En septembre 2013, je vous ai présenté le livre d’Oriane Jeancourt-Galignani, « Mourir est un art, comme tout le reste », qui évoque d’une manière romancée le suicide de Sylvia Plath, la grande poétesse américaine. Aujourd’hui, je vous propose « La cloche de détresse », le livre de Sylvia Plath elle-même dans lequel elle raconte la déprime d’une fille qui est en grande partie la sienne même si elle a rajouté certaines choses à son histoire. Deux livres qui pourraient se joindre bout à bout pour constituer une biographie très crédible de Sylvia Plath.
La cloche de détresse
Sylvia Plath (1932 – 1963)
« C’était un été étrange et étouffant. L’été où ils ont électrocuté les Rosenberg », Esther Greenwood, l’auteure elle-même, une jeune fille de dix-neuf ans, débarque à New-York après avoir gagné, avec quelques autres lauréates, un concours de poésie organisé par un magazine de mode. Elle découvre alors la grande ville, les idoles, les élites, les étudiants des écoles prestigieuses, la vie facile, les soirées mondaines, les frivolités et entrevoit même la possibilité de faire carrière dans une compagnie en vogue. Parallèlement, elle se souvient de son enfance qui a basculé quand son père est décédé, de son adolescence, de ses premiers amours, de ses premières désillusions et de ses premiers échecs.
Cette fille, qui semble comme l’auteure avoir toutes les capacités et tout le talent nécessaire pour entrevoir une belle carrière et espérer un beau mariage, sombre brusquement dans la déprime et commence un long chemin de croix d’asile psychiatrique en maison de soins plus sordides les uns que les autres. L’idée de la mort l’obsède, elle se sent inutile - « Je me sentais comme un cheval de course dans un monde dépourvu d’hippodromes » -, incapable, rejetée, elle ne trouve pas sa place sur terre. L’idée du suicide germe dans son esprit un jour où elle fait du ski sur une pente trop dangereuse pour elle, « l’idée que je pourrais bien me tuer a germé dans mon cerveau le plus calmement du monde, comme un arbre ou une fleur », alors progressivement elle l’envisage, le prépare, le tente, l’élude au dernier moment mais finit tout de même par organiser une vraie tentative qui échoue de peu. Son récit s’arrête là, au moment où elle sort de l’hôpital après le long chemin qu’elle a accompli pour guérir de sa déprime et de son désir de mort. Là où Oriane Jeancourt Galignani a repris le récit dans « La mort est un art, comme tout le reste » pour raconter, de manière, certes un peu romancée, la longue désescalade qui a conduit Sylvia vers une ultime et fatale tentative de suicide.
Ainsi, dans « La cloche de détresse », Sylvia Plath narre-t-elle la grande crise suicidaire qu’elle a traversée lorsqu'elle avait à peine plus de vingt ans, en 1953. Elle précise bien que ce texte n’est pas une biographie fidèle, ce n’est que le roman qu’elle voulait écrire depuis longtemps et qu’elle n’arrivait pas à coucher sur le papier. « Ce que j’ai fait c’est ramasser ensemble des événements de ma propre vie, ajouter de la fiction pour donner de la couleur… cela donne une vraie soupe, mais je pense que cela indiquera combien une personne solitaire peut souffrir quand elle fait une dépression nerveuse ». Ce livre publié en 1963 connait un beau lancement qui lui assure un joli succès, et c’est à ce moment que Sylvia met définitivement fin à sa vie à la grande surprise de ceux qui l’entourent et à l’incompréhension de tous. Elle n’avait pas trouvé la place qu’elle cherchait à vingt ans, sa vie n’était qu’une suite d’échecs, son mari l’étouffait, elle menait une vie difficile, démunie de tout.
La vie de Sylvia est construite autour de deux objectifs qu’elle ne parvient pas à concilier, ni même à réussir individuellement ; d’une part, elle n’accepte pas d’exercer les métiers indignes d’elle qui lui sont accessibles mais refusent d’entreprendre les études nécessaires pour accéder aux professions qui lui sembleraient supportables et correspondre à son talent. D’autre part, elle ne se considèrera pas comme une femme tant qu’elle restera vierge, elle cherche donc l’homme qui la fera femme en étant aussi un mari acceptable, respectueux de sa carrière et de ses ambitions. Un ensemble de contraintes qui compromet sérieusement son avenir et complique la perception de sa vie. « Si c’est être névrosée que de vouloir au même moment deux choses qui s’excluent mutuellement alors je suis névrosée jusqu’à l’os. Je naviguerai toute ma vie entre deux choses qui s’excluent mutuellement». Sa névrose est certainement dans ces contradictions et son incapacité à se donner les moyens de ses aspirations et ambitions.
Ce livre est le récit d’une tentative de suicide perpétrée en 1953 et du cheminement qui a conduit l’héroïne, et certainement l’auteure, à cette douloureuse extrémité, ce n’est surtout pas le récit du suicide de Sylvia Plath qui est survenu en 1963, mais on ne peut pas ignorer ce texte si l’on veut comprendre l’acte fatal commis par la poétesse. Entre 1953 et 1963 d’autres événements affecteront sa vie et contribueront certainement aussi à son suicide, notamment son mariage peu heureux avec un écrivain célèbre à l’époque qui ne lui permettait pas de valoriser son talent pour ne pas faire de l’ombre au sien. Déjà, en 1953, elle manifestait des penchants féministes, au moins une volonté de voir les femmes s’assumer par elles-mêmes, réussir par leur propre talent, mener une vie aussi libre que celle des hommes : « Je n’acceptais pas l’idée que la femme soit obligée de rester chaste alors que l’homme lui peut mener un double vie, l’une restant pure, l’autre pas ». La suite est à lire sous la plume d’Oriane Jeancourt Galignani, il est bien difficile de dissocier les deux textes pour comprendre la vie et surtout la mort de Sylvia. On peut même penser que la publication de « La cloche de détresse » n’est pas pour rien dans sa décision finale.
L’héroïne, comme l’auteure, ne s’est pas cantonnée dans une vie passive, elle ne s’est pas contentée de constater ses contradictions et d’évaluer ses envies, elle s’est souvent remise en question, a pris des décisions, s’est bottée les fesses, « Tu n’arriveras jamais à rien comme ça ! » Elle le savait, elle se le répétait mais elle ne pouvait pas soulever la cloche qui l’enfermait dans son piège. Comme souvent les personnes atteintes de maladie neurologique, l’héroïne a une perception exacerbée et très perspicace de l’existence et de tous les détails qui peuvent être interprétés pour donner des indications sur les intentions de ceux qui jouent un rôle dans leur existence. Elle sait ce qui l’attend mais ne peut pas l’empêcher : « Pour celui qui se trouve sous la cloche de verre, vidé et figé comme un bébé mort, le monde lui-même n’est qu’un mauvais rêve ».
Et, hélas, on peut considérer cette phrase prémonitoire comme une belle preuve de cette lucidité et l’apposer en conclusion : « Cela me semblait une vie triste gâchée pour une jeune fille qui avait quinze ans de sa vie ramassé des prix d’excellence ».
Denis BILLAMBOZ
Pour consulter les listes de mes précédents articles, cliquer sur les liens ci-dessous :
Liste des articles "Les coups de coeur de Denis "
Liste des articles : LES VOYAGES LITTERAIRES DE DENIS