Arrêté puis torturé à mort après la publication de ce livre, Takiji est un excellent représentant de la littérature sociale. Ce roman servit longtemps de manuel d’enseignement à l’intention des nouvelles recrues du parti communiste dans de nombreux pays. Malgré cette connotation politique très marquée ce roman a une réelle qualité littéraire qui provoqua sa renaissance au début du XXIe siècle.
Le bateau-usine
Kobayashi Takiji (1903 – 1933)
« C’est parti ! En route pour l’enfer ! » Dès la première phrase de ce roman, Takiji annonce la couleur, on sait immédiatement où va nous emmener le Hakkô-maru, navire-usine qui quitte le port de Hakodate, un port de l’île de Hokkaido, à la pêche aux crabes dans la Mer d’Okhotsk en défiant les Russes encore ennemis privilégiés du Japon après la guerre russo-japonaise. La vie à bord de ces bateaux est encore pire que dans les mines décrites par Zola. Ces bateaux ne sont pas considérés comme des navires et échappent donc aux lois régissant la vie à bord et tout autant à celles réglementant le travail dans les usines, c’est un véritable espace de non-droit où même le capitaine n’est pas maître à bord, il doit subir le pouvoir de l’intendant représentant de l’armateur et véritable patron à bord après l’empereur. Le Hakkô-maru affronte des tempêtes et des grains que Takiji décrit aussi brillamment que Joseph Conrad quand il dépeint un Typhon en Mer de Chine ou que Francisco Coloane quand il nous entraîne Dans le sillage de la baleine dans les mer du sud. Les bateaux-usines japonais sont des rafiots déglingués, vieux navires hôpitaux ou transports de troupes mis au rebut après la guerre russo-japonaise et transformés, au moindre coût, en navires-usines pour le plus grand profit des capitalistes qui arment ces navires pour la très lucrative pêche aux crabes sans aucune considération pour la vie des nombreuses personnes employées à bord pour la conduite du navire, la pêche et la fabrication des conserves.
Ce livre écrit par Takiji en 1929, fut immédiatement interdit et son auteur recherché par la police dans le cadre de la lutte contre les mouvements de gauche fleurissant à cette époque au Japon. Takiji fut donc contraint de se réfugier dans la clandestinité pendant deux ans, il fut finalement arrêté par la police et mourut sous la torture en 1933. La publication, en 2008, dans la presse, d’un échange entre deux éminentes figures de la gauche japonaise, évoquant ce livre dans leur propos, provoqua un véritable raz de marée littéraire. Ce texte devint alors un classique de la littérature prolétarienne japonaise et fut édité dans de nombreuses langues. Il reste aujourd’hui un ouvrage de référence pour étudier la lutte prolétarienne contre le capitalisme galopant.
Ce livre a une réelle dimension littéraire, il n’est pas abusif de comparer certains passages, certaines scènes concernant la vie en mer, notamment quand celle-ci est mauvaise, à des textes de Conrad ou de Coloane, mais il faut bien admettre que Takiji a écrit ce roman pour démontrer l’emprise du patronat capitaliste sur le sous-prolétariat constituant la main d’œuvre à bord de ces navires et la possibilité pour celui-ci de renverser les rôles en se soulevant, à l’unisson, contre les profiteurs qui l’exploitent. L’auteur a situé ce manifeste, ce manuel de révolte, sur un navire pour disposer d’un monde clos où les deux forces en présence peuvent s’affronter sans intervention extérieure, même si un destroyer se mêle un peu de l’affaire. Ce livre servit donc très souvent de manuel de propagande pour le parti communiste auquel appartenait Takiji sans que cela retire quoi que ce soit à sa qualité littéraire.
Denis BILLAMBOZ
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