Paris rayonnait en cet après-midi d’automne. Une clarté, où se mêlaient quelques touches de rose et de violet, pailletait le ciel d’un fugace éclat. Ce qu’Anne-Clémence apercevait, au fil de sa promenade, qui la menait de la Sorbonne aux quais de la Seine, après qu’elle soit passée par Notre-Dame, le Pont-Neuf, le palais de Justice, était des sites, des points de vue qui avaient su concilier les tons artistement dissous et satinés de l’aquarelle. Paris avait son beau visage. La quiétude émanait des monuments sur lesquels le temps ne pesait plus. Transfigurée par l’éclat de ce nuancier, la capitale lui apparaissait comme une symphonie de volumes d’une inégalable beauté. Il faisait bon musarder en s’arrêtant, ici et là, à feuilleter les livres qu’offraient à la curiosité des passants les étals des bouquinistes, à scruter un lointain qui d’ébauche devient forme, à observer un pan de mur à demi enfoui sous le lierre, à surprendre l’onde ardoisée, la déclivité d’un toit ou la luisance d’un pavement. Anne-Clémence éprouvait un sentiment intense de liberté. Elle se sentait pareille à ces péniches qui s’attardent sur l’eau, en suivent l’écoulement et parcourent la ville dont les édifices les accompagneront un moment, tant la capitale est accouplée à son fleuve au point que son architecture s’inscrit dans ses méandres. La jeune fille s’était assise dans le square du Vert Galant qui occupe l’étrave de cette île-vaisseau engravée dans son port. Sur la gauche, elle voyait l’Institut et sa coupole ; sur la droite, l’imposant édifice du Louvre. Quant aux ponts, ils ressemblaient à des haussières qui maintenaient le vaisseau à égale distance des rives.
L’étudiante découvrait Paris avec ravissement, en appréciant l’atmosphère, la diversité des quartiers dont l’aspect bon enfant de certains lui rappelaient sa province, dont d’autres la frappaient par leur étrangeté et ce que le passé y a accumulé et y cache derrière des porches moulurés ou à l’abri de ruelles tortueuses. Enfin, elle se laissait séduire par les parcs, les ambassades, les ministères, les avenues bordées par quatre rangées d’arbres, les places aussi vastes que des arènes et autour desquelles s’ouvrent les grandes artères qui vont déverser au loin leur flot sonore. Ici, la vie est autre. Le passage du temps a déposé ses empreintes et inscrit un cheminement qui trahit une conquête, une usure, un défi. Si bien que l’histoire se lit à l’œil nu et que jamais, peut-être, plus fugitives n’y sont apparues les choses. Toutes y reflètent l’homme, ainsi que les eaux réfléchissent son œuvre. Anne-Clémence aimait ce que cette ville lui en contait. Elle aimait le langage de la pierre taillée par ses soins, ce qu’elle lui a coûté de labeur, ce qu’il a tenté d’édifier pour que la mort recule un peu devant lui. Mais ce qui la touchait le plus étaient les palpitations sourdes, les remuements confus, cette circulation de vie qui traverse les lieux, leur impulsant une infatigable vitalité.
Le jour commençait de décroître et il semblait que les pierres aient acquis une patine à baigner dans cette lumière pré-crépusculaire. Anne-Clémence avait repris sa marche le long des quais, en direction de la Concorde. L’eau coulait paisible, le cœur de la ville battait avec calme. Elle venait de s’engager sur le pont des Arts et s’apprêtait à traverser le jardin des Tuileries. Les bassins, les arbres s’y agençaient avec ordre, tandis que la perspective offerte par les Champs-Elysées semblait se dissoudre dans une douce somnolence. La jeune fille avait accéléré le pas. Elle retrouvait le rythme, qui était le sien, lorsqu’elle parcourait la plaine. La ville commençait de s’illuminer et vous donnait le sentiment d’être en proie à un mirage, au point que la jeune fille se sentait comme immergée dans une terrestre voie lactée. N’était-ce pas l’heure entre chien et loup ? A la campagne elle se charge d’angoisse ; ici elle triomphait comme un feu en attente qui couve et qui court, allumé en même temps par d’innombrables brandons.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE ( extraits de mon roman " Le jardin d'incertitude" )
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