Une image semblable à toi
a sombré sous mes paupières.
Dis-moi qu’il existe quelque part
une table mise, un pain
sur lequel fut tracé une croix,
une cruche d’eau-de-vie.
N’incline pas la tête, mon ami,
que ta haute parole rende l’heure plus claire,
nos peuples plus honorables.
Est-ce le sommeil qui nous gagne ?
Voilà que le fleuve Espérance s’est tari.
Nos âmes sont sèches et l’eau
de l’esprit vient à manquer.
Demain, cette terre glanée se couvrira d’ivraies.
Un chant d’adieu s’élèvera dans nos cœurs usés.
Quelle douleur me saisit aux cheveux,
m'attire et m'épouvante ?
Qu'elle ne soit plus ce poids
sous l'arcade des paupières,
qu'elle s'enlise dans la terre,
me laissant sans blessure, à jamais découverte.
Le temps se dévore lui-même.
On assiste au partage de l’obscur.
La parole jette son ombre lente sur la vie.
Laissons-nous couvrir de son linceul.
Le doute ? On dit que Dieu y est présent plus qu'ailleurs.
La lumière s'incarne et vit en ses propres ténèbres.
Est-ce le même visage que le mal empruntait
lorsque nous partagions ses couleurs ?
N'effaçons rien, menons les ténèbres au plus profond des ténèbres,
menons-nous au plus profond de nous-mêmes.
La tristesse a le regard blessé de la nuit.
Les bourrasques lui tordent les bras.
Me laisseras-tu deviner ce qu'il y a de plus obscur en toi ?
Vie et mort boivent à la même eau.
A peine nous penchons-nous vers la terre nocturne
qu'une voix nous interpelle,
que l'aride lumière nous recompose.
Quand il sera trop tard,
nous chanterons les lieder
qui apaisaient notre effroi.
Nous nous blottirons au fond des chapelles
pour ne rien entendre de ce qui s’en va.
Mon ami, prends mon bras.
L’indistincte patrie est loin.
Nos yeux ont bu la lumière du dedans
et celle du dehors est pour un monde
qui ne cesse plus de se défaire.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE (Petit poème crépusculaire – Extraits de Profil de la Nuit)
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