Au moment où la Libye secoue le joug que le dictateur faisait peser de plus en plus lourdement sur les épaules de son peuple, Kamal Ben Hameda nous offre ce joli petit livre en hommage aux femmes tripolitaines qui ont toujours su vivre en harmonie, ne sombrant jamais dans les excès dévastateurs des hommes qui ne pensent qu’à les humilier et les violenter avant de s’entredéchirer.
La compagnie des Tripolitaines
Kamal Ben Hameda (1954 - …..)
« Je dédie ce livre aux femmes et aux mères qui, une fois par semaine, pendant des années, manifestaient à Benghazi en Libye devant la direction générale de la Sécurité pour réclamer le corps de leurs époux, de leurs enfants disparus cette nuit du 24 au 25 juin 1969… » La dédicace est claire.
Cet hommage, l’auteur le rend à travers le regard d’un adolescent, Hadachinou, qui vient de subir, par surprise, sa circoncision ; il entre ainsi dans le domaine des adultes mais il ne peut pas s’arracher aux robes des femmes qu’il continue de fréquenter, écoutant leurs paroles, leurs gloussements, épiant leurs gestes, leurs petits jeux sensuels, affectant l’innocence en jouant encore avec ses poupées. Il n’aime pas les hommes qui n’ont que le ventre et le sexe pour préoccupations.
Hadachinou visite les tantes, toutes les femmes adultes sont des tantes, la mère célibataire juive et sa grosse fille qui ne s’aiment pas, la couturière italienne qui se pense mal aimée de tous, la tante qui séduit les hommes à Djerba, la tante noire qui joue avec le diable, … et s’amuse avec ses amies, celle qui disparait brusquement sans pouvoir épouser celui qu’elle aimait, la fille noire qui fait le service à la maison. Mais il n’aime pas aller chez la tante que son mari prive de tout et chez celle que son mari bat comme plâtre. « Celui qui ne connait pas la haine ne connaîtra jamais l’amour. »
En écoutant, en observant, en épiant, Hadachinou s’initie à la vie d’adulte au contact des femmes qu’il découvre à leur insu, dans leur intimité, constatant ainsi le sort qui leur est réservé et la veulerie des hommes qui les accablent de tous les maux. Il apprécie la compagnie de ces femmes, toutes tripolitaines, et qui, bien que d’origines très différentes, vivent toujours en parfaite harmonie, sont souvent complices et parfois même davantage dans l’intimité de la chambre du fond. « Je me demandais parfois comment des femmes aussi différentes pouvaient passer des heures durant à évoquer chacune son dieu, son peuple, ses pensées, libres dans leur folie, sans provoquer de réels conflits. C’est que ces femmes n’avaient ni pouvoir à garder ni avoir à surveiller. »
Un hommage à ces femmes qui n’ont aucune liberté, pas d’argent, rarement du plaisir mais qui reçoivent souvent des pluies de coups. Une complicité avec celles qui cherchent des bouts de liberté, des morceaux de plaisir qui leur sont refusés. Une quête identitaire au milieu des ces libyennes, juives, italiennes, noires, berbères,… mais toutes tripolitaines et toutes maltraitées. Seules les femmes qui plongent leurs racines au plus profond de l’histoire africaine, berbères et noires, trouveront peut-être un jour un espace de liberté.
Cela se passait avant la révolution, avant le dictateur sanguinaire, c’était au début des années soixante, mais la situation ne s’est pas améliorée… Le livre des mouches a peut-être raison : « Didon n’avait pas mesuré les conséquences de son acte : les hommes ivres et inconscients s’octroyèrent tous les pouvoirs, sourds à la parole des femmes, tout juste des ventres où se vider… »
« Sept filles dans une flûte. La goule tourne et tourne et en mange une… »
Denis BILLAMBOZ
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