Un texte caribéen comme je les aime, un texte de Lyonel Trouillot que j’ai rencontré lors du salon du livre « Les Mots Doubs 2015 », en ma bonne cité de Besançon, un texte que je lui ai acheté à cette occasion, j’ai bien fait, c’est une belle lecture et Lyonel Trouillot est un écrivain bien sympathique.
Parabole du failli
Lyonel Trouillot (1956 - ….)
A Port-au-Prince, un rédacteur épisodique de nécrologies pour le journal local doit écrire celle de l’un de ses amis disparu tragiquement en se jetant du douzième étage d’un immeuble d’une ville européenne, loin du quartier où il vivait avec lui et un autre ami, les laissant seuls, lui le narrateur et l’Estropié. « Deux faux riches fauchés », l’un rédacteur de nécrologies de personnages sans intérêt ni histoire, l’autre, l’Estropié, professeur de mathématiques peu et irrégulièrement payé pour apprendre à compter à des gamins qui savent depuis toujours que rien, plus rien, ça fait toujours rien. Dans une écriture poétique et fluide qui coule comme un fleuve tranquille, tout en véhiculant des choses graves, douloureuses, injustes, des lamentations, des cris de colère étouffés et des reproches, des reproches insinués adroitement à l’adresse de cet ami qui les a abandonnés, (Ici, nous t’aurions rattrapé avant que ton corps touche le sol. Ici, on a appris à amortir les chutes),l’auteur dresse un portrait sans concession de sa ville, de son quartier, le quartier Saint Antoine de Port-au-Prince auquel il a dédié l’un de ses premiers textes, un bout de ville qui n’est pas un bidonville mais un endroit où la misère est tout de même le lot quotidien de la majorité de la population laissée à son triste sort par ceux qui auraient les moyens de changer quelque chose à leur existence calamiteuse.
Je suis, en général, très friand de littérature caribéenne, ce texte en est un bel exemple : une écriture très vivante, luxuriante, pleine de soleil, de musique, d'odeurs, de saveurs, d’images fulgurantes et de jeux pétillants sur les mots pour dire une réalité souvent tragique, des calamités récurrentes, une misère endémique… et la vie apparemment dissolue de cet ami qui a caché pendant des années de nombreux écrits dans les tiroirs d’une vieille amie acariâtre mais ouverte aux belles lettres. J’ai le sentiment qu’avec ce texte, Lyonel Trouillot a voulu une fois de plus attirer l’attention sur son pays et ses habitants mais plus particulièrement sur le sort des écrivains, nombreux et talentueux en Haïti, condamnés à l’exil pour gagner leur vie, fuir la misère, échapper aux sicaires du régime, pouvoir exprimer leur talent. Son texte est parsemé de citations de grands poètes plus ou moins connus dont il dresse la liste en préambule à son roman, précisant également que son livre ne raconte pas le suicide, à Paris, le 12 novembre 1997, de Karl Marcel Casséus. Gageons tout de même qu’en rédigeant ce texte, Lyonel Trouillot à fort pensé à cet ami disparu tragiquement.
« Mais quand celui qui meurt, on avait pris l’habitude de le regarder comme une partie de soi, on a envie de gueuler, d’accuser le monde ou simplement de ne rien dire, de laisser le langage à son insuffisance et de plonger dans le mutisme ou d’engueuler l’idiot qui a choisi de partir ».
Denis BILLAMBOZ
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