Vint le temps où l’homme s’emmura dans les villes,
artères bruyantes qui n’ont que l’apparence de la vie,
balafres sur la face condamnée du monde.
On y parlait d’abondance,
on s’y livrait parfois à de sombres pratiques.
De grands arums ornaient des vases de Lalique,
quelques glaïeuls aussi et quelques orchidées.
Mais ceux des villes avaient oublié le parfum âpre de la savane et des marais.
Luisance des toits qui encombraient le ciel,
cortège funambulesque des cheminées,
les enfants ne jouaient pas à un-deux-trois, nous n’irons plus au bois,
ni à colin-maillard, ni même à la marelle,
ils sombraient dans l’irréalité des corolles lancéolées sur les bras.
Loin d’eux les alpages enluminés de trolles et les clarines,
les ciels mouvants qui s’ennuageaient, les embellies.
Parfois on célébrait de grandes fêtes, des pâques solennelles
et la lumière, qui s’endiguait, creusait nuitamment de larges fosses
aux ombres qui venaient.
Soudain, le mouvement dans l’argile,
la matière transmuée qui s’oppose à l’ardente quête du sourcier.
Et l’eau coulait, elle s’épandait, c’est toute la terre qui s’en allait …
La main pressentant la douleur cherchait, là où le sang affleure,
cette forme indécise qui est l’offrande d’un dieu muet.
Ô langage des hommes qui ont tout oublié du sens sacré des mots !
Langage, jusqu’où forer ?
Un mot exalte ou pacifie, jamais lassé d’être roulé,
d’être brassé par la phrase qui le charrie.
(Phrase sans césure comme la houle insécable.)
N’être plus le décret, ne plus être la motion,
mais la tige assouplie dans la main du vannier.
Ne plus être l’orage mais le feu qu’on transmet,
n’être plus que l’épi à terme des moissons.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
(Extraits de « Cantate pour un monde défunt » - Librairie Bleue/Les Cahiers bleus) Prix Renaissance de poésie
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