Bonnevile, c’est la Pontiac Bonneville 1969 achetée par le père du héros, le narrateur, sur un coup de tête qui lui a fait perdre son rôle de chef de famille, sa femme, passionnée par l’élevage des gallinacées, lui ayant, à cette occasion, confisqué la gestion des comptes familiaux. Désormais, la Pontiac est clouée au garage, elle ne roule plus, des pièces sont défaillantes et des pièces de voiture de ce type on n’en trouve pas en France, surtout dans la campagne profonde où la famille a trouvé refuge. Le narrateur, jeune homme baraqué mais inoffensif, n’a pas brillé à l’école qu’il a peu fréquentée et a vite trouvé un boulot dans une station-service où il se plait et travaille assidûment.
Depuis que le père est mort, il vit seul avec sa mère dans une gare désaffectée au rythme des trains qui ne s’arrêtent plus. Et il n’a plus qu’une idée en tête désormais, remettre Bonneville en état pour sillonner les routes environnantes. Afin de réaliser ce projet, il faut de l’argent, ce qu’il n’a pas. Aussi, après mûre réflexion, pense-t-il que des petits larcins commis dans les belles voitures en stationnement lui apporteront les fonds nécessaires, sans nuire exagérément aux propriétaires détroussés. Mais voilà, le papillon qui bat des ailes au-dessus de la baie de Rio pour déclencher un ouragan en mer de Chine, est de passage dans la région, tout vacille, rien ne se passe comme prévu. Des événements fortuits et indésirables s’enchaînent les uns après les autres prenant une tournure de plus en plus dramatique.
L’auteur évoque volontiers le célèbre inspecteur Columbo. Mais, en considérant le nombre de cadavres qui jonche les pages de ce petit roman, j’ai plutôt l’impression d’avoir traversé une série de style « Barnaby », série où l’on ne lésine pas trop sur le nombre de morts. Bien sûr, il est un peu particulier le jeune homme, il se relève chaque nuit pour s’installer au volant de Bonnevile avec Mister B, un énigmatique passager qui le guide, et la belle Julia aux gros seins, la livreuse de carburant. Ensemble, ils parcourent la campagne alentour jusqu’au jour où tout part en vrille.
Ce texte m’a rappelé un roman de Chris Womersley, « La mauvaise pente ». J’avais alors écrit « Le roman de deux vies qui ont dérapé lorsqu’un grain de sable s’est coincé dans la mécanique de leur destinée ». Dans ce texte, la destinée semble, en effet, avoir pris la même mauvais pente que celui de Womersley, mais le roman de Saulnier, bien que fataliste, est beaucoup moins noir que celui de l’Australien. C’est l’histoire d’un pauvre gars dont les muscles remplacent, sans qu’il s’en rende bien compte, la cervelle et qui est emporté par des événements qui le dépassent malgré tout ce qu’il entreprend pour remettre le cours de son existence dans le bon sens.
Les passions de l’enfance peuvent prendre une tournure imprévisible et générer des situations dramatiques comme dans cette histoire presque drôle qui ressemble plus à une parodie de roman noir qu’à un texte réellement sombre. Ces doux dingues, qui cèdent à leurs pulsions sans réfléchir aux conséquences, n’existent pas que dans les guerres larvées, il peut y en avoir partout, même dans les gares désaffectées.
Denis BILLAMBOZ
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