Au moment où la Corée du Nord s’agite pour troubler l’ordre mondial et faire croire qu’elle peut jouer un rôle majeur dans le concert des grandes puissances, je vous propose ce livre paru depuis peu qui montre toute la perversité dont la dictature nord-coréenne use pour se maintenir au pouvoir et faire illusion.
Le pont sans retour
Vincent-Paul Brochard
« Le pont sans retour », c’est celui qu’on ne peut traverser qu’une fois sans espoir de le franchir un autre jour, même très lointain, dans le sens inverse, si bien que ceux qui se rendent en Corée du Nord comme ceux qui se rendent en Corée du Sud ne feront jamais le voyage dans l’autre sens. C’est le trait d’union qui unit si mal les deux parties de la péninsule séparées depuis 1953, à la fin de la guerre de Corée. C’est aussi le symbole choisi par Vincent-Paul Brochard pour concrétiser le sort de Julie Duval, l’héroïne qu’il met en scène dans ce livre, emmenée par la force et la ruse en Corée du Nord par des membres d’un groupuscule révolutionnaire japonais réfugié dans ce pays fermé à tous afin d’échapper à la police nippone.
En novembre 2002, Kim Jong Il, le dictateur coréen alors au pouvoir, a reconnu que ses services avaient enlevé un certain nombre d’étrangers, notamment des Japonais. D’après les témoignages de rares réfugiés, il semble qu’il y avait eu quelques Français parmi les personnes retenues de force en Corée du Nord. Vincent-Paul Brochard, à travers la fiction qu’il a construite, essaie d’expliquer ce qui a conduit les Nord-Coréens à perpétrer ces enlèvements désormais condamnés par l’Organisation des Nations Unies et l’aberrante logique de ce pouvoir totalitaire, fantasmagorique et erratique.
Julie Duval constituait une excellente cible pour les activistes chargés de recruter de force des jeunes Françaises pour les besoins des services nord-coréens, elle parlait et écrivait excellemment le Japonais, les liens avec sa famille étaient presque inexistants, il était donc facile pour une jeune Japonaise de l’aborder sous le prétexte d’échanger des cours de conversation française contre des cours de conversation nippone. Julie accepte donc cet échange avec Keiko. Les deux jeunes filles sympathisent vite et nouent une amitié suffisamment forte pour que la jeune Japonaise propose à son amie de l’accompagner pour des vacances dans son pays natal. Enthousiasmée, Julie accepte, mais à Hong Kong le voyage tourne à l’enlèvement et elle se retrouve vite « l’invitée forcée » du groupuscule japonais qui l’a enlevée, dans un camp de formation où on l’endoctrine de force, car elle doit acquérir tous les éléments de l’idéologie prônée par Kim Il sung pour asseoir son pouvoir : le Juche.
Ayant acquis les fondamentaux de cette idéologie et après être passée par les geôles locales, Julie est confinée dans une demeure isolée au fond d’une campagne déserte où elle doit former une jeune Coréenne à la langue, la culture et les mœurs françaises. On lui fait croire que cette élève très douée embrassera la carrière diplomatique et qu’elle servira la cause de la révolution en participant au rapprochement du peuple coréen avec le reste du monde par la diffusion du « kimilsungisme ». Et que ceci facilitera le rapprochement des deux parties de la péninsule. La séparation est pourtant brutale, la jeune Française reste en Corée sous la protection d’un haut cadre du parti et la jeune Coréenne poursuit son parcours révolutionnaire dans la mission qui lui est confiée.
Vincent-Paul Brochard l’avoue, il y a très peu de documents sur le sujet et pourtant on dirait qu’il a vécu cette expérience lui-même, il connait le fonctionnement de l’administration nord-coréenne comme s’il avait séjourné dans cette partie de la Corée. Il connait aussi remarquablement les problèmes que la Corée du Nord a dû surmonter dans les années quatre-vingt-dix, l’histoire des relations entre le Nord et le Sud, les querelles intestines qui minent le pouvoir, les artifices, les manipulations, les exactions, les mensonges, tout ce que le pouvoir utilise pour faire croire au bien-fondé de son action et à la nécessité de soutenir un pouvoir fort et autoritaire pour échapper au diable occidental qui a contaminé le Japon et gangrené la Corée du Sud, tout ce que Bandi a écrit dans les textes qu’il a fait passer sous le mur qui sépare les deux parties de la péninsule.
C’est donc plus qu’une fiction, davantage qu’un roman d’espionnage, mieux qu’une carte postale sur la Corée du Nord que nous propose Vincent-Paul Brochard, c’est presque un essai sur cette république, seule survivante du communisme du XXe siècle, et son régime qui résiste encore et toujours malgré une conjoncture très difficile et un pouvoir démentiel, à sauvegarder une indépendance insolente, agressive et hautaine qui fait trembler même les Etats les plus forts.
Denis BILLAMBOZ
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