Ce petit chien, Madame,
Me parait fort aimable,
Disait cette passante
A cette autre passante
Qu’elle croisait, par hasard,
Dans les rues bien rangées
De ce chic quartier.
Au bout d’une laisse trottinait
Un délicieux petit colley
Que l’on savait blasonné
Des plus flatteurs pedigrees,
Mais qui n’était, pour autant,
Nullement collet monté.
Hormis cela, la pauvre bête
Jugeait sa vie peu drôlette.
Et qu’advient-il quand on s’ennuie ?
De curieuses envies
D’aller goûter ailleurs
D’autres bonheurs.
C’est ainsi que le joli animal
Fut pris un jour d’une fringale
De liberté.
A sa décharge, il faut avouer
Que sa maîtresse l’embêtait.
Chaque matin, le brossage,
Le peignage qui vous tire les poils,
Et même l’eau de toilette
Qui sent trop la violette.
Et les mondanités
Dans les salons branchés,
Et tous ces défilés
Où des jurés curieux
Vous dévorent des yeux.
Un chien de race a, il est vrai,
Toujours sa place dans les palaces.
Donc, un jour, disais-je,
Il prit la poudre d’escampette
Et s’en alla, nez au vent,
Baguenauder à travers champs.
Quelle joie d’oublier
Qu’on a le poil en bataille
Et les pattes un peu sales !
Quel plaisir de se rouler
Dans la rosée,
De respirer à pleins poumons
Les senteurs de tant de fleurs !
L’apothéose survint
Quand il croisa en chemin
Une chienne, certes banale,
Mais sympathique en diable.
Ils firent un brin de causette,
Puis s’avouèrent, la mine guillerette,
Que s’offrait à eux la chance
D’assurer leur descendance.
Quand, un peu tard,
Notre jeune fêtard
S’en revint au bercail,
Quel ne fut pas son étonnement
De trouver sa maisonnée,
Chamboulée.
La police était sur les dents
Et le quartier également.
Tout le voisinage s’activait
A le chercher.
Sa maîtresse, lorsqu’elle le vit,
Bénit le ciel d’avoir mis fin
A son chagrin.
Oh ! gémit-elle, voyez en quel état
Il nous revient !
Je crains même d’imaginer
De quelle façon il fut traité !
Car, selon elle, pas de doute,
Son chabichou avait été enlevé
Par une bande de filous.
Depuis ce jour,
Madame surveille
Toutes les issues du jardin.
En sa demeure, personne n’entre
Qu’il n’ait montré patte blanche.
Mesdames, aimez vos chiens,
Soignez-les bien,
Mais, afin d’assurer leur bonheur,
Souvenez-vous que vos goûts
Ne sont pas forcément les leurs.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE ( extraits de « La ronde des fabliaux » )
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