Kéthévane Davrichewy est la petite fille d’une famille qui a été obligée de quitter la Géorgie pour des raisons politiques. Dans ce récit, elle nous conte l’histoire d’une grand-mère, peut-être la sienne, qui a connu le même exil avec toutes ses misères, perdant un amour d’une immense pureté qui cependant jamais ne mourra.
La Mer noire
Kéthévane Davrichewy (1965 - ….)
Ce soir, il y aura fête chez Tamouna qui célèbre ses quatre-vingt-dix ans. La narratrice, sa petite fille peut-être, raconte les préparatifs de cette soirée, la visite des enfants et petits-enfants de cette grand-mère vénérée, venue de la lointaine Géorgie que son père a fui il y a bien longtemps. Il était ministre d’un gouvernement qui refusait l’annexion à l’URSS, sa vie et celle des membres de sa famille étaient menacées, il avait alors choisi l’exil qui l’avait conduit dans la région parisienne où Tamouna termine une vie bien mouvementée.
La narratrice raconte alternativement, un chapitre sur deux, les préparatifs de la fête, mettant en scène la descendance de Tamouna, ses enfants et ses petits-enfants mais aussi d’autres membres de la communauté géorgienne de Paris, des cousins et cousines avec leur descendance et la longue vie que Tamouna a déjà eu en Géorgie, à Tbilissi où elle habitait avec sa famille et à Batoumi où elle passait ses vacances, puis en banlieue parisienne et à Paris même où elle connut, comme tous les réfugiés, les rigueurs de l’exil. Elle se souvient des privations, de la difficulté de communiquer, du regard des autres, des humiliations, de la différence qu’il fallait assumer, de la guerre qu’il fallut affronter en voyant les hommes s’engager pour leur nouvelle patrie ou aux côtés des Allemands pour lutter contre l’ogre soviétique, bourreau de leur famille, de leurs amis et, plus largement, de la Géorgie.
Kéthévane Davrichewy, elle-même petite-fille de Géorgiens émigrés en France, nous conte avec délicatesse, élégance et tendresse la vie de cette grand-mère qui ressemble certainement beaucoup à la sienne. Elle évoque la Géorgie, qu’elle connut probablement à travers les récits de cette grand-mère, beau pays magnifié comme tous les pays qu’on abandonne pour sauver sa peau. Elle détaille également la fuite et l’exil dans toutes ses dimensions : sa rigueur, sa cruauté, ses souffrances et ses humiliations sans jamais verser dans la colère, la rancœur ou l’amertume, conservant toujours tact et élégance, malgré une nostalgie mélancolique, même pour dresser les tableaux les plus tristes.
Mais, pour moi, ce roman n’est pas un livre de plus sur l’exil, ni un tableau idyllique de la Géorgie avant le communisme, ce texte est avant tout une très, très, belle histoire entre cette grand-mère et son amour de jeunesse rencontré à Batoumi pendant ses dernières vacances au pays. Tamouna et Tamaz s’aimaient d’un amour d’adolescent, tout juste frémissant, jamais consommé qui se perdit dans l’exil mais qui, en deux ou trois occasions, pu renaître avec une force jamais défaillante, une flamme toujours aussi vive et, ce soir, Tamaz a promis de venir de son lointain exil de l’autre côté de l’océan. Une magnifique leçon d’amour que rien ne peut vaincre, la révolution, l’exil, la guerre, la séparation se sont tous cassés les dents sur cette idylle de jeunesse, aussi est-ce émouvant, très touchant, on aimerait tous aimer comme cela, par delà l'éloignement et la terrible absence.
Denis BILLAMBOZ
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