O paroles humaines pétries de conventions
et abimées toutes d’adjectifs sulfureux,
ô odieux stratèges de la communication,
paroles véhiculées par des suppléments de noms
et des compléments de verbes pompeux et abstraits,
je vous ai couchées, belles phrases
dorées et enluminées de ma confession
si fiévreusement recueillie
dans la coupe de ma pensée,
je vous ai couchées sur la feuille blanche de l’écritoire
où je me découvre moi-même si corruptible
dans l’élaboration de mes concepts,
si pauvrement démunie
devant le jeu de construction de mon mental
que je tente vainement d’élever à hauteur d’intelligence.
Mon expression écrite et orale
m’explique mal
et mon esprit s’abîme de doute
lorsqu’il a charge d’honorer et de traduire
l’incommunicable.
Ô paroles humaines, je vous accuse
d’avoir blessé plus d’un bavard,
d’avoir déchiré plus d’un cœur
soucieux d’entendre vos diatribes
hautes en couleurs
et vos fumeuses harangues …
Terrible châtiment que ces océans d’adverbes,
ces raz-de-marée de pronoms,
ces laves d’épithètes !
A quel niveau de la polémique
doit se placer la censure,
à quel degré de l’échelle humaine
se situer l’accord souverain des pensées,
à quelle profondeur insondable se recueillir
la prière sublime et la sainte oraison ?
Verbe incandescent au saint des saints,
plus de discours, plus de réquisitoire,
plus de pamphlet, plus d’épitaphe,
mots hors d’usage vous m’offensez
de corrompre, d’avilir, de trahir,
de mutiler la parole unique,
parole gravée, taillée dans le granit des calvaires,
hors d’atteinte du temps,
dolmen concentré en veines de silence,
vous exprimez l’inexprimable,
défiez le simple entendement,
liez et déliez d’un seul tenant l’irréversible.
Parole d’amour,
unique en votre croisement,
superbe d’exigence et de transcendance,
vous maintenez seule dans votre unité,
admirable achèvement,
vitrail de transparence,
vous maintenez seule la croisée des transepts
et l’incorporelle alliance.
Il nous fallait gravir cette cluse
où l’eau coule radieuse
jusqu’aux plus hautes instances
de la terre sur le ciel,
là où battait l’artère fémorale
et le sang noir jaillissait, cela se faisait dans l’éclat,
sourcemment des entrailles profondes,
boues, laves incandescentes,
grand cri de la terre sur le monde,
cri de désespérance de par le monde,
centre, point de jonction
où se recueille l’univers,
écoutez, entendez
ce plain-chant de l’oracle boréal.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
Extraits du poème « INCANDESCENCE
Editions Saint-Germain-Des-Pres (1983)
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