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24 mars 2021 3 24 /03 /mars /2021 10:42

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Pour nombre d'entre nous, Boris Pasternak n'est autre que l'auteur d'un roman " Le docteur Jivago " qui inspira au cinéaste David Lean  un film qui, pour plusieurs raisons, reste un grand moment de cinéma : tout d'abord parce qu'il brosse sur la révolution russe une fresque impressionnante, ensuite pour l'admirable interprétation des deux principaux acteurs Omar Sharif et Julie Chritie, enfin pour la beauté glacée des images qui nous rendent fidèlement l'atmosphère du roman. Même s'il est bien vu d'une certaine intelligentsia de moquer l'oeuvre de David Lean et  "le sirop flonflonnant de Maurice Jarre" - ce long métrage a pris rang parmi les oeuvres qui honorent le cinéma et que je revois, personnellement, avec un égal plaisir, simplement parce que les sentiments exprimés  sont justes et souvent poignants et que le réalisateur, sans éviter certaines facilités et simplifications, n'en a pas moins filmé les scènes d'une caméra élégante et sensible. Mais le principal mérite de ces superproductions est de nous donner l'envie d'en savoir davantage sur les romans et les écrivains qui les ont rédigés.


Qui est Boris Pasternak ? Un écrivain russe qui fut, comme la plupart des auteurs de son temps, muselé par le pouvoir bolchevique :

Leurs prophètes se transforment en vent
En cendres leurs poètes
Ils n'auront plus la lumière du jour

Plus d'eau et plus jamais d'été.



Boris était né à Moscou le 10 février 1890 dans une famille d'artistes aisés. Après des études classiques, il se passionna pour la musique, étudia la composition musicale qu'il délaissera au bout de six ans pour s'inscrire à la faculté d'histoire et de philologie. Il s'orientera ensuite vers la philosophie, passera un semestre à l'Université de Marbourg, voyagea en Suisse et en Italie et terminera ses études à Moscou. Bien que plus ou moins marqué par les mouvements littéraires en vogue, les écrits de Pasternak prouvent, en même temps que son effort pour s'intégrer à son époque, son refus d'accepter les normes imposées. Il préconise " une pensée nouvelle plutôt qu'un pur langage". C'est à sa formation musicale et philosophique qu'il devait en partie la facture originale de sa poésie, souvent déroutante et rebelle à la traduction. Mais la double emprise de la musique et de la philosophie n'expliquerait pas tout sans l'apport de sa foi, une foi absolue, totale, confiante, qui donne à l'ensemble de ses textes un ton rare, parfois inspiré.



C'est dans les années 30 que Pasternak découvre avec horreur la violence exercée sur les paysans pour les amener de force dans les kolkhoses, qu'il réalise les traitements infligés aux  artistes, dont la plupart se voient relégués sous les miradors ou proscrits et privés de leur nationalité. Cinq poètes majeurs meurent à la fleur de l'âge : Nicolas Goumilev, époux de la grande Anna Akmatova, est fusillé ; Alexandre Blok meurt d'une sorte de consomption : " Le poète meurt parce qu'il ne peut plus respirer. La vie a perdu son sens " - a-t-il écrit ; Serge Essenine met fin à ses jours comme le feront Maïakoski et Marina Tsvétaïeva. Une nuit polaire s'est abattue sur la pensée russe.

 


Pasternak résiste, mais ce qu'il a vu de ses propres yeux dans la région de l'Oural le remplit de désespoir. Malade, il se cantonne désormais dans sa datcha de Peredelkino, vivant, grâce à sa connaissance approfondie des langues étrangères, de la traduction de grands auteurs comme Rilke, Verlaine, Goethe et presque tout Shakespeare. En 1946, après sa rencontre avec Olga Ivinskaïa - avec laquelle, bien que marié, il vivra une intense passion - il commence à rédiger "Le docteur Jivago" qui raconte la vie d'une famille et la passion amoureuse d'un médecin durant les événements tragiques de la révolution russe et dont le but - disait-il -  est de rendre son peuple à son histoire et son âme à la société à laquelle elle appartient.

 

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En 1956, il adresse son manuscrit à 3 revues soviétiques, en même temps qu'il le fait passer en Italie, où l'éditeur communiste Feltrinelli accepte de le publier. Peu après, le scandale soulevé par la parution du chef-d'oeuvre éclate et il doit refuser le prix Nobel de littérature que lui ont attribué les jurés de Stockholm. Au succès triomphal du romancier dans le monde libre, Nikita Khrouchtchev et son équipe opposent une condamnation de l'oeuvre et l'expulsion de l'auteur de l'Union des Ecrivains. Traité de"mauvaise herbe littéraire", de "criminel", férocement persécuté par ses confrères complices du régime, l'écrivain malade, épié, surveillé, va vivre un calvaire jusqu'à sa mort survenue à la suite d'un cancer le 31 mai 1960. Docteur Jivago ne sera autorisé en URSS qu'en 1988. Boris aura été l'un des premiers à déceler la distance grandissante qui existait entre l'idéal révolutionnaire et la pratique communiste. Mais alors que ses proches seront arrêtés ou fusillés comme Boutcharine, il passe miraculeusement à travers les mailles du filet pendant presque 40 ans. En 1936, il sera visité par deux écrivains français dont la sensibilité était très pro-soviétique : Gide et Malraux. On avancera que Staline n'était pas insensible à la beauté de ses poèmes. 

 

                                                Quelle vilenie ai-je faite ?
                                               Suis-je un assassin - un malfaiteur ?
                                             J'ai seulement fait pleurer le monde entier
                                            Sur la beauté de ma terre.

 

Mais tel que me voilà, aux portes du tombeau,
Je crois qu'un jour viendra
Où les forces du mal et de la lâcheté
devront céder à la bonté...
                                                         

                                           ( Extrait de Samizdat - Janvier / Mars 1959 )


Pasternak a entretenu pendant plusieurs années une correspondance suivie et triangulaire avec Rainer Maria Rilke et Marina Tsvétaïeva, tous deux également poètes. Rainer vivait alors en Suisse et Marina était exilée en France. Elle reviendra en Russie en 1939 pour s'y suicider peu de temps après en 1941 épouvantée et meurtrie pas les horreurs du stalinisme. Cet échange épistolaire publié par Gallimard dans la collection "L'imaginaire" surprend par son intensité tragique. Alors que les deux poètes russes admiraient dans le grand poète autrichien l'incarnation de la vie spirituelle et de la poésie dans l'universel européen, Rilke, quant à lui, revivait à travers eux le souvenir qu'il avait conservé de ses voyages en Russie à la charnière du XIXe et du XXe siècle, fascination pour les richesses multiples et artistiques de ce pays immense qu'avait su entretenir son amie Lou Andréa-Salomé. Aujourd'hui l'oeuvre poétique et romanesque de Pasternak est traduite et lue dans le monde entier et  Docteur Jivago a pris place parmi les monuments de la littérature russe, donnant raison à cette phrase terrible de Meery Devergnas : " Au pays de la mort, la terre sera féconde".

 

Je suis comme un fauve dans un wagon,
Ailleurs, il y a les gens, l'espace, la clarté,
Et derrière moi, le bruit de la poursuite
Sans espoir de fuite.

  

 

Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE

 

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Olga Ivinskaïa qui inspira le personnage de Lara

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Boris Pasternak et Olga Ivinskaïa

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commentaires

A
Je suis la femme de Pascal qui a été durant de longues années un fidèle lecteur de vos ouvrages et de votre blog. Mon mari est mort il y a six mois d'un cancer. Il n'avait pas cinquante ans. Etant quelques jours chez une amie, je profite d'avoir accès à internet pour vous déposer ce message car il aurait aimé que je le fasse. Après la mort de ma mère, la mort de mon mari est une épreuve très douloureuse. Il a pu assister au mariage de notre fils aîné. Heureusement mes fils m'entourent beaucoup. Quant à vous, je souhaite que vous continuiez longtemps à écrire, votre poésie est si belle, votre style si fluide.
Répondre
B
Bonjour Agnès,<br /> <br /> Pascal et moi avions bien sympathisé, je suis très triste d'apprendre son décès si brutal. Il me laissait souvent des petits mots sur le blog d'Armelle, m'indiquant parfois qu'il vous signalerait certaines lectures que je présentais ou d'autres fois que vous aviez lu vous aussi un livre que j'avais lu moi-même. Je vous présente mes condoléances les plus sincères et les plus chaleureuses et vous transets toute l'amitié que nous avons partagée.
A
Votre message me bouleverse. En effet, votre mari était un fidèle depuis une quinzaine d'années car il avait commencé à venir sur mon premier blog à l'époque d'Allocine. Puis, il m'avait suivie sur Overblog et venait régulièrement déposer des commentaires sous mes articles et ceux de Denis Billamboz. C'était quelqu'un de délicat, d'amical, de cultivé, un lecteur bienveillant et compétent . Je m'inquiétais depuis un moment de ne plus le lire et je craignais qu'il ne soit malade. La nouvelle est terrible et je vous prie d'accepter mes plus sincères condoléances. J'ai prévenu Denis qui est aussi affecté que moi. Je vous assure de ma plus sincère sympathie.
M
Bonjour Armelle!!<br /> <br /> Vous nous livrez un portrait littéraire d'un auteur passionnant. Je connais l'oeuvre tout comme l'adaptation cinématographique de réputation, malheureusement je ne les ai pas encore découverts. Je<br /> viens d'achever la lecture de trois maîtres de Stefan Zweig qui retraçait la vie et les caractéristiques littéraires de Dickens, Balzac mais aussi Dostoïevski. Ce dernier bien qu'il ne soit pas<br /> contemporain de Pasternak (il a vécu au XIXème)éprouvait lui aussi une foi presque aveugle en la Russie. D'après ce que j'ai lu il avait canalisé ses doutes et sa peur de la mort dans une<br /> admiration sans bornes de la pensée russe. Je suis toujours en train de lire l'Idiot (à peine à la moitié du roman) mais je lis en parallèle plusieurs études le concernant, ainsi qu'une réalisée<br /> par Vladimir Nabokov nettement moins subtile que S.Zweig.<br /> <br /> Les auteurs russes me plaisent beaucoup en ce moment, j'aime leur passion.<br /> <br /> A très bientôt!
Répondre
P
Armelle je suis venue lire ton article sur Boris PASTERNAK. La chanson de Lara, je la connais mais je crois que je n'ai jamais vu en entier LE DOCTEUR JIVAGO
Répondre
A
Bonjour Armelle, encore un plaisir de découvrir ce bel article sur Boris Pasternak. Un billet qui me ravit en tous points. Tout d'abord, comme vous, je fais parti de ceux qui ne renient pas le film<br /> de David Lean. Je l'avais revu avant de faire l'article pour mon blog. Avec autant de plaisir mais peut être aussi un intérêt supplémentaire car une partie du tournage, a été réalisée tout près<br /> d'ici. Au cours des recherches pour alimenter ma page j'avais relevé, une belle phrase que l'écrivain avait dédiée à l'amour de sa vie. "La vie a été belle, très belle, mais il faut aussi mourir un<br /> jour. J'ai aimé la vie et toi ". Que rajouter ? Juste merci pour vos articles qui restent précieux pour tout le bien qu'ils procurent. Très beau week-end Armelle.
Répondre

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Ainsi nous conduisent-ils vers l'autre, l'absent, l'étranger, l'inconnu, l'exilé.

Parce qu'ils disent qui il est, comment est le monde, pourquoi est la vie, qu'ils gomment les distances, comblent les vides, dévoilent les énigmes, suggèrent le mystère, ils sont nos courroies de transmission, nos outils journaliers.

 

La vie doit être vécue en regardant vers l'avenir, mais elle ne peut être comprise qu'en se tournant vers le passé.

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