Une jeune baleine
nageait à perdre haleine
très au large ... d'où çà ?
Des côtes d'Halifax.
Il faut savoir que cette baleine
avait perdu la tête, à l'occasion
d'une douloureuse liaison.
Une liaison ? me dites-vous.
Oui, et d'autant plus calamiteuse,
que la malheureuse avait lié son destin
à un fieffé coquin.
Celui-ci, avant que les noces aient lieu,
n'avait rien trouvé de mieux
que de fausser compagnie,
à sa gentille amie.
Ainsi, disparut-il subitement
en une fuite déshonorante, convenez-en !
Mais attendez seulement
que je vous conte la suite !
Ne voyant plus son bien-aimé,
c'est le coeur lourd et désenchanté
que l'amoureuse prit la route.
Que dis-je ? qu'elle prit le flot,
obsédée à la seule pensée
De le retrouver.
Elle nagea des jours et des nuits
sans que jamais n'apparut
la silhouette de l'ingrat.
La tristesse s'empara d'elle
et, bientôt, elle se sentit lasse.
Ayant perdu ses repères,
elle allait au hasard, la mort dans l'âme,
dans cette mer qui, continûment, roule ses lames.
Et puis, une nuit, elle s'échoua,
sur une plage de Normandie,
loin, très loin de son pays.
Elle mourut au petit matin,
scellant son triste destin
a des mille et des mille de l'Amérique.
Un enfant la découvrit
ainsi endormie,
dans une anse joliment cambrée
de Normandie.
Quand il eut donné l'alerte,
les villageois firent cercle
autour de la belle.
Chacun se demandait :
comment se fait-il
qu'une baleine ait choisi
de mourir en Normandie ?
Plus tard, sur cette plage,
on éleva un cénotaphe,
puis, au coeur du village, un musée,
si bien que jamais cétacé
ne fut pareillement honoré.
Depuis lors, à Luc-sur-Mer,
on vit à l'heure de la baleine.
Console-toi dans ton tombeau, chère exilée,
et dis-toi que ton aventure ne fut pas vaine,
puisque tu as réussi l'exploit
de faire rêver toute une terre
qui, désormais, voit en toi
comme une offrande de la mer.
Armelle BARGUILLET Extrait de "La ronde des fabliaux"
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