Il y a cinq cents ans, il fallait déjà défendre la langue française mais ce n’était pas pour la préserver contre une crise d’ignarerie généralisée comme aujourd’hui, mais pour la construire et en faire l’un de plus grands véhicules culturel, intellectuel et artistique de la planète.
La défense et illustration de la langue française
Joachim Du Bellay (vers 1522 – 1560)
Le 15 février 1549, Joachim Du Bellay adresse à son parent le Cardinal Du Bellay La Deffense, et illustration de la Langue Francoyse, un texte qu’il a rédigé dans le but de défendre cette langue vulgaire encore considérée comme une langue populaire à l’usage des gueux. Il précise que son entreprise n’a été motivée que par la seule affection naturelle qu’il éprouve envers la mère patrie. Avant de prendre connaissance de son texte, il est important de rappeler que les poètes de la Pléiade ont pris fait et cause pour la langue française dont François Ier a imposé, par l’édiction de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, la primauté et l’exclusivité pour la rédaction de tous les actes relatifs à la vie publique du Royaume de France. Ce texte est le plus ancien document législatif de la République française, ces articles concernant l’application de la langue vulgaire n’ont jamais été abrogés.
La langue française est, comme toutes les autres, née du besoin de communiquer qu’éprouvent tous les gens qui vivent ensemble, elle n’est pas plus barbare que les autres, même si elle n’a pas été suffisamment choyée par ceux qui en avaient la déposition. Elle a une grande marge d’amélioration par l’usage qu’on en peut faire en délaissant un peu le latin et le grec qui ne sont pas les seules langues à pouvoir exprimer les idées, les savoirs, et même la théologie si les hommes d'église n'ont rien à cacher.
« Ainsi veulent-ils faire de toutes les disciplines, qu’ils tiennent enfermées dedans les livres grecs et latins, ne permettant qu’on les puisse voir autrement : ou les transporter de ces paroles mortes en celles qui sont vives, et volent ordinairement par les bouches des hommes ».
Le grec et le latin n’ont pas été langues riches et brillantes dès leur origine, elles le sont devenues par la pratique séculaire de nombreux savants, poètes et dramaturges. Les langues vulgaires, à l’image de l’italien, peuvent devenir elles aussi belles et riches quand elles auront été employées par de grands esprits qui l’enrichissent et la modèlent. D’où la nécessité de traduire en langue vulgaire les textes savants pour qu’ils soient accessibles à tous, sachant que cette pratique serait très favorable à l’amélioration des langues. Et aussi de puiser chez les grands anciens comme Guillaume du Lorris et Jean de Meung sans évoquer les amis et contemporains, notamment ceux de la Pléiade.
Du Bellay développe d’autres arguments encore, le temps que l’on perd à apprendre les langues étrangères pour accéder au savoir au lieu d’apprendre les sciences et, déjà, l’inesthétisme de certains parlers, ainsi se moque-t-il de ceux qui tordent la bouche pour parler des langues qui ne leur sont pas naturelles alors que le français ne requiert aucune grimace.
Pour faciliter l’usage de notre langue vulgaire à ceux qui veulent écrire, l’auteur leur donne de précieux conseils tant sur le fond que sur la forme. Il invite les auteurs en devenir à lire et relire ces beaux vieux romans comme un Lancelot ou un Tristan. Mais, conscient de la limite de la langue française, il les encourage à chercher, inventer, créer de nouveaux mots qui viendront enrichir leur champ lexical et celui de leurs suivants. Il les incite aussi à puiser chez les anciens des mots qui, déjà à cette époque, étaient devenus rares, des mots que « nous avons perdus par notre négligence ». « Pour conclure ce propos, sache lecteur, que celui sera véritablement le poète que je cherche en notre langue, qui me fera indigner, apaiser, éjouir, douloir, aimer, haïr, admirer, étonner : bref, qui tiendra la bride de mes affections, me tournant ça et là, à son plaisir. »
L’auteur ne cache pas que ce texte est aussi un plaidoyer pour qu’une France unie se constitue autour d’un roi méritant et vertueux comme le fut « le vieux François » dont il fait un éloge vibrant. Pour qu’un peuple s’unisse autour d’un ensemble de lois et de règlements, d’une culture et d’une envie de voir progresser les arts et les sciences, il lui faut un langage commun, une langue unifiée et non des jargons régionaux ou mêmes locaux. D’autres langues comme l’italien émergent déjà et pourraient s’étendre au royaume de France et l’attirer dans son aire de diffusion.
Quel enthousiasme pour moi de lire ce texte, de redécouvrir des décennies plus tard le langage que j’ai décrypté dans les chroniques que j’ai transcrites, de déguster cette belle langue qui chante bellement. J’ai fait le rêve que ce plaidoyer soit imposé dans toutes les écoles qui déforment ceux qui nous dirigent et ceux qui les critiquent…
Denis BILLAMBOZ
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