Au moment où j’écris ces lignes, je me souviens que l’an dernier, ce même jour, j’étais sur les terres de James Lee Burke, en pays cajun. A cette occasion, j’ai découvert un pays que je n’imaginais pas, un lieu sauvage, encore un peu frustre mais vrai, authentique, une terre qui se souvient de ses origines françaises.
Prisonniers du ciel
James Lee Burke (1936 - ….)
Quel bonheur de trouver ce livre dans une vente et de se promener en Louisiane du sud sur les traces de Robicheaux, un ancien flic cajun qui a connu la violence des trafiquants en tout genre, drogues, migrants, prostituées, … après celle de la guerre du Vietnam et de parcourir des itinéraires que j’ai empruntés en novembre dernier entre La Nouvelle-Orléans, Bâton-Rouge et Houma, autour de Lafayette et Saint Martinville, haut lieu de la culture cajun, là où Evangeline a sa statue à l’ombre de l’église. Je me sentais en harmonie avec Robicheaux, je ressentais avec lui « … l’impression de revenir au New Iberia de ma jeunesse, à l’époque où les gens parlaient français plus souvent qu’anglais,… ».
Dans ce polar, Burke met en scène un commissaire cajun qui réside dans un coin sauvage, sur le bord du bayou Teche, à portée d’escopette du bayou Bœuf - où j’ai cherché vainement l’alligator - pour échapper à ses vieux démons et à son alcoolisme. Un jour qu’il pêchait dans le Golfe du Mexique, entre les îles Pecan et Marsh, Robicheaux vit un avion s’abîmer brusquement en mer, il plongea, compta quatre victimes, retira une fillette de cinq ans de la carlingue et avertit les forces de l’ordre. Très surpris, il apprit vite que celles-ci ne comptaient que trois victimes mais fut heureux de constater qu’elles n’évoquaient pas la présence de la fillette car il espérait bien, avec sa nouvelle compagne, adopter cette enfant. Bientôt, Il fut l’objet de l’attention de la police, qui avait certainement quelques bonnes raisons de cacher la présence de la victime manquante au bilan officiel de l’accident, et de la curiosité de personnages beaucoup moins recommandables qui le tabassèrent sauvagement. La police refusant de prendre en considération ses souffrances et ses inquiétudes, il décida de reprendre du service auprès du shérif local afin d’explorer à nouveau les pistes qu’il prospectait quand il était flic à la Nouvelle-Orléans, de renouer les contacts qu’il avait dans le milieu et de se mettre en chasse.
Commence alors, du fonds des rades les plus sordides de la Nouvelle-Orléans aux rives sauvages des bayous, une longue enquête plus ou moins légale, ponctuée de rixes toutes plus violentes les unes que les autres où Robicheaux ne laisse pas que des plumes. Sous la pression barbare et mortifère de ses ennemis, il cède à ses vieux penchants : l’alcool et la violence. Le nœud de ce polar n’est pas réellement, selon moi, l’intrigue policière mais la lutte indécise que Robicheaux se livre à lui-même pour annihiler ses pulsions néfastes et redevenir un être normal capable de comprendre son environnement et d’accepter ce que la vie lui propose sans systématiquement recourir à la loi du talion. Il sait que « La violence n’est jamais abstraite. Elle est toujours laide, elle avilit et déshumanise toujours, elle choque toujours, elle répugne et laisse les témoins qui y sont confrontés nauséeux et secoués. C’est le but recherché. » … mais il ne parvient pas à s’y soustraire.
Ce livre est aussi un hommage au peuple et à la culture cajuns qui ont été longtemps une composante importante de la société du sud de la Louisiane et qui, hélas, après l’afflux de la main de d’œuvre nécessaire à l’exploitation pétrolière en pleine expansion dans le Golfe du Mexique, se sont dissous de plus en plus dans la population américano-texmex. Robicheaux a compris que l’ère des Cajuns des bayous était en voie de disparition et c’est avec une réelle nostalgie qu’il évoque son enfance quand « … sans avoir conscience que notre petit morceau de géographie cajun était en train de se consumer à jamais comme une vieille photographie au-dessus d’une flamme », il pêchait avec celui qui allait devenir son pire ennemi.
Un vrai polar des champs comme il en existe peu avec une énigme bien tordue, bien cynique, de la sauvagerie, de la violence digne de celle des alligators qui peuplent les bayous. Un polar qui met en scène des êtres frustes, primaires, sans aucun scrupule, mais un texte qui, à mon avis, a un peu souffert de la traduction ; j’ai l’impression que le traducteur, en voulant se tenir au plus près de l’original, n’a pas toujours fait les bons choix. Un roman, par ailleurs un peu long, souffrant de répétitions et de redondances qui nuisent à l’intensité de l’intrigue.
Denis BILLAMBOZ
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