Voilà un livre qui vient à la plume comme l’émotion au cœur, rédigé tel un aveu, une promesse, un remords, une délivrance, un livre dont les phrases jaillissent ainsi qu’une lave brûlante, un chagrin inconsolé, une révélation qui reconstruit un passé bousculé par la douleur.
Céline Posson-Girouard nous offre un bel ouvrage parce qu’il fait fi de toute prétention et va là où le souvenir est encore à vif, lié à un amour inconsolable, celui de la disparition d’une mère. Ainsi, à travers ces lignes, nous raconte-t-elle ce que fut cette aventure, ce duo permanent qui passait du rire aux larmes, du quotidien à l’imaginé, de la réalité aux rêveries partagées.
Cette mère n’était pourtant pas facile, femme au caractère trempé, parfois rude, voix haute et autorité assumée face à cette petite fille aimante et soumise, toujours prête à se plier aux exigences maternelles. C’est un matriarcat qui règne dans cette vaste demeure entourée d’un jardin ludique et d’arbres centenaires. Voici donc cette sonate à quatre mains où chaque variation trouve et amplifie son écho. Petite fille pelotonnée dans le calme et le confort de la demeure familiale dont les longs couloirs conduisent aux salons et aux chambres, Céline tisse son actualité de nombreux rêves, de visions enchanteresses. Et puis, il y a ce jardin, ce lieu qui vous offre toutes les évasions, les fleurs à brassées, les parfums enivrants. Mère et fille aiment jardiner comme le fera Colette avec Sido. « Nous étions assises toi et moi sur le banc au fond du jardin, sous les lilas. Nous prenions racine dans l’enchantement câlin où s’évaporent leurs parfums subtils, persistants. »
Une enfance muette, nous dit l’auteure, une enfance à emmagasiner l’essentiel, la simple beauté des choses, l’amour d’un père et d’une mère, une intimité permanente avec la nature, la résonnance avec la musique et la littérature qui façonnent peu à peu ses goûts. Mais la révolte va se déclencher lors des années scolaires, Arlette va devenir Céline et traverser son temps de révolte, son mai 68 où tout sera passagèrement remis en question. « En classe de seconde, nous nous imaginions toutes devenir des écrivains et nous cherchions des pseudonymes ! J’osais même changer d’identité en reniant le prénom que tu m’avais donné, maman. »
Proustienne depuis sa jeunesse, ce fut en compagnie de sa mère que Céline se rendit pour la première fois à Illiers-Combray et que, depuis lors, infusa en elle l’admiration qu’elle n’a cessé de vouer à cet immense écrivain dont elle souligne que c’est grâce à lui qu’elle a mieux compris la force inouïe et initiatrice du lien maternel. « Je dois donc à ma mère d’approfondir « A la recherche du temps perdu » depuis l’adolescence. En cherchant à comprendre le sens de cet amour filial chez Proust, j’ai mieux compris le mien. »
Les années ont passé, Céline s’est mariée, est devenue mère à son tour, son père adoré est mort, la vie a suivi son cours inexorable, sa mère est tombée gravement malade, paralysée et privée de la parole, clouée sur son lit à jamais. Ces passages sont les plus beaux du livre, une progressive décantation vers l’amour donné « dans le mystère du pur échange » :
« Nous n’avions plus besoin de parole. La bouche de nos cœurs s’ouvrait à l’éternité, dans cet instant d’amour intense. Nos âmes se touchaient dans un élan rapide, total, tourné vers le ciel. »
Ultime épreuve sera celle de la vente de la maison d’enfance qu’aucun des trois enfants n’est en mesure de reprendre. Pour avoir connu cela, je comprends d’autant mieux Céline Posson-Girouard qui voit, comme je l’ai vu, se dénouer les liens tissés avec le parc et la maison, s’évanouir les mystères de l’enfance, se rompre les secrets espérés et désirés, s’effacer les images qui ont fondé immuablement notre imaginaire. « Accoudée à la fenêtre de la chambre, je contemplais pour la dernière fois ce jardin que je devais quitter. Je tentais d’imprimer en moi le plan géométrique de ses allées de sable blond. Celle du milieu ouvrait deux côtés symétriques mais tellement différents par les plantations que je pouvais nommer comme Proust, « Le côté de Guermantes » et « Le côté de Méséglise ».
Voilà un hommage vibrant et émouvant à une enfance heureuse, protégée et épanouie qui s’est jour après jour tissée dans la simplicité d’une existence rurale pleine de poésie et de mystère, une belle histoire de femme qui a placé au premier plan, comme le fera Proust et Romain Gary, l’image inaltérable de la mère.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
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