C’est toujours un moment de grâce pure de lire, ou relire, Kawabata et plus encore quand le maître évoque cette ville qui lui tient tant à cœur : Kyôto avec ses cerisiers et ses jeunes filles graciles. Je n’ai pas pu résister au plaisir de partager ce moment de grâce avec vous.
Kyôto
Yasunari Kawabata (1899 – 1972)
« Allons venez avec nous ! Ne serait-ce que pour regarder de jolies jeunes filles… »pour Kawabata Kyôto, ce sont d’abord des jeunes filles en fleur et des cerisiers en fleurs mais aussi des parcs magnifiques, des forêts admirables, des temples innombrables et des fêtes qui agrémentent la ville tout au long de l’année.
Dans cette merveilleuse ville millénaire, Chieko, jeune fille unique adoptée par un couple de commerçants en gros de tissus pour kimonos, est convaincue qu’elle est une enfant trouvée mais ses parents lui affirment qu’elle n’a pas à craindre cette infamie, elle n’a pas été trouvée dans la rue mais ravie à ses parents dans un parc. La jeune fille finit cependant par connaître la vérité quand elle rencontre celle qui est sa sœur jumelle, celle qui lui raconte ses origines, celle qu’elle va essayer d’inclure dans sa vie… L’occasion pour l’auteur de traiter le thème du double : filles jumelles, fleurs doubles des cerisiers rouges, paupières doubles de la fillette rencontrées par le père dans une maison de thé…
Mais la véritable héroïne de ce roman n’est pas la jeune fille mais Kyôto, la ville si chère à Kawabata qu’il ne se lasse pas de contempler, de décrire, de raconter, du cœur de la vieille cité jusqu’aux sommets des cinq collines couvertes de forêts merveilleuses et de multiples temples. Cette ville qu’il appelle encore « La Capitale » qu’elle fut avant que Tokyo le devienne et qui incarne le Japon éternel comme cette luxuriante végétation qui meurt et renait chaque année. Et pourtant cette éternité bute sous le poids de la roue du temps : les fleurs fanent, les filles perdent leur éclat, les parents vieillissent… et Kawabata, voit, lui, avec terreur sa vieillesse, porteuse de déchéance, arriver inéluctablement. Même le Japon éternel vivant encore à Kyôto est menacé par les assauts de la modernité : l’artisanat de haute qualité ploie devant l’industrie productiviste, l’art traditionnel se perd, la création disparait. Nostalgie du Japon traditionnel s’effaçant avec sa civilisation et ses valeurs ancestrales pour laisser la place à une société mercantile et puérile. Une page se tourne, le Japon change, la tradition se meurt, l’ère de Kawabata s’achève, on sent dans la lecture de ce texte comme une résignation, comme si le maître avait déjà pris la décision d’en finir vite avec cette vie. « L’appel du passé. La solitude du présent ».
Un texte d’une grande sensibilité, plein de délicatesse et d’élégance, un hommage à sa ville, un hommage au Japon éternel, un hommage aux jeunes filles, même aux très jeunes filles, qu’il évoque avec beaucoup de tendresse et une sensualité qui confine à l’érotisme quand il décrit la rencontre entre les deux jumelles, «… la chaleur du corps de Naeko qui la couvrait des pieds à la tête se transmettait à Chieko, la pénétrait profondément. C’était une douce intimité, que ne peuvent rendre les mots ».Tout Kawabata transpire dans ce court roman.
Denis BILLAMBOZ
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