Hier, comme aujourd'hui, nous naviguons au gré des flots sur une mer houleuse, au milieu d'innombrables écueils. Mais les citoyens que nous sommes en ont vu d'autres. Et ils sont toujours arrivés à se sortir des mauvais pas de l'histoire si, malheureusement, ils n'ont pas toujours su en tirer les leçons qui s'imposaient. Car l'histoire est un éternel recommencement, les épreuves d'hier aidant rarement à se prémunir des erreurs de demain. Si bien que les hommes, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, s'adaptent. A tout : aux pandémies, aux conditions météorologiques, aux menaces de guerre, aux krachs financiers, aux famines, au terrorisme, aux révolutions. Ils enterrent leurs morts, relèvent leurs ruines, comblent leurs déficits et repartent. Le courage, certes, les abandonne rarement. Besogneux, résistants, fatalistes, ils avancent contre vents et marées. Ce qui leur manque le plus est probablement la sagesse et le discernement, ces deux vertus qui permettent de voir mieux et plus loin. Car, ils ont toujours eu le tort d'avancer le nez sur le guidon. C'est le Général de Gaulle qui disait : "Visez les hauteurs, il n'y a pas d'encombrement".
Il faut admettre aussi que nos leaders ont rarement été des éclaireurs. A l'exception d'un Churchill qui avait eu le courage de promettre aux Anglais, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, " du sang, du labeur, de la sueur et des larmes", les autres ont largement contribué à nous endormir et à taire les dangers, afin de mieux assurer leur propre survie. Mais à force de jouer avec le feu et de faire l'autruche, à force de n'aspirer qu'au gain immédiat et à la seule satisfaction matérielle, le dieu profit se retourne contre nous. Oui, le veau d'or au pied d'argile, que depuis la nuit des temps l'homme a toujours été enclin à vénérer pour la bonne raison qu'il est sensé satisfaire ses désirs immédiats, s'effondre sur lui-même. Mais, en tombant, il ne manque jamais d'écraser quelques innocentes victimes.
Il est à remarquer également que depuis quelques décennies, les valeurs sûres sont en berne. A l'instar de l'ange qui fait la bête, " le meilleur des mondes" s'avère le pire des mondes. Dans leur ouvrage précis et tonitruant - en référence au livre d'Aldous Huxley - "Résistance au meilleur des mondes", Eric Letty et Guillaume de Prémare soulignent un curieux paradoxe : l'utopie progressiste fait des ravages dans notre univers à mesure qu'elle signe son échec :
"Nous vivons une époque paradoxale, tandis que la révolution technologique ouvre à l'homme des horizons de progrès qu'il ressent comme illimités, nous assistons à la fin de l'idéologie du progrès, qui veut que le monde avance continûment du bien vers le mieux. Démentie par les faits, cette forme de matérialisme historique est un échec. L'homme occidental a cru qu'il était inscrit dans l'histoire que chaque génération vivrait mieux que la précédente ; il a cru que la civilisation du loisir et de la consommation ouvrait une ère nouvelle d'accomplissement de soi, d'épanouissement individuel, en un mot de bonheur. Or, les promesses de la modernité ne sont pas tenues, ni celle du progrès matériel continu, ni celle du bonheur croissant."
Et les auteurs d'énumérer quelques-uns des stigmates du progrès en cours : effacement des nations et des corps intermédiaires dans la perspective d'une gouvernance mondiale, ébranlement des fondations de la famille, négation de l'identité des individus, production artificielle de l'être humain, transhumanisme, contrôle mondial des naissances et eugénisme. Il en résulte bien que le citoyen du meilleur des mondes est avant tout un consommateur atomisé en voie de robotisation. Pour traverser une crise, quelle qu'elle soit, la priorité serait de revenir à la vérité, au courage et à l'action. Le temps n'est plus aux discours lénifiants, aux mensonges et aux dissimulations qui ont sapé la confiance des peuples. L'honneur de la politique n'est-il pas d'apporter la preuve qu'il y a encore des moyens d'agir et la force des Nations de s'unir pour mieux résister ? Le ferons-nous ou continuerons-nous à danser sur des volcans ? Probablement ! Et c'est ce qui fait qu'en permanence nous naviguons entre illusion et désenchantement.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE
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