Vu Tran a fait partie des « boat people » qui ont quitté le Vietnam après la débâcle des Américains. Dans ce recueil de nouvelles, il raconte la vie des combattants pendant la guerre de libération mais aussi des histoires inspirées de la mythologie vietnamienne. Tous ces textes ont en filigrane l’affrontement inéluctable entre le nord et le sud du pays qui ne peuvent pourtant vivre l’un sans l’autre.
Sous une pluie d’épines
Vu Tran (1975 - ….)
Tran Vu a quitté le Vietnam alors qu’il n’était encore qu’un grand adolescent, à bord de l’un de ces bateaux qui ont constitué les boat people, ce peuple fuyant le pays après la défaite des Américains en défiant l’océan en grappes humaines entassées dans des rafiots de fortune au risque de leur vie. Après avoir séjourné dans un camp aux Philippines, il a été recueilli en France où il vit toujours. « Nous sommes encore très jeunes. Cela ne se voit pas sur nos visages, dans nos yeux mais dans nos inextinguibles rêves ».
Ce recueil comprend six nouvelles qui racontent, dans une langue luxuriante, colorée, chatoyante, les relations violentes, cyniques, sadiques qui ont souvent régné entre les deux parties du Vietnam. Une relation indestructible, comme une fatalité qui unit deux frères qui s’aiment sans jamais pouvoir vivre en paix. Dans la première nouvelle, il narre la dernière année d’un jeune homme dans ce pays, ses premières beuveries, ses cauchemars d’après la guerre, ses premières expériences sexuelles, la désillusion d’une révolution détournée, la naissance d’un nouveau capitalisme, les carnages récurrents qu’on ne peut pas oublier.
Dans la deuxième nouvelle, Tran propose une hypothèse pour résoudre l’assassinat mystérieux dont a été victime Huê, le roi sanguinaire qui a unifié les deux parties du Vietnam, celle du sud et celle du nord. Dans la troisième, il met en scène la relation sadomasochiste qui unit une femme et son amant sous les yeux de son mari indifférent ou ignorant. La quatrième raconte l’histoire cruelle d’une fille qui rentre dans sa famille qu’elle a dénoncée aux révolutionnaires. La cinquième est consacrée à la vie, notamment celle des jeunes femmes dans les souterrains Viêt-Cong où la claustration rend les gens fous, cruels, sadiques, déshumanisés. La dernière est un texte magnifique, une histoire horrible, celle d’un jeune totalement défiguré qui oblige sa sœur à l’aimer car aucune autre femme ne le pourra. La chute est totalement inattendue et clôture remarquablement le recueil.
J’ai admiré l’écriture de ce Vietnamien réfugié en France, il a l’art de dire des choses d’une cruauté et d’une horreur abominables dans un langage d’une grande beauté. J’ai aussi cru déceler dans ces nouvelles l’évocation du désamour permanent séparant les deux parties du pays qui ne peuvent cependant pas vivre l’une sans l’autre. « L’amour entre Loan et Lu s’enfonçait de jour en jour dans une lugubre débauche. Comme l’histoire des Viêts à l’instant irrésistible où ils envahissaient le sud, massacraient les peuplades plus faibles qui y vivaient ». Comme une malédiction qui pousserait les deux pôles du pays à se confronter dans les pires violences pour vivre dans une union qui semble inéluctable mais difficilement accessible.
Je suis resté cependant interrogatif en imaginant cet auteur affrontant les pires tourments pour sauver sa vie et gagner la liberté et semblant regretter de n’avoir pas été plus actif dans le combat qui opposait les deux parties du pays. « Je veux vivre cette guerre. Je veux participer. Prendre ma part de crimes. Faire face. Assumer mes responsabilités. Je veux voir de mes yeux les fosses engloutir les cadavres de mes frères, je veux pour une fois tuer… » On dirait que, dans son exil, il lui manque un bout de son histoire sans bien savoir lequel, peut-être celui qui n’a pas existé, celui qui aurait créé un pays libre où les peuples auraient pu vivre dans la quiétude et la paix ? Car il déplore vivement les perpétuels affrontements qui déchaînent les gens du nord contre ceux du sud et vice-versa. « … pitoyables sont ceux qui doivent vivre dans un pays qui ne connait pas d’autres normes au gouvernement des hommes que « Tuer ».
Denis BILLAMBOZ
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