amorale, ses textes courts, lapidaires, tranchants comme la lame du rasoir, sont un champ de jeu taillé à la dimension de son imagination débordante et explosive. Il trempe hardiment le pamphlet, la parodie, la satire dans le vinaigre le plus acide pour narguer les pouvoirs drapés dans l’apparat de leurs abus.
Denis BILLAMBOZ
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