Avec Amélie Nothomb dont « Premier sang » est le trente-deuxième roman, point de fioritures inutiles. Prenant la plume au nom de son père décédé en mars 2020, l’auteure va à l’essentiel et raconte ce que fut l’enfance de Patrick derrière lequel elle s’efface, et dont elle restitue la jeunesse, puis nous le décrit en diplomate belge au Congo. En effet, marié et père de deux enfants, il est envoyé comme Consul à Stanleyville où des rebelles indépendantistes vont le prendre en otage, ainsi que de nombreux belges, dont certains seront exécutés. Patrick aura la vie sauve et l’ouvrage s’achève sous forme d’un hommage à ce père admiré qui se plaisait à braver les difficultés depuis sa plus tendre enfance.
Dans la première partie, Amélie Nothomb nous décrit la jeunesse de ce petit garçon, orphelin de père, et que sa mère et sa grand-mère envoient au château du Pont d’Oye passer ses vacances, sachant que l’existence y est rude et sans confort – d’autant que la Belgique est en guerre, celle de 39/45 – que tout manque et que les adultes ne font rien pour privilégier les enfants contre le froid et la faim. L’éducation y est par conséquent implacable, aucune concession à une quelconque recherche de confort et la portion congrue à chacun des repas. Certes, l’existence ne manque ni d’originalité, ni de dureté, et la bande d’enfants ressemble plus à une horde de sauvageons qu’à des jeunes châtelains nourris par les terres environnantes. Mais Patrick s’adapte et se plie humblement aux exigences familiales, supposant que c’est sans doute le meilleur moyen de s’endurcir et de se préparer à sa vie d’adulte.
« A table, le soir, Léontine apporta une soupière d’un potage clair dont l’unique vertu consistait en sa température proche de l’ébullition. Les adultes en raflèrent les trois-quarts, les enfants durent se partager quelques louches du brouet de moins en moins fumant, qui avait le goût d’une eau grasse additionnée de rondelles d’oignon. Encore fallait-il l’avaler très vite : il refroidissait à une rapidité déconcertante. »
La faim et le froid sont par conséquent bien présents durant les vacances d’hiver où il n’y a plus guère de rhubarbe à manger ou quelque victuaille plus appétissante et où aucun chauffage ne fonctionne, assurant un lit glacial chaque nuit : « Je découvris la pire sensation de l’univers : des mâchoires glacées se refermèrent sur moi. J’aurais voulu frissonner, ce qui m’aurait sauvé. Pour des raisons inconnues, ma peau n’était pas capable de cette saine réaction. Corps et âme, j’étais figé dans le supplice. Le gel s’emparait de ma personne par les pieds et remontait peu à peu. Mon nez avait déjà la consistance d’un glaçon. »
Non sans humour, Patrick se forge un caractère et un tempérament à toute épreuve et apprécie, en quelque sorte, ses vacances auprès de ses grands-parents paternels et de ses cousins au château du Pont d’Oye qui s'emploie à édifier sa résistance morale et physique. Il sera mûr pour devenir otage dans un pays d’Afrique qui entend acquérir, sans plus tarder, son indépendance. Le jeune consul affronte vaillamment les longues semaines d’enfermement et les discussions sans fin avec ses geôliers et le président en exercice qui lui mériteront, à la toute dernière minute, d’éviter d’être fusillé par les douze hommes qui lui font face.
On goûte l’écriture alerte d’Amélie Nothomb où pointent, tout ensemble, une note de fantaisie et un sens inné du récit. Ainsi l’essentiel a-t-il la trame d’un éloge délicat à un père qui a traversé avec un certain panache les épreuves et les difficultés, entre autre celle de ne pas supporter la vue du sang – d’où le titre – et de respecter les us et coutumes de sa famille et de son pays, adhérant à ce qu'il convient de nommer la rage de survivre.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
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