La vie brève de Jan Palach
Anthony Sitruk (1975 - ….)
Lors d’un exercice dans une séance de formation, l’auteur doit reconnaître sur des photos deux personnages. Le premier est facile à identifier, il a fait récemment l’actualité en s’immolant par le feu à Tunis, en revanche personne ne reconnait le second et pourtant son nom et sa photo ont fait le tour du monde même si à cette époque les réseaux sociaux n’existaient pas (preuve qu’avant eux le monde tournait déjà). Après un long silence, un participant suggère le nom de Jan Palach, tous ou presque en ont entendu parler mais aucun ne s’en souvient précisément. A partir de cette date, l’auteur décide de partir à la rencontre de ce Tchèque qui s’est immolé par le feu pour réveiller le peuple tchèque trop léthargique sous la botte soviétique après la répression sanglante des émeutes de 1968.
Ce n’est qu’en 2017 que le narrateur se rend à Prague sur les traces de Palach, place Venceslas notamment, où il pourra apprécier l’amabilité des serveurs des bars et restaurants de la ville. Pour ma part, j’avais déjà fait cette expérience en 1994, je pensais qu’ils étaient devenus plus conviviaux, apparemment ce n’est pas le cas. J’avais été aussi déçu de ce qu’il restait de la mémoire de Jan Palach sur la grande place pragoise.
Un an avant de commémorer le cinquantième anniversaire de l’immolation le 16 janvier 1969 du jeune étudiant tchèque, Anthony Sitruk a voulu comprendre ce qui s’était réellement passé, les motivations du jeune homme, les réactions de son entourage, des pouvoirs publics, de l’occupant, pour tenter de ranimer la flamme de la liberté symbolisée par cet acte autodestructeur. Il retrace son parcours depuis son village de naissance à l’université, son engagement politique, son implication dans la lutte contre les soviétiques, son désespoir, sa décision de se sacrifier, son passage à l’acte et surtout ce qu’il est devenu après sa mort tant physiquement que symboliquement. Il conclut par une fiction où il fait parler celle qui a peut-être été sa petite amie.
Sitruk n’a pas cherché à écrire une biographie complète, il a seulement souhaité, à partir de ce dont chaque citoyen français peut disposer, comprendre pourquoi ce héros est oublié aujourd’hui. « J’aurais pu engager un traducteur tchèque, … qui m’aurait dégoté l’information en quelques secondes, si mon but avait été de retracer exhaustivement la vie de Palach et non à partir des seules bribes que l’on trouve en français ». La Guerre froide a laissé place à d’autres conflits qui ont généré d’autres héros. Nous sommes peut-être nombreux à avoir oublié que Palach était plus qu’un combattant, qu’il était un symbole, une torche vivante éclairant le chemin de la liberté. En 1969, « Palach est une bombe, il aurait pu devenir un héros, aux yeux de tous il est bien plus que ça : vivant il est anonyme, mort il devient un martyr, un mythe… » et aujourd’hui, il est surtout un site touristique, une petite trace de cendre dans notre histoire.
Mais Sitruk constate qu’au-delà du héros, du martyr, du mythe, il y avait avant tout un homme, un jeune homme. Déjà à l’annonce de son décès les tchèques savaient : « … ils comprennent avec effroi que cet étudiant qu’ils admiraient déjà est aussi un fils, un frère, un enfant avant d’être un martyr. Ne l’oublions jamais ». Je ne peux pas m’empêcher de penser que l’auteur adresse à travers ces mots un message à l’intention de tous les vautours qui vont se précipiter en janvier prochain pour récupérer le sacrifice de ce jeune héros.
Denis BILLAMBOZ
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