Une histoire japonaise, très japonaise, qui évoque le cinéma nippon à travers la relation que deux voisins nouent avec une étrange maison de leur quartier qui les intrigue fort. Une histoire à la limite du fantastique.
Jardin de printemps
Shibasaki Tomoka (1973 - ….)
« C'est une maison bleue/Accrochée à ma mémoire /On y vient à pied /On ne frappe pas… », mais cette maison bleue n’est pas adossée à une colline de San Francisco, elle est plantée dans un quartier bourgeois de Tokyo et elle fascine Nishi qui pourrait chanter la chanson de Maxime Le Forestier tant cette maison l’attire. Nishi, c’est la voisine du narrateur Tarô, tous deux habitent dans un immeuble promis à la démolition qui se vide progressivement de ses locataires. La jeune femme a en sa possession un livre intitulé « Journal de printemps » qui contient de nombreuses photos de cette superbe demeure qui a été occupée par un couple qui ressemblait étrangement à Nishi et à Tarô, notamment une identité à peu près similaire. Tout un faisceau de coïncidences intrigue fort les deux voisins qui scrutent les photos de la maison pour essayer de deviner si son intérieur correspond toujours à ce qu’ils peuvent en apercevoir, jusqu’au jour où la jeune femme est invitée à entrer dans cette fameuse maison où elle fait la connaissance des nouveaux propriétaires et de leur demeure. C’est le début d’une histoire étrange qui se noue entre la maison actuelle, ses occupants actuels et les deux jeunes voisins, Nishi et Tarô, qui pourraient incarner les occupants d’un autre temps, celui où les photos ont été prises.
Cette histoire, à la limite du fantastique, m’a fait penser à certains films japonais comme j’en ai encore vus un récemment, des films au rythme lent, parfois très lent, à la mise en scène léchée dans des décors dépouillés mettant bien en valeur le scénario, des films avec des dialogues réduits au minimum, des films qui racontent des histoires simples et pourtant étranges, en mesure de déstabiliser celui qui les regarde. Le roman de Shibasaki Tomoka est construit un peu dans ce même esprit, le texte est épuré, l’histoire est réduite à l’essentiel mais n’en est pas moins singulière, les personnages et les lieux paraissent éphémères, irréels, alors que le décor, constitué par la maison bleue, est finement décrit. Il plane sur ce texte, comme sur certains films que j’évoque, une sorte de mystère que le dénouement n’éclaircit pas forcément. L’auteur crée davantage une atmosphère qu’une histoire en usant du processus littéraire de la mise en abyme.
Dans ce roman les personnages sont le plus souvent seuls : divorcé, veuf, célibataire, … ils ont besoin d’une compagnie qu’ils ne trouvent pas aisément. Le fonctionnement de la société japonaise ne facilite pas la vie familiale, les mariages sont la plupart du temps arrangés à la mode traditionnelle et les couples, ainsi conçus, ne correspondent pas aux nouvelles exigences de la société contemporaine. Quant au travail, il est devenu une vertu cardinale qui empiète très fort sur la vie privée. Dans cette société, vouée au labeur et à la performance, la vie familiale devient de plus en plus difficile, il est même parfois compliqué d’avoir des amis. Alors, prisonniers de leur solitude, les Japonais tissent des liens forts avec leur habitation à laquelle ils s’identifient et qu’ils aménagent à leur image. C’est ce message que nous laisse Shibasaki dans un roman délicat qui comblera ceux qui apprécient la culture asiatique et même beaucoup d’autres.
Denis BILLAMBOZ
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