Voici un recueil de trois nouvelles réédité à point nommé pour nous rappeler que Jean Dutourd n’était pas seulement l’auteur de « Au bon beurre », mais qu'il rédigea des textes qui ne sont autres que des essais percutants sur nos sociétés et leur organisation. Dans ce présent recueil, il dénonce le recours aux idéologies et croyances religieuses pour résoudre les problèmes sociétaux, une façon de renvoyer dos à dos les idéologues, doctrinaires, religieux en tout genre, gourous, … qui ne veulent pas prendre en compte les réalités. Il a peut-être eu raison trop tôt ?
Jean Dutourd, pour moi, c’est le souvenir de « Au bon beurre », un texte lu vers la fin de mon adolescence dont j’avais gardé un bon souvenir et, néanmoins, j’ai, comme toute une génération, vers la fin des années soixante, tourné le dos à cet auteur. Quand la jeunesse battait le pavé derrière diverses banderoles prônant de multiples idéologies, il n’était plus de bon ton de le lire, Jean Dutourd étant considéré comme un réactionnaire « facho » par cette génération en ébullition. Il est donc, aujourd’hui, tout à fait opportun de revenir vers lui et de reconsidérer ce qu’il se proposait de dire, en cette fin des années cinquante, à ceux qui déjà allumaient la mèche et s'échinaient à jeter toute une génération dans la rue.
« Les Dupes » est un recueil de trois nouvelles qui tente de faire comprendre aux lecteurs que les systèmes de pensée ou de croyance, les idéologies, religions, superstitions inventés par les homme, finiront par butter sur des réalités concrètes et difficiles à contourner. Ainsi le pauvre Baba, totalement à l’écoute de son maître en philosophie, veut-il mettre en œuvre les théories qu’il a apprises en participant à la guerre d’Espagne du côté des Républicains ! Malgré sa volonté et son engagement derrière les théories de son maître, il butte rapidement sur la perversité humaine et les aléas d’une vraie guerre pleine de rebondissements et d’imprévus.
Dans la seconde nouvelle, Dutourd crée un révolutionnaire allemand, Schnorr, venu à Paris pour participer à la Révolution de 1848, qui s’en prend aux Français, impuissants à conduire la moindre révolte car incapables de suivre une idéologie claire et d’appliquer une théorie définie a priori par des penseurs éclairés. Schnorr écrit des lettres à Bakounine pour dénoncer cette incapacité et rencontre même Lamartine et Hugo pour leur dire combien leur révolution est vouée à l’échec. A travers les bouillonnantes activités de ce personnage, Dutourd cherche à prouver la puérilité et la vanité des théories que ce personnage s’échine à mettre en œuvre.
Dans la troisième nouvelle, Emile Tronche affronte le diable et refuse de céder à ses tentations. Ne croyant qu’en ce qu’il voit, il n’entend pas céder aux sirènes de ceux qui promettent, pas plus qu’aux menaces de ceux qui effraient. Ce sage, qui a tiré, semble-t-il, les leçons des deux autres nouvelles, admet que la vie n'est pas forcément un long fleuve tranquille mais l'accepte sans forcément croire à un hypothétique grand soir.
Boudé, décrié, critiqué, voué aux gémonies pendant les années soixante et soixante-dix, Jean Dutourd n’avait peut-être pas totalement tort. Avec cette réédition de « Les Dupes », chacun aura l’occasion de se faire une opinion. L'auteur, quant à lui, avait déjà compris que ceux qui défilent sous les bannières des idéologies en « isme » ou se réfugient dans des croyances, superstitions ou religions manipulées par des gourous, grands prêtres et autres sommités adulées, étaient les vraies dupes. « La vraie dupe est dupe de soi, dupe de ses idées, de ses sentiments, de la fausse conception qu’elle se forge de la vie et des hommes. » Et peut-être aussi de sa trop grande confiance en ceux qui entendent détenir la formule magique pour améliorer la marche du monde.
A travers ces trois nouvelles, et en considérant l’histoire de la fin du XXe siècle, force est de constater que de nombreuses idéologies et croyances se sont éventées et qu’il aurait peut-être fallu savoir raison garder. Mais comme on ne réécrit pas l’histoire, le passé reste ce qu'il est. « La raison explique tout, éclaire tout. Mais une fois tout expliqué et tout éclairé, on est Gros-Jean comme devant. » Et si ce recueil était déjà une leçon de résilience ? Et une leçon adressée aux philosophes de télévision qui veulent sans cesse refaire le monde ?
Denis BILLAMBOZ
Cet ouvrage a été réédité par "La Dilettante".
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