Ils étaient hommes de labeur, sur l’oratoire des eaux
pour la première aurore.
Quelle fuite, à peine feinte, a fiché sa foëne en leur cœur !
Quelles ramures jointes par l’écho ont orné la voûte de feuilles de silène !
L’immensité ouvre ses livres et ses grimoires et c’est le néant qui dégorge,
mieux qu’une gargouille, son trop plein de savoir.
Ah ! que d’archives empoussièrent leurs cénacles,
que de dossiers encombrent leurs prétoires ! Assez ! Assez !
Que cette aire soit libre et ouverte sur la tranche
en l’honneur … d’une race à naître.
Poème à leurs lèvres profanes né de la phrase et de la vague,
dans le même ressac. Et l’élite des mots pour le métissage des eaux !
Partout la clameur s’amplifie
et c’est l’élocution et le récitatif pour une grandeur à venir.
Hommes de fier lignage sous l’apostrophe divine,
la face offerte aux alizés et à l’aquilon,
l’acuité de leurs regards anticipe les échéances prochaines.
J’ai trop de charges à leur soumettre
pour que cette rigueur ne soit pas lourde à leurs reins.
J’entends leurs souffles de garde-freins,
j’entends les cantilènes de leurs femmes,
mais à la vigilance de leurs rives,
je préfère la faction feuillée des agaves.
La mer en ses euphémismes,
initiatrice et belle diseuse d’énigmes,
voie d’un seul jet jusqu’aux lisières de l’invisible.
Les hommes regardent approcher la mort,
non en voleuse de jours mais en donneuse de promesses
sur cet océan blanchi par le soleil,
sur cette mer équarrie aux quatre points du globe,
la mort ainsi qu’un porche gothique ouvert sur l’élégie marine.
Les larmes des enfants ameutent les colonies d’oiseaux,
les pluviers, les sternes, les puffins, les labbes prédateurs,
ceux qui, avec les vents, tracent dans les plis hercyniens de leurs ailes,
les pistes des grandes migrations.
A la métrique de la stance, l’allégeance des hautes voiles en mer,
au pays lointain des ibis et des caïmans,
des crabes arboricoles et des cycas nains.
Entendez-vous les fleuves souterrains
conduire la strophe sémantique,
entendez-vous la voix du vieux monde qui se déplace
et psalmodie la prière de l’ermite ?
Sur le forum des eaux se perpétue l’éloquence des tribuns,
tandis qu’en son hypogée de sel, en ses prairies de diatomées
veille le poème informel.
La terre en croix vogue à la dérive.
Ah ! que le temps sur elle n'ait plus jamais pouvoir !
Venu des profondeurs aquatiques, un étrange froissement d'épave
et une lame aiguisée par l'écume qui hausse le débat !
Le lamparo du poète répond aux présomptions du jour.
L'espèrance est sur ses cils comme une fleur ombellée.
Des jetées luminescentes se dessinent sur le ciel.
N'est-ce pas l'Esprit qui repose,
n'est-ce pas la dynastie des hommes qui navigue
au plus près du mystère ?
Les vents ont cessé leurs outrances.
Un souffle, à peine, fait naître de légers plis à leurs fronts.
L'eau tiède des moussons étanche leur soif
et l'ascèse des flots mène à son terme leur destin d'apatrides.
Au passage des hémisphères s'est révélé l'autre face du monde,
le revers du réel.
L'attente dresse sa flamme arborescente.
Là se joignent les pôles en leur nombre radiant.
Là, dans le bleu aigu des glaciers,
s'abolit toute chose consommable.
Le poète, à la proue, porteur du Verbe
et le peuple debout dans les bras de la croix
qui scrute les faveurs d'une constellation.
Est-ce le songe de l'homme qui s'achève
et tourne ainsi sur son socle comme rose des vents ?
Exorcisme du thème qui fut votre gréement
et d'aventure vos coeurs d'affamés pour des jeûnes mystiques.
C'est là que l'eau insubmersible, cataracte à face de Gordone,
établit ses frontières.
Et ce nectar encore à vos lèvres
et votre défaite comme un sanglot de mer !
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
(Extaits de "Cantate pour un monde défunt " - Librairie Bleue - Prix Renaissance 1993 )
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