Voilà un livre qui devrait être distribué à tous les élus avant qu’ils s’installent sur le siège confortable des diverses assemblées qu’ils sont amenés à fréquenter. Ils agiraient peut-être avec plus de mesure, de sagesse, de bon sens et surtout de respect des populations qui les élisent.
Au nom du pire
Pierre Charras (1945 – 2014)
Les dernières campagnes électorales en France, aux Etats-Unis et ailleurs ont pu en surprendre plus d’un par la violence et la bassesse des attaques contre les autres candidats en compétition et, pourtant, ces pratiques odieuses ne sont pas nouvelles. Avant de décéder en 2014, Pierre Charras les évoquait dans ce roman édité à titre posthume à l’occasion de cette rentrée littéraire. Pour stigmatiser de telles pratiques, montrer jusqu’où elles peuvent conduire et donner son sentiment sur de telles mœurs, l’auteur évoque l’histoire d’une élection dans une petite ville de province où le maire charismatique et, après de nombreux mandats, est mis en grande difficulté au premier tour. Le parti, dont il incarne les valeurs sans le représenter officiellement, dépêche un spécialiste des causes perdues pour redresser la barre et tenter d'éviter un naufrage déshonorant.
Le sauveur débarque pour participer au sauvetage du navire municipal mais le maire a disparu, nul ne sait où le trouver. Tous se souviennent alors que ce dernier a un passé étrange. Il était ministre et promis aux plus hautes fonctions de l’Etat quand, en visitant la ville, il avait été frappé d’un malaise qui l’avait incité à se fixer dans cette ville où il avait grandi et à y briguer les fonctions de maire qu’il exercera pendant cinq mandats. Mais la population semble vouloir lui refuser une sixième investiture. C’est alors qu’il décide, contre l’avis de tous ses conseillers, de s’adresser directement aux électeurs, de leurs raconter sa vraie histoire, celle que son malaise a fait remonter à sa mémoire, celle qu’il garde secrète depuis sa première élection. Il veut qu’on lui pardonne son silence et que les citoyens sachent qui il est réellement et qu’elle est sa vraie famille.
Ce roman plonge au cœur d’événements anciens difficiles à évoquer sans déclencher un raz de marée populaire, mais le maire souhaite se libérer de la culpabilité qui lui pèse sur les épaules même s’il n’était alors qu’un enfant, il se sent l’héritier de ceux qui ont été expéditivement jugé et exécuté, comme de ceux qui ont jugé, sans pitié aucune, sans discernement et même avec une haine sordide dans un après-guerre chaotique. Cet ouvrage évoque évidemment la culpabilité, la transmission de la responsabilité aux enfants et le pardon qui seul peut effacer l’atrocité de ce qui fut. On dirait que l’auteur a voulu, à la fin de sa vie, se libérer d’un poids devenu insupportable à porter seul ou plaider la cause d’un proche qui aurait subi ce même sort. Son plaidoyer pour l’innocence des enfants est particulièrement émouvant : « …les enfants des bourreaux sont des enfants, pas des bourreaux. Des enfants qui souffrent, eux aussi, comme ceux des victimes. Quand les hommes font le mal, tous les enfants sont des victimes, ceux des bourreaux comme ceux des martyrs, tous, toujours ». Puissent les bateleurs de la politique s’en souvenir lors des prochaines campagnes électorales et tous les autres dans toutes les situations de la vie quotidienne.
Un roman court, émouvant, qui démontre comment d’un tel mal-être peut surgir la vérité oubliée, l’appel du pardon et peut-être l’amour. Un livre noir, mais empli d’espérance, qui plaide en faveur de la vérité afin d’éviter bien des rancœurs porteuses de malheur et engendrer la paix et le bonheur. J’ai refermé ce livre non sans émotion, quelque part dans les monts du Forez à deux pas du lieu de naissance de Pierre Charras.
Denis BILLAMBOZ
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