Ce livre est le seul de la tétralogie que Jasna Samic a consacré à Sarajevo, sa ville de cœur et d’origine, rédigé en serbo-croate avec une traduction de Gérard Adam en collaboration avec l’auteure et il est désormais, comme les trois autres tomes, disponible en français. Cet opus est divisé en trois parties : la première écrite comme un durant la guerre de Bosnie, la seconde comme un avant et la troisième comme un après. Quand la guerre éclate en Bosnie, Mira, qui est un peu Jasna elle-même, se trouve à Paris où elle séjourne pour les nécessités de son métier de musicienne. Totalement démoralisée par le martyr infligé à Sarajevo, par les souffrances et les privations insupportables endurées par la population, notamment sa famille et ses amis, elle perd progressivement tout espoir en assistant au triste spectacle donné par ses compatriotes en exil à Paris. Ils sont tout autant désorganisés que les factions bosniennes sur le terrain, peut-être plus encore, division irréversible qui conduit à la haine et à la violence, aux règlement de comptes et aux manipulations.
Mira se démène dans la capitale française pour essayer de vivre de sa musique tout en apportant une aide précieuse à ceux restés au pays. Elle se rend rapidement compte que toutes les manifestations, où elle est invitée ou convoquée, ne servent qu’à faire valoir les intérêts de ceux qui les organisent. De même qu’elle constate bien vite que les promesses, qu’on lui fait, ne sont que très rarement honorées. Elle ne supporte plus la condescendance de ceux qui font semblant de compatir au drame bosnien, ne supporte plus de quémander sans cesse, ne supporte plus les profiteurs et manipulateurs qui l’entraînent dans des démarches dont ils sont les seuls à pouvoir espérer tirer un quelconque profit.
La passivité de ceux qui devraient être les alliés de son pays la démoralise, le déracinement lui pèse, la santé des siens restés au pays la mine, l’attitude de ses concitoyens la dégoute, elle ne tolère même plus l’aigreur passive de son mari, son couple part à vau l’eau, elle voudrait rentrer au pays où sa tante se meurt, mais c’est impossible. Alors, pour trouver une raison de vivre encore, elle se souvient de la saga familiale, comment ses aïeux ont construit une famille multiethnique, puisant dans des origines diverses et pratiquant, ou ne pratiquant pas, des religions différentes. Elle raconte comment chacun des membres de cette famille a parcouru le chemin, parfois douloureux, parfois plus joyeux qui a conduit le Bosnie au cœur d’un conflit où trop de choses concourraient à construire un immense foyer de haine pour qu’un avenir paisible soit envisageable.
Et, quand les canons se sont tus, elle est rentrée au pays pour retrouver les siens mais tous n’étaient pas là, et ceux qui étaient toujours là n’étaient plus les mêmes, la terreur avait laissé des stigmates trop profonds pour être sans effets, des traumatismes inguérissables, des déchirures encore plus douloureuses que celles qui existaient avant. Les obus tombaient mais les rumeurs, les manipulations, les coups bas causaient encore davantage de dégâts. Les projectiles frappaient aveuglément, les coups bas avec une plus grande précision. La Bosnie était devenue le champ de bataille de nombreux conflits internationaux, la chasse gardée de très nombreuses organisations plus ou moins mafieuses, la plaque tournante de tous les trafics possibles. Trop d’intérêts y sont encore en jeu pour qu’un jour les Bosniens espèrent retrouver la paix sous les frondaisons des forêts et terrasses de ce qui fut leur beau pays. La paix semble pire que la guerre, Mira a perdu espoir, les coups bas ne l’ont pas épargnée, Jasna non plus. Elle n’était pas là quand les Bosniens de tous les camps souffraient et mouraient, certains ne le lui pardonnent pas et d’autres utilisent cet argument pour rejeter ceux qui pourraient jouer un rôle dans le nouveau pays. Aux confins des grands empires d’Orient et d’Occident, la Bosnie serait-elle condamnée à vivre perpétuellement dans la terreur, la haine et la violence ?
Denis BILLAMBOZ
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