Quand j’ai fait la connaissance, samedi dernier, de Christophe Stolowicki au Livre de Paris, je ne me souvenais pas qu’un de ses textes figurait sur ma liste des chroniques à publier sur Interligne dans les semaines à venir. Je ne connaissais que deux de ses textes dont celui que je vous présente ici…
Deuil pour deuils
Christophe Stolowicki (1945 - ….)
« J + ? Je mène le deuil, jamais je n’aurais cru une seconde foi. ». « J – trente ans peut-être. Je mène le deuil, elle s’est dérobée…. Mon amie d’enfance Anna… ». La mère est décédée, le fils mène le deuil comme il le menait déjà une trentaine d’année auparavant pour la cérémonie funéraire d’Anna sa première petite amie. Puis, il y eut d’autres deuils qui se bousculèrent dans sa mémoire, d’autres décès, d’autres morts, d’autres tueries. Il se souvient du décès du grand-père tutélaire, de celui de la grand-mère adulée, de ceux des juifs assassinés par les SS, de ceux déportés qui ne sont pas revenus, de ceux qu’il a connus et qui sont morts sans raison valable, partis trop tôt, trop vite.
Le deuil de sa mère est l’occasion de fusionner tous ces deuils et d’enfin espérer voir le bout du tunnel, de commencer une autre vie. C’est oublier la culpabilité qui l’étreint, même si la voisine a dit « On meurt toujours seul », il n’aurait pas dû l’écouter, il aurait dû accompagner sa mère jusqu’au bout de son chemin qui fut bien court entre le diagnostic et son décès. « Peu de temps pour faire le chemin, elle doit en un an ou un mois passer de vie heureuse à disposition de trépas… ». Faire le deuil de la mère et de tous ceux qui sont déjà partis, c’est aussi faire le deuil d’une langue qu’il risque d’oublier, ce polonais qu’il maîtrise mieux que le français mais qui l’abandonnera lentement et sûrement. C’est aussi faire le deuil d’une culture, d’un pays laissé loin derrière soi..
Ainsi, est-ce un texte poignant que nous livre Christophe Stolowicki, un texte évoquant des épreuves qu’il a sans doute vécues et dont il voudrait faire le deuil pour envisager plus sereinement sa fin personnelle. Cela n’est qu’une impression qui me reste après la lecture de cet ouvrage pathétique, où prose et poésie distillent des images émouvantes, des images pour dire le pire sans prononcer les mots fatals. « Elle me remet ses clefs, papiers d’identité, porte carte bleue, argent de poche, comme l’entrant en prison, pour une très longue peine ». Ce texte contemporain laisse aussi une très large place aux formules de styles : aphorismes « Ras conter », allitérations, assonances « …de seoir son séant à une meilleure table », zeugmes : « Battant fausse monnaie ainsi que le pavé ». La formule de style, un art cher à l’auteur, pour lui « « L’art d’utiliser (la formule de style n’est pas), comme si elles ne naissaient pas spontanément d’une contraction expansion de culture, tel le zeugme chez Éric Chevillard, Thierry Froger ou Maylis de Kerangal… »
Texte très élaboré, riche de ses formules et de nombreux mots savants, il nous décrit un monde manichéen où la mort serait horrible et la vie délicieuse et raffinée, où la mort viendrait mettre un terme brutal à une débauche de plaisirs délicats, élaborés. Une vie que sa mère avait su animer avec un goût sûr et avisé, écoutant les meilleurs jazzmans (Coltrane, Monk, Rollins), lisant les poètes contemporains, fréquentant les meilleurs restaurants, offrant ainsi à son fils une existence qui l’attachait à elle. « Elle a fait de moi un homme pour elle seule prêt à risquer à vie l’avis de tempête sur mer d’huile de Lars von Trier ». Et, pour le fils, le deuil ne sera que plus difficile à affronter, il faudra qu’il l’écrive de manière à faire revivre ceux dont il faut qu’il fasse aussi le deuil en accomplissant un deuil de tous les deuils subis.
« Deuil pour deuils, je lui crie le titre, …. D’un livre à feuilleter non de veuvage en veuvage – tous en un. »
Denis BILLAMBOZ
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