Un vrai bijou comme Piciquer en déniche souvent en Extrême-Orient. Une plongée au cœur d’une petite île du sud du Japon où ne résident que quelques pêcheurs qui se souviennent vaguement du riche passé spirituel de leur île. Un roman qui dépasse la fiction en frôlant la philosophie.
Les mensonges de la mer
Kaho Nashiki (1959 - ….)
Cela se passe avant la guerre, Akino est encore étudiant en géographie humaine, science qui, au Japon, semble déborder sur bien d’autres disciplines : l’anthropologie, l’ethnologie, l’éthologie, l’écologie, l’histoire, …, quand il décide de passer ses vacances sur la petite île d’Osojima au sud de Kyushu, la plus méridionale des quatre grandes îles qui constituent l’archipel nippon. Grâce à un couple de vieux pêcheurs qui l’héberge, il prend contact avec les îliens qui l’accompagneront lors de la visite des lieux qu’il souhaite mieux connaître afin de terminer une étude commencée par son ancien maître et jamais achevée.
Ainsi part-il avec un jeune autochtone sur les sentiers de l’île où, selon les documents remis par un ancien marin retraité dans ses montagnes, il retrouve les vestiges de nombreux temples et lieux de culte édifiés par une secte bannie plusieurs siècles auparavant. Ces lieux de culte ont été ruinés à l’époque du Shugendo, la séparation du shintoïsme et du bouddhisme quand, en 1872, le pouvoir Meiji a rompu avec les religions étrangères en débarrassant le shintoïsme des influences extérieures de façon à ce que le socle religieux du pouvoir soit purement nippon.
Akino et son guide parcourent les sentiers désertés où ils ne rencontrent guère que des chèvres et des saros, découvrant de nombreux indices concordant avec les bribes de légendes qu’ils ont recueillies, ce qui va leur permettre peu à peu de reconstituer l’histoire de la présence sur cette île d’une civilisation spirituelle vivant dans une stricte ascèse. En essayant de comprendre ces légendes et leur matérialisation au cœur du paysage, ils en décèlent les vestiges, de même que le sens des coutumes et traditions locales, toute une parcelle de l’histoire du Japon un peu oubliée sur cette île isolée des voies de communication. Quand ils parviennent au bout de leur périple autour d’Osojima, ils rencontrent à nouveau le vieux marin et son secrétaire et saisissent les raisons qui les ont incités à se poser certaines questions et à mettre leurs découvertes en rapport avec la spiritualité ancestrale encore très prégnante chez les plus anciens occupants du lieu. Si bien que ce livre me semble être plus qu’un roman, il déborde sur l’histoire, la philosophie, la spiritualité, l’écologie, tout ce qui relie l’homme à son milieu et donne un sens à sa vie. Longtemps après, quand la guerre aura semé le deuil, qu’un pont aura été érigé entre la petite île et Kyushu permettant aux touristes de visiter cet endroit enchanteur, l’étudiant en géographie, qui n’a jamais terminé l’étude ébauchée par son maître, reviendra sur l’île où il constatera bien des changements qui le troubleront, le désespéreront même. C’est alors qu’il saisira la cause de tout cela, dénichera le maillon manquant pour parvenir à conclure son étude, en quelque sort s'appropriera la clé qu’il avait longuement cherchée et qui, maintenant, était là bien présente dans son esprit.
Ce texte est sans nul doute délicat, plein de douceur et de spiritualité, on croit même y ressentir le souffle spirituel de l’ascèse du Shugendo. Une réflexion qui pose de nombreuses questions : quelle importance faut-il accorder au passé ? Le passé est-il nécessaire à la construction de l’avenir ? L’homme a-t-il besoin de connaître ses racines pour vivre pleinement sa vie ? La liste n’est pas close, l’auteur la laisse ouverte en abandonnant le lecteur au bout du chemin avec tout ce qu’il a pu récolter au long de cette lecture. Le vieux géographe, lui, a fini par comprendre le message des mirages, les mensonges de la mer, en méditant cette maxime sibylline « La forme est vide. La vacuité est forme ». Chaque lecteur cherchera sa voie à travers ces quelques mots… Bon voyage à tous !
Denis BILLAMBOZ
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