Au Chili, Pablo, un Belge marié à une Chilienne, a assisté au transfert des cendres de son amie Gloria décédée beaucoup trop jeune. Il était l’un des témoins de son mariage. De retour en Belgique, il voudrait écrire sa vie pour lui rendre hommage, mais il n’y arrive pas, les mots se défilent comme s’ils étaient bloqués derrière une lourde porte restant obstinément coincée par une pierre aussi pesante que celle qui lui écrase l’estomac. Il consulte un psychologue qui essaie de le sortir de l’ornière, le ramenant sans cesse vers ses chers disparus, morts trop tôt eux aussi comme s’il l’avait abandonné. Le praticien lui demande de faire revivre ses morts pour qu’il puisse évacuer les cauchemars qui l’assaillent régulièrement et le paralysent devant la page blanche. « Ne pensez-vous pas qu’il serait temps de déterrer tous ces morts ? ».
En réanimant ses souvenirs, il fait progressivement son deuil et libère son esprit du poids qui le paralysait, si bien que, désormais, il peut écrire son hommage, mais il reçoit alors un mot de son psychologue lui dévoilant que sa thérapie n’est pas complète. « Vos aventures au Chili ne sont pas terminées : ce pays vous est redevable de quelque chose. ». En quelque sorte, il doit boucler la boucle ouverte à Vina del Mar quand il prenait des notes sur le carnet qu’il a égaré dans un café, sous le regard de la caissière. Il retourne à Vina del Mar, retrouve la caissière et le petit carnet oublié et celle-ci l’envoie vers Gabriel, le gardien du musée et de la mémoire de Pablo Neruda, qui lui fait comprendre comment reprendre confiance en soi et comment domestiquer les mots. Il doit devenir El curandero, celui qui soigne. Il lui montre le chemin du maître : « Je vois, peut-être cherchez-vous trop à les contrôler, à vouloir leur faire dire ce que vous n’arrivez pas à retrouver. Pablo Neruda expliquait qu’il faut laisser venir les mots ; simplement être là pour les accueillir… ». Avec Luisa, Gabriel et Pablo Neruda, il retrouve la confiance perdue depuis trop longtemps, devient le curandero de ses maux et sait désormais qu’il peut écrire l’histoire de son amie Gloria.
Ce roman est rédigé avec une grande justesse, on voit que l’auteur a exercé un métier en rapport avec les mots, il les choisit toujours avec une vive attention pour les glisser avec soin là où ils doivent être. Il mène son texte comme une véritable analyse psychologique, suivant son patient au fil des séances pour l’amener vers la résilience qui lui ouvrira les portes de l’écriture, le sortant du cruel dilemme dans lequel il était coincé : « Entre deux mondes, celui des morts et celui des vivants. Je me sens piégé… ». Quand Gabriel a ouvert les portes du musée dédié à Pablo Neruda, j’ai vu « Le facteur », employé éponyme du film dédié à Pablo Neruda alors qu’il était en exil en Italie, et j’ai entendu cette musique que l’auteur semble énormément apprécier et que j’ai écouté des centaines de fois quand j’étais encore étudiant : « El condor pasa … ».
Denis BILLAMBOZ
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