Voici un texte qui devrait ravir tous les cinéphiles, il pourrait même figurer sur le blog qu’Armelle consacre au cinéma. Ce livre n’est certes pas une biographie, c’est un texte qui s’inspire profondément de la vie du grand cinéaste Yasujirô Ozu, l’auteur notamment du film mythique, « Voyage à Tokyo ».
Ozu
Marc Pautrel (1967 - ….)
C’est le second livre que je lis à l’occasion de cette rentrée littéraire qui fleure bon la littérature japonaise. Delphine Roux m’a enchanté avec « [Kokoro] » et Marc Pautrel me ravit à la lecture de ce texte inspiré de la vie du grand cinéaste nippon Yasujirô Ozu né à l’aube du XXe siècle à Tokyo, sa ville de toujours, celle qu’il préféra à toutes les autres, même les plus belles et les plus grandes, comme Kawabata resta amoureux toute sa vie de Kyoto. Dans un texte découpé en chapitres courts comme un film est découpé en scènes et en plans, Pautrel raconte ce qui aurait pu être la vie de ce géant du cinéma japonais reconnu à l’étranger alors qu’il était mort depuis longtemps déjà.
Le 1er septembre 1923, Ozu est à son bureau dans les studios de cinéma où il travaille quand le fameux tremblement de terre du Kantô, qui détruisit une grande partie de Tokyo, secoue la ville pendant quatre longues minutes. Il échappe à la mort mais la ville et ses studios sont la proie des flammes pendant deux jours entiers. Ozu se reconstruit, comme la ville, et refait sa vie de cinéaste qui prend une nouvelle saveur avec la naissance de son neveu qui, hélas, décède bien trop vite pour le grand malheur de la famille. Et, sa vie continue avec la même alternance de deuils et de catastrophes violents et douloureux et de périodes de reconstruction. A travers cette existence, on peut voir un symbole de la précarité de l'existence au Japon toujours exposée aux cataclysmes : tsunamis, tremblements de terre, décès de tous ceux et tout ce qu’on aime. « Mais le Japon est le Japon, il se reconstruit sans cesse, … » et lui recommence à faire des films car il faut procurer des émotions aux spectateurs pour qu’ils surmontent ces événements destructeurs. « Je veux que le spectateur ressente la vie » - répète-t-il chaque fois qu’on l’interviewe.
Comme Kawabata, il est fasciné par le spectacle des cerisiers en fleurs, il éprouve de fortes émotions devant les miracles que la nature met en scène tout aussi joliment dans certains quartiers de Tokyo qu’à Kyoto. Cette émotion, il voudrait la capturer pour la mettre dans ses films et l’offrir aux spectateurs qui, comme lui, subissent les innombrables catastrophes que le Japon endure régulièrement. A cette fin, il créée avec son complice Noda, son fidèle scénariste, un style bien personnel qui ne fait pas immédiatement l’unanimité. Son regard sur le Japon contemporain ne fait pas plus l’unanimité. « Les japonais pensent qu’il montre un pays trop occidentalisé et les Occidentaux trouvent qu’il montre la quintessence du Japon traditionnel ». Ozu a compris, à travers les épreuves de sa vie, que le Japon est éternel, qu’il renaitra toujours de ses cendres mais que, pour revivre encore plus fort, il devra s’en donner les moyens en utilisant les techniques mises au point par les Occidentaux.
Il faudra attendre la fin de sa vie pour que l’Académie japonaise reconnaisse son talent, bien après les spectateurs qui lui ont fait un triomphe longtemps avant, et il faudra attendre encore plus longtemps, après sa mort, pour que le monde découvre ses œuvres et lui réserve un accueil enthousiaste. Je ne sais pas si Marc Pautrel est fidèle à la biographie d’Ozu, mais il a su, à travers un excellent texte, sobre, clair, épuré, nous faire ressentir la violence des émotions que ce géant du cinéma a pu ressentir au long de sa trop courte vie - il est décédé le jour de son soixantième anniversaire - pour nourrir ses films. Je pense que de nombreux lecteurs se souviendront de « Voyage à Tokyo » qui a connu un réel succès en France comme partout ailleurs. Et, le livre de Marc devrait, lui aussi, connaître un joli succès car l’auteur décrit les émotions et motivations du cinéaste dans un texte aussi passionnant qu’un bon roman.
Denis BILLAMBOZ
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