Ceux de ma génération, du moins pour la plupart, ont vu au cinéma, dans les années cinquante et soixante, de nombreux westerns dont « Johnny Guitar », figure parmi les plus célèbres, un véritable mythe. Le roman, qui l’a inspiré, est beaucoup moins connu, il a sombré, avec son auteur, dans les oubliettes de la littérature. Aussi, par nostalgie de cette époque qui marque le début des Trente Glorieuses et la plus belle partie de ma jeunesse, je vous propose de le redécouvrir avant, peut-être, de re-visionner le film.
Johnny Guitare
Roy Chanslor (1899 – 1964)
Johnny Guitar, encore un western qui m’a échappé quand, dans ma jeunesse, j’étais un spectateur assidu de ce genre cinématographique, aussi quand j’ai aperçu le roman sur les rayonnages d’une vente de livres d’occasion, je me suis précipité pour l’acquérir. Et, même si l’éditeur dans un avant-propos signale que le scénariste a largement modifié le roman, je n’ai pas été déçu car ce texte comporte toutes les composantes d’un bon western urbain. On dirait que l’auteur, à travers son histoire, a voulu, même involontairement, fixer les codes du genre. Ainsi découvre-t-on dans l’ouvrage le décor habituel, la place du village, là où la diligence fait halte, avec ses cafés, ses commerces traditionnels, boucherie, blanchisserie notamment, un peu à l’écart le tripot avec ses jeux d’argent. Les personnages récurrents animent le paysage : les mauvais garçons qui font le coup de feu, assassinant sans scrupules aucuns, le shérif débordé, le convoyeur de fonds, le conducteur de la diligence et l’incontournable belle femme dont les charmes agitent les hormones des rustres gaillards qui rodent dans le secteur. Pour que la population soit complète, il faut aussi un candide, un étranger détonnant auprès de la gente locale, celui qui fera basculer le train-train de cette population sanguinaire habituée aux meurtres et aux attaques de diligence.
Le candide, Johnny Guitar débarque à Powderville (Wyoming et non Texas comme dans beaucoup de westerns) et réussit à se faire embaucher par la belle tenancière du tripot qui deviendra vite le lieu du drame, lorsqu'une milice locale viendra chercher le bandit qui aurait assassiné de braves citoyens après avoir attaqué la diligence. La scène est campée, elle servira dans de nombreux autres westerns et même à Goscinny et Morris pour leur célèbre « Lucky Luke ». Le chevalier blanc sauve la belle et laisse miliciens et bandits s’entre-tuer. Toutes les scènes d'un bon western sont réunies dans ce court roman : attaque de la diligence, assassinat par derrière, règlements de compte à coups de colts et de fusils, justice expéditive par une milice constituée sur place, lynchage, pendaison, cavalcade sous la mitraille et l’inévitable face à face l’arme à la main. Chanslor décrit un monde vivant en vase clos, réglant ses problèmes lui-même par la force plus que par la justice, par le colt davantage que par le code. Des mœurs qui ont laissé une empreinte indélébile dans la société américaine tellement attachée à ses armes à feu et à la peine de mort.
Si ce roman, publié en 1953, peut être considéré comme une sorte de codification du western, pour d’autres il est aussi une métaphore de l’Amérique du maccarthysme avec ses citoyens accusés sans preuves, cernés par une milice adepte d’une justice impitoyable et expéditive, comme l’étaient à cette époque de nombreux Américains poursuivis par les forces de police traquant ceux qui ne pensaient pas comme les faucons au pouvoir.
Denis BILLAMBOZ
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