Jeanne Lanvin naît dans un milieu pauvre, si bien que son école sera sa maison paternelle et que ses parents ne lui demanderont rien d’autre que de participer aux tâches ordinaires. A l’âge de 13 ans, ils l’envoient néanmoins travailler comme apprentie chez madame Bonnie qui possède un atelier de couture assez modeste, mais introduit Jeanne dans le monde de l’élégance et de la frivolité. Ses premières expériences vont la conduire, au bout de 5 années, à s’établir à son compte, d'abord pour se consacrer à une carrière dans les chapeaux, puis elle ajoutera la haute couture et, plus tard, les parfums.
En février 1896, elle épouse Emile di Pietro, né à Saint-Pétersbourg et âgé de 24 ans, qui lui donnera son seul enfant, une fille qu’elle nommera Marguerite et qui occupera une place exceptionnelle d’amour dans son existence. Quant à l’alliance maritale, elle sera vite détruite. Ainsi, Jeanne est-elle désormais la mère d’une fille ravissante et une créatrice d’une incontestable envergure. Son travail de créativité est intérieur et impénétrable pour ses proches. Jeanne participera beaucoup aux changements et constantes évolutions de la mode, ce sera le cas entre les deux guerres lorsque les ourlets remontent et que les tailles se resserrent.
En 1917, sa fille envisage de se marier avec un ami, étudiant en médecine, du nom de René Jacquemaire, petit-fils de Clémenceau, alors qu’il vient de recevoir la Croix de guerre pour son travail comme infirmier militaire. Le jeune couple s’installera boulevard Lannes et Marguerite va ouvrir un salon où elle se consacrera à la musique, étant elle-même une excellente pianiste qui fera l’admiration de musiciens tel que Poulenc. Mais le couple ne dure pas et la jeune femme divorcera en 1921 tant l’époque de leur enfance partagée a plombé leur union. Pour eux la perspective de la vie s’ouvre vers l’arrière. Nourrie par le passé, leur union n’a pas su s’adapter au présent. Mais la beauté de Marguerite ne la laisse pas seule longtemps, elle plaît, elle séduit, et le comte Jean de Polignac sera l’auteur de sa rupture avec son passé et l’incitera même à abandonner son prénom de Marguerite pour celui de Marie-Blanche, ainsi le comte invente-t-il sa femme ... Quant à Jeanne Lanvin, elle participe à toutes les manifestations internationales importantes pour l’industrie et le commerce de l’élégance, dont celle de San Francisco en 1915 et celle franco-belge de Bruxelles en 1922. Entre 1918 et 1939, 16.000 modèles sont présentés et répartis en collections annuelles en août et février. Le chiffre défie toute comparaison et, désormais à son zénith, la maison Lanvin emploie plus de mille ouvrières dans vingt-cinq ateliers et comprend de nombreuses succursales dont celles de Deauville, Biarritz et Cannes.
Aimant le théâtre, Jeanne Lanvin réalisera de nombreux costumes, casques et coiffures pour les pièces que composent ou interprètent ses auteurs et acteurs préférés. En 39/45, la maison Lanvin traversera la tourmente sans trop de dommages. Le style Lanvin a assuré une permanence à cette maison tenue par une femme expérimentée et inspirée. En 1946, Jeanne, usée, est en fin de vie et meurt le 6 juillet. Sa fille envisage, non sans panache, de reprendre elle-même la direction mais s’éteint à son tour le 14 février 1958. Veuve de son époux Jean de Polignac depuis octobre 1943, elle s’est mise en veilleuse et mène une existence discrète et mélancolique. « De cette histoire – souligne Jérôme Picon – une mère exigeante, une fille trop aimée, une griffe splendide, la plus secrète est celle qui a engendré et créé les deux autres. »
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
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