Dans l’univers de l’économie sociale et solidaire où je me suis investi pendant de nombreuses années, on promeut et développe le concept d’économie circulaire. En lisant ce texte de Chloé Dusigne, j’ai eu l’impression qu’elle cherchait à inventer une forme de littérature circulaire où l’auteur transmet son texte à celui qui le rend accessible au public par des textes édités sous forme de livres ou déclamés sur des scènes de théâtre. Le public peut alors se nourrir de ces livres et de ces spectacles pour créer de nouveaux textes qui, à leur tour, sont invités à emprunter le même parcours. La boucle est ainsi bouclée, un livre ou un spectacle peut toujours faire naître un autre livre ou un autre spectacle.
Dans ce texte, Maurice, vieux libraire solitaire, gère une librairie artisanale traditionnelle comme il n’en existe plus que très peu. Il vend les livres qu’il aime, ceux qu’il voudrait que ses clients lisent. Un jour Maurice reçoit un carton de dossiers qu’il pense écrits par son ami parti en Afghanistan défendre un peuple et une culture qu’il aime et dont il traduit l’une des langues, le farsi. Il transcrit vite ses textes pour qu’ils soient accessibles et les propose à un metteur en scène qui veut bien en faire une pièce de théâtre mais à une condition : que l’auteur, qui a quitté la troupe, revienne pour jouer la pièce. Maurice est chargé de convaincre cet acteur de réintégrer la troupe alors qu’il joue un texte traduit du farsi dans un autre théâtre. C’est au cours des entretiens successifs qu’il a avec cet acteur que Maurice découvre le véritable nom de l’auteur des cahiers qu’il a reçus. La boucle semble ainsi se refermer : la pièce afghane a donné envie à un auteur d’écrire des cahiers qu’un mystérieux donateur a déposés à la librairie de Maurice qui veut les faire éditer dans ce même théâtre, dans une version forte et originale. J’ai trouvé que le travail d’écriture était lui aussi très intéressant dans ce texte elliptique où Chloé Dusigne donne la parole à plusieurs narrateurs apportant chacun un éclairage sur l’intrigue, utilise plusieurs procédés littéraires en insérant dans le corps du roman des passages pour décrire des lieux, des scènes, des personnages ou des objets et même des dialogues afin d'éclairer certains aspects de l’intrigue. A mon sens, ce texte est un véritable exercice de style littéraire qui évoque le circuit du livre, la mise en scène des beaux textes, les événements les plus marquants de notre époque et la grande faiblesse d’une humanité incapable de se gérer autrement que par la force et la violence.
On ressent bien, dans cet ouvrage, l’amour de l’écrivaine pour les mots, les textes, les livres, l’écriture, la lecture… « On ne brade pas un livre. Cela ne se fait pas. On le caresse, on le respire, on le tord, on le plie, on le dévore, mais on ne le brade pas ». On comprend bien que le titre est un hommage destiné à tous ceux qui, au long de la chaîne du livre, le font vivre, respirer, circuler, exister pour enchanter, instruire, divertir… les lecteurs ! Tous les inconnus dont on ne lit jamais le nom sur les pages de début ou de fin, toute la pièce mise en scène par la même réalisatrice est jouée, s’il le veut bien, par le même acteur. Cette intrigue circulaire n’est peut-être pas le principal intérêt de l'ouvrage, même s’il en est un argument anonyme qui le fait passer d’une étape à l’autre, parfois même jusqu’à ce qu’il revienne au départ de son périple pour renaître sous une autre forme…
Denis BILLAMBOZ
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