C’est à un bon français que j’ai eu recours pour le troisième volet du triptyque asiatique que je voulais vous proposer, soit la chronique d’un texte qu’Alexandre Bergamini a construit au fur et mesure qu’il progressait dans le périple nippon qu’il a accompli pour en finir avec le deuil de son frère. Une véritable allégorie du Japon traditionnel.
Vague inquiétude
Alexandre Bergamini (1968 - ….)
Trente-huit ans après la disparition de son frère, on a le sentiment qu’il n’a jamais fait son deuil. C’est alors qu’Alexandre Bergamini entreprend un voyage au Japon, un pays qu’il aime particulièrement, où fleurit une littérature qu’il admire, notamment les textes de celui qui a laissé son nom au principal prix littéraire japonais : Ryünosuke Akutagawa. C’est donc sur les pas de ce grand écrivain qu’il parcourt les rue de Tokyo, principalement dans le quartier où est érigé le Kokugikan, le temple du sumo où ce dernier a longtemps résidé. Bergamini ressent la même douceur, la même tranquillité, la même paix que celle que Yôko Hiramitsu dépeint dans sa déambulation gastronomique : « Un sandwich à Ginza ». Atteint, comme son idole japonaise, d’une hypersensibilité des cinq sens, Alexandre Bergamini ressent des « sensations douloureuses, vibratoires, thermiques et tactiles » fortement affectées. Il se dépeint comme Akutagawa se décrivait : « Un hypersensible asocial. Je n’ai pas de principes, je n’ai que des nerfs… ». Cette hypersensibilité l’a sans doute empêché de faire son deuil, ce deuil qu’il voudrait accomplir à travers ce voyage dans le Japon traditionnel décrit par les grands auteurs classiques Kawabata, Inoué, Kafu, Soseki, Mishima, et bien d’autres encore, comme le pays de la sérénité, du calme et de la beauté naturelle.
« Je n’ai jamais trouvé une terre où vivre en paix ; j’ai vécu difficilement ailleurs alors que je me serais épanoui au Japon » où, paradoxalement, son idole n’a pas pu vivre puisqu’il s’est donné la mort, confie l’auteur qui ajoute : « « Tout est à la fois si réel, incarné, et correspond tellement à mon désir le plus profond, le plus enfoui ». Et, c’est rempli de ces sentiments et impressions qu’il entreprend un voyage initiatique au pays des ours agressifs dans la montagne centrale, une région rude, presque désertique, mais où la nature est restée pure comme à l’origine. Une nature et un voyage qui évoquent la fameuse nouvelle de Schichirô Fukazawa : « Etude à propos des chansons de Narayama » que tout le monde connait depuis qu’elle a été portée à l’écran.
Ce voyage est une confrontation de l’auteur avec lui-même, avec le deuil qu’il n’a pas pu et su faire, un ressourcement, une régénération, une expédition thérapeutique, une introspection curative au contact de la beauté originelle : « Nous sommes ce que nous regardons. Ce que nous regardons nous regarde à son tour. Nous devenons ce que nous contemplons ». Mais aussi une redécouverte de la littérature nippone, de ses chefs-d’œuvre et un retour vers l’écriture, l’acte d’écrire, l’envie d’écrire, le besoin d’écrire. « Ecrire un livre qui s’ouvre au monde, un livre qui ouvre le monde en soi et vous serre le cœur ». Un livre pour assurer sa paix intérieure, faire enfin son deuil, vivre dans le calme et la sérénité, vivre en paix avec soi-même. Oublier cette « Vague inquiétude » qu’aurait évoquée, selon certains, Akutagawa avant de se donner la mort.
Cet ouvrage est une allégorie du Japon traditionnel, du calme et de la sérénité qu’il dégage, de la quiétude qu’il peut insuffler à ceux qui savent le contempler. Mais, ce Japon n’est pas le seul Japon que j’ai rencontré dans mes nombreuses lectures nippones. Il existe, face à ce pays idyllique né de la tradition sanctuarisée par les shoguns, un autre Japon beaucoup moins irénique : le Tigre asiatique qui cherche encore à dévorer l’économie mondiale même si, sur ce terrain, la Chine et ses satellites le concurrencent férocement.
Denis BILLAMBOZ
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