Haïti, cette île où le malheur et la misère semblent être les deux principales richesses, produit étonnement des auteurs de grand talent comme si le malheur et la misère étaient le meilleur terreau pour faire éclore de grands écrivains. Aujourd’hui, je voudrais évoquer une auteure, Yanick (avec un seul « n ») Lahens qui raconte dans ce livre une histoire bouleversante comme cette île damnée en a trop connues et en connaît encore beaucoup.
La couleur de l’aube
Yanick Lahens (1953 - ….)
Roman à deux voix où deux jeunes femmes partent à la recherche de leur frère, Fignolé, qui n’est pas rentré à la maison. Cette disparition les inquiète fort, car, à cette période, celle où le père sauveur (le Père Aristide sans doute) tant attendu a trahi la cause du peuple, la disparition signifie souvent la mort ou au moins la détention dans les geôles des tortionnaires. Chacune à sa façon, elles vont mener l’enquête pour tenter de retrouver la trace de leur petit frère qu’elles aiment tendrement. L’aînée, Angélique qui « passe pour être sage. Très sage même. Mère sacrifiée. Fille soumise. Sœur exemplaire. » est une infirmière dévouée et une paroissienne dévote qui prie et fait les démarches nécessaires auprès des organismes officiels et les réseaux en mesure de lui apporter quelque information au sujet de cette disparition. Sa cadette, Joyeuse - qui porte bien son nom et « a une foi inébranlable dans son rouge à lèvres, ses seins et ses fesses » se faufile habilement dans les quartiers dangereux où son frère aurait pu se réfugier.
Chacune, dans son style et à sa façon, va raconter ses recherches en évoquant la vie qu’elle a menée et mène encore dans cette île où tous les malheurs semblent se donner rendez-vous. Vie de misère, surtout pour les femmes qui ne peuvent qu’espérer séduire un blanc pour l’épouser et s'extraire du caniveau où elles sont enlisées. « Dans cette île tous les hommes sont de passage. Ceux qui restent plus longtemps le sont un peu moins que les autres, c’est tout. Dans cette île, il n’y a que des mères et des fils. » Elles soliloquent, narrant leurs frustrations, leurs dévergondages, les combines auxquelles elles doivent avoir recours pour survivre.
Un fois de plus la misère haïtienne a accouché d’un magnifique texte, seule la littérature semble pouvoir survivre sur cette île de malheur. Yanick Lahens, auteure talentueuse, livre un témoignage émouvant, révoltant, bouleversant sur la vie en Haïti où les tortionnaires ne sont éjectés que pour laisser la place à d’autres, pire encore. Après chaque révolution, le peuple est spolié de sa victoire, privé de la récompense qu’il gagné au prix d’un flot de sang versé et de moult douleurs endurées. Yanick Lahens insiste surtout sur la condition des femmes qui ne sont là que pour nourrir des mâles qui jouent à s’entretuer dans les conditions les plus atroces. Filles, mères, sœurs, d’assassinés, de torturés mais aussi d’assassins et de tortionnaires, elles ne connaissent que la souffrance et les privations.
« Comment ne pas prier Dieu dans cette île où le Diable à la partie belle et doit se frotter les mains. Dans cette maison où, sans crier gare, jour après jour il a établi ses quartier ». « Je ne me souviens plus de la dernière fois où elle a ri à faire danser le soleil dans ses yeux ».
Denis BILLAMBOZ
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