Un livre un peu décalé comme "Le Dilettante" en édite régulièrement, un livre en forme de satire pour dénoncer la déliquescence de notre société et les tentatives révolutionnaires pour la refonder mais peut-être aussi un cri d’alarme pour attirer notre attention sur ce qui pourrait nous arriver dans les années à venir. Un texte un peu fantastique, surréaliste mais follement sérieux.
L’automne des incompris
Hugo Ehrhard (1977 - ….)
Dans cette lecture, je me suis longtemps interrogé, je demandais où l’auteur cherchait à m’emmener en condamnant à mort son héros dès le premier chapitre, j’ai trouvé cette manœuvre rudement téméraire. J’ai ensuite un peu plané, avec celui-ci, dans son passé, avant qu’on se propose de le passer par les armes, quand il volait sur diverses compagnies aériennes pour évaluer la qualité de leurs prestations. Et c’est là que je suis entré définitivement dans le sujet, lorsque ce héros un peu picaresque tombe amoureux d’une bombe hollandaise qui possède tout ce qu’il faut, là où il faut, pour faire craquer le plus austère des anachorètes. Evidemment il ne résiste pas, l’accompagne dans les douches d’un aéroport et promet de faire son possible pour la croiser sur un autre vol ou dans un autre aéroport.
Il est raide dingue amoureux de cette fille et persiste à croire qu’elle sera sienne malgré les avertissements de ses amis et de son ex- femme. Il croise encore la beauté à Rome et à Dubaï où elle l’invite à une soirée invraisemblable à laquelle participent tous ceux qui montrent régulièrement le bout de leur trombine à travers le petit écran : politiciens, chefs de grandes entreprises, chefs religieux, comédiens, chanteurs, sportifs fortunés, … un melting- pot extravagant de tout ce qui constitue le pouvoir et la fortune sur notre planète. Et, après ça, elle le plaque à tout jamais car elle a une mission grandissime à accomplir dans un pays totalement inconnu, elle ne peut pas en parler avec ce médiocre dont elle entend se débarrasser.
Mais un jour, le cave entend parler à la radio de ce fameux pays qu’elle avait brièvement évoqué un soir sur l’oreiller et qui défraie brusquement la chronique. Ce petit bout de territoire, niché aux confins des steppes asiatiques et des massifs montagneux du Kirghizistan, vient de proclamer son indépendance et cherche à attirer ceux qui peuvent l’aider à faire progresser l’humanisme et à éliminer les autres pour constituer un monde nouveau car l’humanité actuelle est en pleine décadence.
« Un monde
Qui traite le léger avec sérieux
Et le sérieux avec légèreté
Symptôme ultime de la décadence. »
Ces dirigeants qui m’ont fait penser à un satrape turkmène, particulièrement autoritaire, qui exerçait il y a peu encore un pouvoir surréaliste et ubuesque dans les steppes d’Asie centrale, ont constaté que les populations n’ont plus que le choix entre une société déliquescente nageant entre frivolité et futilité et une rébellion stérile souvent génératrice de la pire des barbaries. « La majorité est donc écartelée entre deux illusions : celle de son accession aux strates de l’aisance et celle de sa possible rébellion. La minorité entretient ces illusions par le biais de tous les médias à sa disposition… » Pour pallier cette alternative fatale, les membres de « L’automne des incompris », le nom de ce mouvement humaniste refondateur du monde, ont confié pour mission à des consultants le soin d’inventer un nouvel ordre social où les êtres efficaces et obéissants se mettraient au service du monde des riches. « Le chômage et le fanatisme religieux grimpaient, Wall Street se gavait. La calotte glaciaire fondait. Tom Cruise sortait un nouveau thriller. C’était fini. » Le moment était opportun pour changer le monde.
A travers cette satire aux allures pamphlétaires, Hugo Ehrhard attire l’attention des lecteurs sur l’état déplorable de notre civilisation et sur les dangers que comportent les solutions offrant une sortie possible de cet état de décadence. Au XXe siècle, les révolutions de tout bord ont donné le pouvoir à des dictatures sanguinaires laissant, après leur effondrement, une large place à une société de marchands que l’auteur met en scène en exacerbant leur pragmatisme et leur cynisme.
Un petit livre facile à lire mais qui en dit long sur le monde dans lequel nous vivons et sur ce qui pourrait bien nous attendre dans les décennies à venir : l’application aux Etats de ce qui existe déjà dans certaines entreprises où seuls les êtres dociles et productifs ont leur place, les autres étant éjectés.
Denis BILLAMBOZ
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