Dans ce recueil Isabelle Fable propose dix nouvelles où le monde actuel se mêlerait, dans certaines circonstances, à des univers moins cartésiens, des univers qui échappent à notre raison, des univers plus ou moins fantastiques, fantasmagoriques, comme la nouvelle dans laquelle l’héroïne séduite par un beau jeune homme se retrouve captive dans un château médiéval où elle subit quelques tourments avant de réussir à s’évader et à se venger. Elle passe du monde puérile d’aujourd’hui à un monde gothique, violent, terrifiant, angoissant avant de revenir dans notre monde plus calme et plus serein mais peut-être avec un souvenir de cet épisode terrorisant. On pourrait aussi évoquer la jeune fille inquiétée par un promeneur indélicat qu’elle réussit à enfermer dans un placard qu’elle ferme hermétiquement comme Jeanne Moreau dans « La mariée était en noir », soit le passage d’un monde d’adolescente révoltée contre sa mère à celui de victime potentielle d’un pseudo psychopathe.
Plusieurs nouvelles sont construites sur ce principe : une scène banale de la vie courante est brusquement perturbée par un événement irrationnel, étrange, qui conduit le héros aux frontières de la mort sans jamais, ou presque, la franchir, avant de le ramener sous des cieux plus cléments. Ainsi, le jeune homme qui prépare son mariage avec la fille du gardien du château, est brusquement assailli par un monstre aux deux visages : un géant débile et un chien empaillé. Il est quasiment étouffé quand la fille le sauve et le ramène vers des temps plus propices pour lui et celle qu’il doit épouser. Ce thème de la mort tutoyée me rappelle un précédent roman d’Isabelle dans lequel elle évoque toutes les personnes de son proche entourage qui sont décédées brutalement. J’ai eu l’impression de voir dans ces nouvelles comme un refus de la fatalité de la mort qu’elle dénonçait déjà dans son précédent ouvrage. Je me souviens de ces deux vers :
« Ecrire pour évacuer la douleur
. Ecrire pour conjurer la mort. »
La violence et l’irrationalité de certaines scènes peuvent émouvoir ceux qui ne sont pas, comme moi, des lecteurs réguliers de la littérature fantastique. Mais, l’écriture d’Isabelle les rassurera vite, elle est élégante, fluide, riche de mots rares et ornée de formules de style toujours judicieusement placées. L’auteure n’étale jamais l’horreur pour l’horreur, ne cherche pas comme certains à écœurer le lecteur mais seulement à donner toute sa dimension fantastique aux scènes qui font vivre ses nouvelles. Moi, j’ai bien aimé l’angoisse qu’elle crée en utilisant les jeux de double, voire de triple. Un homme d’âge mûr est pris d’une réelle panique quand il croise dans le métro un homme qui pourrait être lui quand il avait une vingtaine d’années de moins. Un jeune homme accompagne la fille qu’il aime bien à la fête où il est vite perturbé par deux autres filles qui semblent être l’une et l’autre un double de son amie mais chacune avec un handicap. Le recueil s’achève sur un texte moins étrange mais plus bouleversant encore, il raconte comment une jeune fille retourne sur sa terre natale en Afrique où sa grand-mère l’a purifiée à jamais, elle l’a excisée et infibulée. Et si l’horreur au quotidien était plus violente que l’horreur distillée dans la fiction littéraire.
Denis BILLAMBOZ
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